3 - UNE INQUIÉTANTE DÉCOUVERTE - Partie 2/2

Au bout de quelques minutes de marche à travers un dédale de rues étroites, ils arrivèrent dans un quartier peu fréquenté. La guilde des Alliés de la Nuit se trouvait au recoin d'une petite place entourée de quelques habitations en ruine. Sa façade en triste état réclamait un bon ravalement. En effet, les joints entre les pierres s'effritaient et ces dernières menaçaient de se déchausser, sans compter les volets dont la peinture s'écaillait tellement que le bois était presque à nu. La rénovation était prévue dans le budget annuel, mais Alaric peinait à dépêcher un artisan fiable et sérieux à un tarif abordable.

Toujours précédé d'Hayato, Kyeran grimpa les quelques marches qui le séparaient de l'entrée pour arriver dans un hall semblable à la salle de restauration de la Vouivre d'Argent, en moins ordonné, cependant. Il s'étonna de ne voir personne sur les lieux.

— Où sont les autres ?

— Ils sont tous sur le terrain. Ça fait plusieurs jours que je ne vois pas grand monde, ici. Même Karen et ton frère sont partis.

Il sourcilla, puis continua de suivre son partenaire à travers un étroit couloir. La guilde restait rarement déserte. En général, Karen demeurait toujours à son bureau sauf quand la situation nécessitait son intervention. Néanmoins, Alaric se trouvait à son poste lorsqu'ils passèrent devant le sien. Trop concentré à trier sa montagne de documents, il ne remarqua même pas leur présence.

Le duo déboucha enfin dans une pièce au fond du corridor. Malgré sa taille exiguë, l'atelier d'Hayato était lumineux et y flottait une agréable odeur d'essences végétales rappelant celle d'une herboristerie. Des rayonnages chargés de nombreux bocaux garnis de plantes, d'animaux séchés ou de mixtures suspectes étaient rangés au millimètre près. Prenant soin de ne rien bousculer, Kyeran se fraya un chemin entre les étagères et arriva face à un grand établi où s'entreposaient du matériel médical ainsi que divers appareils conçus pour les recherches biologiques. Plusieurs tubes remplis d'un liquide noir et alignés sur un présentoir métallique attirèrent son attention.

— Est-ce que c'est... ?

— Du sang ? Oui, affirma Hayato. J'en ai prélevé sur plusieurs animaux rencontrés au cours de mes dernières excursions et il s'avère que seul celui des reptiles réagit à la contamination.

Kyeran croisa ses bras.

— Cela confirme donc ce que l'on voit sur le terrain depuis quelques années. Les mammifères ne semblent pas être touchés, mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi certains humains sont infectés et pas d'autres.

— Je n'ai pas encore d'explications à ce sujet, j'ai besoin de faire d'autres analyses et de pousser mes recherches, mais j'ai peut-être une hypothèse.

Fort de son intelligence et de son goût pour la biologie, Hayato avait rejoint la guilde d'Alaric quinze ans auparavant en tant que médecin et s'était récemment lancé dans la recherche sur le Fléau. Passionné par son travail, il aidait ainsi les scientifiques avec qui il coopérait et espérait bien un jour réussir à percer le secret de cette étrange maladie.

Il s'approcha d'un terrarium dans lequel vivait une hideuse créature entourée de plusieurs cadavres de rongeurs. Un lézard au corps entièrement noir et décharné bondit aussitôt contre la vitre pour s'attaquer au doigt de son observateur. Kyeran était fasciné de voir à quel point un si petit animal pouvait faire preuve d'une grande agressivité.

— Tu vois ces souris ? Aucune n'a muté ou n'a été infectée dans la journée qui a suivi leur introduction, en revanche, elles ont toutes passé un sale quart d'heure.

— Ça confirmerait alors ce que tu me disais l'autre jour au sujet des proches qui ne contractent pas la maladie ?

— C'est fort probable. Mon petit cobaye, par exemple... continua Hayato en narguant le reptile à travers la paroi transparente. J'ai provoqué sa mutation en lui injectant directement du sang contaminé.

— Et alors ?

— En quelques heures, il est devenu tel que tu le vois.

Kyeran se frotta le menton d'un air perplexe.

— C'est rapide pour une contamination.

— On est d'accord, ce qui me laisse à penser que ce n'est ni un virus ni une bactérie.

— Tu peux l'affirmer ?

— Oui. Avant de tester avec les souris, j'ai introduit d'autres lézards avec le sujet infecté et ils n'ont développé aucun symptôme, mais ils ont tous été tués. J'ai ensuite prélevé leur sang pour le vérifier. Il était indemne. La contamination ne semble pas se faire par transmission aérienne, mais par voie sanguine et... autre chose.

Kyeran resta silencieux et tenta de masquer son trouble. Cette découverte était pour le moins fascinante, mais aussi inquiétante, car s'il s'avérait que le Fléau ne soit pas une maladie, comment l'éradiqueraient-ils ?

Hayato s'empara d'une lame de verre sur laquelle il déposa une goutte de sang au moyen d'une pipette, puis plaça le tout sur le plateau de son microscope. Il préleva ensuite une minuscule perle noire d'un des tubes qu'il mélangea à la première et colla son œil à la lunette de l'appareil.

— Le temps entre la contamination et l'apparition des premiers symptômes est bien trop court, continua-t-il en ajustant la netteté de la lentille d'observation. Pour un virus classique tel que celui d'un rhume par exemple, il faut compter environ quelques jours d'incubation, alors qu'ici, notre lézard est devenu noir en à peine deux heures.

Il se redressa et invita Kyeran à s'approcher.

— Regarde ça et dis-moi ce que t'en penses.

L'intéressé s'exécuta et ce qui se produisit sous son œil le déconcerta. Les cellules infectées parasitèrent immédiatement les globules sains pour ensuite les absorber et se dédoubler sous une nouvelle apparence. Une sensation de malaise l'envahit et il se tourna vers son ami, décontenancé par cette découverte pour le moins surprenante.

— Ils mutent... on dirait... une forme d'altération. Pendant toutes ces années, j'ai cru que mon peuple avait été décimé par une maladie qui finalement, n'en est pas une...

— En effet, et je trouve d'ailleurs très étrange que tu ne l'as jamais contracté. Tu t'es pourtant retrouvé de nombreuses fois en contact direct avec du sang contaminé.

Kyeran fronça les sourcils, pensif. Il n'avait jamais compris pourquoi ce mal survenu de nulle part ne l'atteignait pas. Tous les membres de son peuple s'étaient entretués après avoir contracté les premiers symptômes, mais pas lui. Pourquoi ?

Voyant son air perplexe, Hayato lui fit part d'une hypothèse.

— Tu es peut-être immunisé ?

— Aucune idée... mais pour en revenir aux cas d'individus isolés comme on a pu l'observer ces derniers jours, comment le contractent-ils s'ils ne sont pas en contact avec des infectés ?

— Très bonne question, c'est ce que je continue de chercher, répondit le Vulpian d'un air dépité.

Kyeran avisa l'horloge accrochée dans un recoin de la pièce et au vu de l'heure, il décida de retourner auprès d'Angélina. Il avait promis de ne pas trop la faire attendre. Portant sa main à son cou pour masser un muscle endolori, il constata que quelque chose manquait à l'appel. Au fur et à mesure que ses doigts continuaient de chercher sans rien trouver d'autre que sa peau, son visage blêmissait et une affreuse sensation de vide l'envahit.

Hayato remarqua son air préoccupé et haussa un sourcil.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Mon pendentif... il a dû se décrocher. Tu ne l'aurais pas vu ?

— Non, désolé, je l'aurais certainement entendu tomber.

Rien n'échappait à l'ouïe surdéveloppée d'Hayato et au même instant, le souvenir de sa collision avec la Dragyanne lui revint à l'esprit. Un éclair de rage traversa son corps quand il comprit ce qui avait dû se passer et sous le regard chargé d'incompréhension de son partenaire, il se précipita vers la porte.

— Je repasserai plus tard, j'ai une affaire urgente à régler. Préviens Angel et dis-lui que j'aurais un peu de retard.

— Euh... d'accord...

Les mâchoires serrées et les poings crispés, Kyeran arpenta le couloir à grandes enjambées. Son cœur martelait dans sa poitrine et son sang palpitait dans ses veines à une vitesse folle. La brume de la colère brouilla sa vue. S'il avait décliné plus tôt l'idée de suivre la femme-dragon à la trace, cette fois, la chasse était ouverte.

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