Chapitre 4 : Laura

Cette journaliste, elle la déteste. C'est officiel. Elle ne la connait pas mais il ne lui faut pas longtemps pour jauger les gens, à Anna. Elle est très douée pour ça, son instinct ne la trompe que rarement et cette fille... cette fille sent le mensonge à plein nez. Elle la guide pourtant là où s'est regroupée leur petite équipe d'enquêteurs, à l'autre poste de douane, côté suisse. Cinq flics y sont installés, deux suisses, trois français. Tous à l'exception se tournent vers elles quand elles entrent. Même Anna se sent mal à l'aise, elle n'imagine pas ce que doit ressentir Odile.

- Bonsoir messieurs ! Je vois que vous êtes confortablement installés. C'est bien, vous vous surmenez pas au moins. On reconnait les fins limiers de la police à vos postures...

- C'est qui ce clown ?

- Tu nous ramènes qui là au juste ?

- Dis-nous que c'est un témoin et qu'elle a des infos en béton.

Anna ferme les yeux. Une seconde, deux secondes. Bon sang, elle a envie de hurler.

- Je vous ramène une journaliste, pas un clown. Et oui, elle aurait des informations sur la femme qui a perdu la mémoire. Sans être un témoin toutefois. Je pense qu'elle raconte n'importe quoi, mais c'est suffisamment important pour tenter le coup.

Au pire, ils pourront toujours la boucler et lui faire passer quelques heures en cellules en guise de punition pour l'avoir roulée dans la farine. Ils trouveront bien le motif adéquat pour ça, après tout mentir à des flics sur une affaire de disparition de masse ça doit être un délit. Et si ça ne l'est pas en France, peut-être que ça l'est en Suisse.

- Je suppose qu'elle n'avait pas ses papiers sur elle, si vous ne savez pas qui elle est.

Anna se retourne vers la pseudo-journaliste comme si elle lui avait craché dans le dos.

- Vous étiez censée savoir qui elle est, je vous rappelle.

- J'ai dit que j'avais des informations sur elle, pas que je connaissais son identité. Vous auriez un ordinateur ?

La blonde reste bouche-bée, elle regarde ses collègues qui sont dans le même état qu'elle. Ils se regardent, ils hésitent, l'un d'eux finit par lui désigner le poste de douane du menton pendant que les autres le fixent comme s'il avait tout bonnement perdu l'esprit.

- Là-dedans, il y a un pc fixe. Mais il est super vieux, alors vous attendez pas à une rapidité incroyable. Et René va vous accompagner, histoire de vérifier que vous faites pas de conneries.

- C'est moi qui l'accompagne.

Après tout, c'est elle qui leur a amené cet espèce de petite fouine colorée, mi-chiot mi-vipère. C'est sa responsabilité maintenant de veiller à ce qu'elle ne casse rien et ne s'amuse pas à les flouer davantage qu'ils ne le sont déjà. Odile lui indique de passer devant elle de la main, Anna déverrouille le local et attend que la journaliste s'installe.

- Je vous préviens, si vous tentez quoi que ce s...

- Du calme Miss Sur-Les-Nerfs. Tout va bien se passer, je suis réellement venue vous aider.

Ce dont elle a surtout l'impression, c'est qu'elle est venue glaner les informations. Et il n'y a rien de plus dangereux que ça à ses yeux, rien de plus dangereux que les médias qui prennent les informations, les bouffent et en vomissent une mélasse immonde qui n'a plus rien à voir avec ce qu'était le met de départ.

- Voilà votre dame. C'est bien elle n'est-ce-pas ?

Anna plisse les yeux. Merde, c'est elle.

- Les gars ? Je crois qu'elle a vraiment trouvé quelque chose.

Les gars s'agglutinent à la porte, une tête, puis deux, la troisième ne passera pas.

- Merde t'as raison. Elle a trouvé quelque chose.

Anna sent les vagues de fierté qui émanent d'Odile jusque-là. Pour l'instant elle ne s'en soucie pas, elle a les yeux rivés sur le profil Instagram de Laura Fontaine. C'est elle, pas de doute là-dessus. Le même nez fin, les mêmes yeux rieurs et surtout le même chien.

- Eh ouais, les gars. Vous les flics vous persistez à vouloir utiliser tout sauf les réseaux sociaux mais c'était évident. C'est une femme, la trentaine, très photogénique d'après la photo que vous avez donnée aux médias, avec un chien lui aussi très photogénique, à Genève. Suffisait de faire une recherche avec les bons tags, le bon jour et boum, vous la trouviez.

En réalité, Anna a la sensation que la recherche de Laura s'était avérée beaucoup plus longue et compliquée que ce que la journaliste veut leur faire croire. Peu importe, ils ont un nom et ses collègues sont déjà en train de s'activer pour trouver sa famille, ses relevés bancaires, ses relevés téléphoniques, ils...

- Eh, vous foutez quoi là ? 

Ils sont toujours là, ces abrutis. Anna tape des mains trois fois.

- Mais attends, comment elle a fait ça ?

Elle. Veut. Hurler. 

- Mais on s'en fout Jean-Eudes, on s'en carre complètement, tu piges ? C'est elle. Mettez vous à bosser.

Les flics obéissent finalement aux ordres de celle qui n'est absolument pas leur supérieure mais en râlant quand même pour la forme. Parfois, elle a l'impression d'être la maîtresse de classe d'un troupeau de maternelles.

- Bon, je suppose que je fais partie de l'enquête maintenant. Elle est où Laura ? Et elle avait quoi sur elle ?

- Vous ne faites partie de rien du tout. Rien du tout.

Anna sort de la pièce, met son pardessus beige et récupère son portable. Elle va aller lui parler, à cette Laura Fontaine. Elle a été installée dans un hôtel non loin d'ici pour qu'elle puisse récupérer ses forces et peut-être quelques souvenirs au passage. C'est ce qu'ils espéraient du moins.

- Attendez, vous avez pas le droit de faire ça. Je vous ai aidé ! Vous avez une dette envers moi maintenant, compris ?

La flic lève les yeux au ciel, une dette. Et puis encore ? Elle se croit parrain de la mafia ?

- Je ne vous dois rien du tout, vous êtes une bonne citoyenne qui a fait son devoir citoyen et en plus vous avez une info à écrire sur votre torchon. Vous voulez quoi de plus, franchement ?

- Vous assister.

Anna s'arrête en plein milieu de sa course, alors qu'elle était sur le point de sortir du poste de douane. Elle n'est pas sérieuse. Elle ne peut pas être sérieuse. C'est tout bonnement impossible.

- C'est illégal. Vous n'êtes pas de la police. Vous êtes journaliste, ou rien du tout finalement. Vous pouvez tout aussi bien être une dangereuse sociopathe fanatique des disparitions, pour ce que j'en sais. Vous pourriez même être suspecte, d'ailleurs. Foutez le camp.

Elle continue à avancer dans la grande coursive de la gare en espérant avoir été suffisamment dissuasive pour faire fuir cette satanée journaliste sortie de nulle part mais elle entend encore ses pas derrière elle. Bon sang, si elle était du genre violence, elle aurait des envies de meurtre.

- Vous. Avez. Besoin. De. Moi. Je viens tout juste de vous le prouver ! Je suis sûre que je peux vous être utile, je suis sûre qu'on peut faire une bonne équipe vous et moi ! Laissez moi vous aider, s'il vous plait. Personne n'en saura jamais rien !

Cette fois Anna ne s'arrête pas et s'engage dans les escalators sans même un regard pour elle. Elle constate avec soulagement qu'elle a compris la leçon et ne l'a pas suivie. Elle se retourne néanmoins vers elle une fois arrivée en bas, pour quelques derniers mots. En espérant que ce sont les derniers du moins.

- Je n'ai pas besoin de vous, mais merci de nous avoir aidé tout à l'heure. On a une piste maintenant, l'enquête va avancer plus vite. Mais...

Anna hésite, elle hésite sincèrement à lui dire qu'ils auraient fini par trouver sans elle de toute façon. Qu'ils avaient son portable et qu'il n'était question que de quelques jours pour pouvoir le débloquer. Elle renonce en voyant ses yeux brillants, ses joues rouges, son air passionné. Elle est pleine de vie. Elle aime ce qu'elle fait. Elle est persuadée d'avoir raison. Et Anna... Anna n'est pas assez cruelle pour lui enlever ça. Elle a toujours eu un faible pour les causes désespérées de toute façon.

- Merci. Et au revoir.

Et elle se dit un peu naïvement que ça devrait suffire. Suffire à la décourager, suffire à ce qu'elle soit tranquille désormais. Elle a tort. Elle ne se rend simplement pas compte, pour l'instant du moins.



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