26 - QUIPROQUO - Partie 2/2

Lové sur l'édredon, Oz observait Lyria d'un regard empreint d'incompréhension. Elle s'était recroquevillée sur le lit, dos au mur, et fixait ses pieds. Elle n'avait toujours pas digéré sa récente découverte et comme si son mal-être ne lui suffisait pas, son estomac continuait de crier famine.

Me voilà en train d'crever de faim juste parce que je suis trop idiote pour retourner affronter la réalité...

Kyeran possédait un physique de rêve. Ses yeux étaient hypnotiques et son sourire, craquant. Même si au premier abord, il paraissait un peu rustre et indélicat, il s'avérait être honnête et loyal. Avec de tels atouts, malgré sa nature draconique, n'importe quelle femme tomberait sous son charme et manifestement, Lyria dut admettre qu'elle n'avait pas été la seule à se laisser envoûter.

Quelqu'un frappa à sa porte et une grande silhouette apparut dans l'encadrement.

Quand on parle du dragon, il sort de sa grotte !

Habillé d'une tunique blanche de cuisinier qui dénotait totalement de son style vestimentaire habituel, Kyeran s'approcha du lit avant de poser un plateau sur la table de chevet.

Lyria ne bougea pas et resta assise dans la même position qu'elle tenait depuis de longues minutes, mais jeta tout de même un regard en biais sur ce qu'il venait d'apporter. Un effluve citronné caressa ses narines et elle se mit à saliver malgré elle face au contenu de l'assiette.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-elle sans le regarder.

— Angélina m'a dit que tu avais faim alors je t'ai préparé quelque chose que tu aimes. J'espère que ce sera bon.

Elle continua de fixer le mur face à elle en silence, luttant désespérément contre les appels implorants de son estomac. À ses côtés, Kyeran pencha la tête et son sourire innocent se mua en une expression déconcertée.

— Quelque chose ne va pas ? Tu m'as l'air contrariée.

— Contrariée... hein ?

Lyria sentit une certaine euphorie se mêler à sa colère et éclata de rire. Quel culot avait-il de lui demander cela ! Pourtant, elle refusa d'affronter son regard. Si elle avait le malheur ne serait-ce que de plonger dans ses yeux d'un doré si profond, elle craignait de fondre en larmes et n'avait aucune envie de se ridiculiser.

— On dirait bien, oui, reprit-elle enfin.

— Explique-moi ce qui se passe. C'est parce que je ne t'ai pas prévenue que je travaillais en cuisine ce soir ?

Le ton de sa voix laissait percevoir qu'il était sincèrement perplexe. L'espace d'une seconde, Lyria voulut lui dire de s'en aller, mais en faisant cela, elle prenait le risque de laisser cette tension s'envenimer entre eux alors qu'ils venaient à peine de se retrouver. Ce serait du gâchis et elle se devait de crever l'abcès.

— J'vais t'donner un indice, lança-t-elle en se retournant vers lui, Angélina porte la même marque que celle de ton dos sur son poignet. J'suppose que tu sais c'que ça signifie ?

Le Dragyan parut dérouté. Ses yeux s'écarquillèrent tandis que sa bouche s'ouvrait et se refermait à plusieurs reprises sans qu'aucun son n'en sorte. Puis, la compréhension s'encra enfin sur son visage.

— Non, ce n'est pas vrai... Tu penses qu'Angélina et moi sommes ensemble ? C'est à cause de ça ton soudain changement d'attitude ?

— À ton avis ?

Il secoua la tête et se passa une main sur le front.

— Lyria... Angélina n'est pas ma compagne. La marque que tu as vue sur son poignet est le symbole qui la relie à moi au travers d'un sortilège de protection.

— Tu mens.

— C'est la vérité, je te le jure.

La sincérité dans sa voix était évidente, et l'espace d'une seconde, la Dragyanne se mordit la lèvre.

— Et... ça consiste en quoi ce sort de protection ?

Kyeran survola la pièce du regard avant de se diriger vers la fenêtre qu'il ouvrit. Un air froid s'engouffra dans les voilages qui se gonflèrent sous les légères bourrasques. La nuit était définitivement tombée et avec un miracle inespéré, la clarté de Zéphyria se frayait un chemin parmi de minces nuages.

D'un mouvement de tête, il l'invita à le rejoindre sur un modeste balcon. Un subtil frisson la parcourut quand la fraîcheur nocturne frôla sa peau et elle hésita à s'aventurer au-dehors. Elle balaya finalement sa réticence et se leva du lit pour venir s'accouder à la balustrade en pierre tout en gardant une certaine distance. La terrasse était juste assez large pour une petite table ainsi qu'une chaise. Un endroit idéal pour y lire un livre en toute tranquillité pendant les beaux jours.

— Il y a dix ans, commença Kyeran, Angélina m'a sauvé alors que j'étais gravement blessé et depuis que j'ai rejoint sa famille, on est devenus inséparables, comme des frères et sœurs. Seulement, elle a une santé fragile, elle souffre d'une maladie qui rend ses os aussi cassants que du verre. Si tu la vois forte telle qu'elle est aujourd'hui, c'est grâce à ma magie.

Les sourcils de Lyria se haussèrent et elle porta une main à sa bouche.

— Alors c'est pour ça que...

Il hocha doucement la tête.

— Un jour, elle a trébuché dans l'escalier et a fait une très mauvaise chute qui aurait pu lui couter la vie, alors j'ai décidé de partager mon pouvoir avec elle. Ce sortilège fonctionne un peu comme un pacte d'allégeance et permet à une créature plus faible de bénéficier d'une meilleure résistance physique ainsi que d'une longévité accrue. Cependant, il n'impose en aucun cas une relation maître-esclave entre les deux contractants. Seuls les dragons sont capables de ce genre de prouesse et ils ne le font que lorsqu'ils estiment que la personne à protéger est méritante et digne de confiance. En contrepartie, cela raccourcit mon espérance de vie.

Un sentiment de honte envahit Lyria. Elle baissa le regard et se sentit idiote d'avoir douté de lui. Kyeran s'était imprégné d'une seule personne et l'indice le plus probant se trouvait juste sous ses yeux : le troisième anneau noir qui entourait son bras droit. Il était apparu après que celui-ci ait retrouvé sa forme humaine dans la grotte. Elle avait à présent toutes les bonnes raisons de le croire. Sous ses airs de dragon solitaire qui n'aimait pas les humains se cachait quelqu'un de bien plus sensible et de dévoué qu'il voulait le laisser penser. Qui sacrifierait quelques années de sa vie pour en sauver une autre ?

Lorsqu'elle fut enfin rassurée de l'issue de ce malencontreux quiproquo, un autre détail lui traversa l'esprit.

— Excuse-moi d'avoir mis ta parole en doute, mais il y a encore autre chose qui m'perturbe. Pourquoi t'es jamais revenu m'voir après ta dernière dragomorphose ?

Kyeran se raidit, troublé par ce changement de sujet, et ses lèvres tremblèrent. Cependant, le ton de sa voix resta doux et posé.

— J'ai eu peur...

Elle demeura interdite et cligna des paupières face à cet intrigant aveu et tandis qu'il cherchait ses mots, il lâcha enfin :

— Peur de ne de pas être à la hauteur, de ne pas te mériter.

Cette fois, elle haussa un sourcil. Que voulait-il insinuer par « ne pas la mériter » ?

Il détourna légèrement le regard avec une expression embarrassée.

— Tu es une tentation pour moi, expliqua-t-il. Je sens ton désir à mon égard, j'entends ton corps et ton âme m'appeler, mais je m'interdis de franchir la limite parce que je ne me sens pas digne de toi. Mais, plus les jours passent et moins je contrôle mes pulsions. Tu n'imagines même pas à quel point il est difficile pour moi de résister à l'envie de te faire mienne.

Lyria ravala bruyamment sa salive et se figea. Son cœur joua les ascenseurs dans sa poitrine alors que ses entrailles douloureuses à cause de la faim se contractaient d'une joie insoupçonnée. Elle ne s'attendait absolument pas à ce genre de déclaration et ne sut quoi y répondre. Pendant un court instant, le souvenir de leurs lèvres si proches l'une de l'autre ce jour-là dans la grotte revint hanter son esprit et une vague de chaleur l'envahit.

Quelques secondes de silence plus tard, elle réussit à sortir de son hébétude.

— C'est à cause de... ton serment ?

Kyeran la fixa droit dans les yeux. L'espace d'une seconde, Lyria y décela une avidité coupable et ignora si elle aussi pourrait continuer de lui résister. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas senti la caresse d'un homme sur son corps. Serait-ce vraiment si terrible, juste pour une nuit, de céder au besoin ?

— Entre autres, marmonna-t-il, mais j'ai compris avec le temps que les règles qui s'appliquent sur les humains ne sont pas valables pour les dragons. Le mariage n'existe pas chez nous.

— Peut-être, oui, mais que fais-tu d'la vie de famille ? Même si t'es un Dragyan, ton serment sera brisé et tu seras sérieusement puni par la loi si ta hiérarchie le découvre.

L'homme-dragon réduisit la distance entre eux d'une seule enjambée et elle dut lever la tête pour lui faire face. Le haut de son crâne lui arrivait tout juste au menton. Son effluve neigeux l'empêcha de raisonner et elle dut se faire violence pour ne pas faire courir ses doigts sur son torse.

Il se pencha vers elle et ses yeux bordés d'épais cils noirs étaient si incandescents qu'elle crut y voir briller des milliers d'étoiles.

— Mon serment s'est brisé à l'instant même où nos regards se sont croisés.

Il n'en fallut pas plus pour attiser l'incendie qui sévissait en elle. Submergée par un désir brûlant, Lyria se dressa sur la pointe des pieds et posa ses lèvres à celles de l'exterminateur. Leurs bouches se rencontrèrent d'abord dans un effleurement tendre et chaste, puis s'éloignèrent tandis qu'ils se fixaient droit dans les yeux dans un silence entrecoupé par le souffle de leur respiration profonde.

Kyeran leva une main à la hauteur de son visage, puis la posa sur sa joue. Lyria ferma les paupières et frémit à ce contact. Elle en avait rêvé depuis si longtemps, peut-être même inconsciemment depuis leur première confrontation. Elle le désirait plus que tout et n'avait plus aucun doute sur la nature de ses sentiments. Le destin les avait fait se rencontrer pour s'affronter, se réconcilier, puis s'aimer.

Le souffle frais de son compagnon frôla sa bouche entrouverte et une myriade de picotements parsema sa peau. Puis, le temps sembla ralentir et se figer. Leurs lèvres se scellèrent de nouveau, avec plus de ferveur, et une douce chaleur envahit Lyria quand Kyeran affermit sa prise sur sa nuque pour renforcer leur baiser. Un puissant ronronnement émanant de son torse vibrait jusqu'à la plus infime extrémité de son corps et il ne tarda pas à manifester son excitation grandissante lorsqu'elle sentit sa langue conquérir la sienne dans une danse voluptueuse.

La Dragyanne pria pour que ce moment dure éternellement. Des feux d'artifice explosaient dans sa tête et tous ses soucis furent repoussés aux confins de son esprit. En réponse au désir ardent de son compagnon, elle le fit reculer jusqu'au lit sur lequel il buta et finit par s'asseoir. Elle s'installa sur ses cuisses tout en passant ses bras autour de son cou et l'attira contre elle. Dans cette position, et malgré la présence de leurs vêtements, elle sentit ses seins se presser contre son torse ferme.

L'homme-dragon glissa ses doigts dans ses cheveux et les tira doucement pour l'obliger à pencher la tête en arrière. Sa gorge ainsi offerte, elle se laissa entraîner dans le torrent impétueux de ses caresses. Kyeran revendiqua chaque millimètre de sa mâchoire avant de mordiller et lécher la courbe de son cou tout en prenant garde de ne pas l'érafler de ses crocs. L'incendie se répandit dans ses chairs et, le corps noyé dans une mer de plaisir, elle demeura incapable de raisonner. Un gémissement s'échappa de ses lèvres alors que son amant les capturait de nouveau dans un baiser avide, comme si sa vie en dépendait.

Il se laissa tomber sur le lit et roula sur le côté pour se retrouver au-dessus d'elle. Les paupières fermées, Lyria se cambra lorsqu'une grande main se glissa sous le tissu de sa chemise pour caresser sa peau brûlante.

— Kyeran... souffla-t-elle, enlève tes vêtements, s'il te plaît.

Contre toute attente, son amant rompit soudainement l'étreinte et se redressa, le souffle court. Il la parcourut d'un regard sauvage avant de se refocaliser sur son visage.

— Il faut que tu saches une chose. Les Dragyans s'unissent pour la vie. L'accouplement n'est pas un acte à prendre à la légère.

Son compagnon venait de mettre le doigt sur un point important. Si elle s'accouplait avec lui, cela changerait tout. Vraiment tout. Se sentait-elle vraiment prête à sacrifier sa liberté actuelle pour commencer un bout de chemin à ses côtés ? Ses sentiments devinrent confus et une étrange appréhension la saisit lorsque les images de son ancienne relation avec Hayden vinrent parasiter son cerveau. Non, c'était... trop tôt.

Kyeran remarqua qu'elle s'était raidie. Son regard s'adoucit et il attrapa une de ses mains avant de la porter à sa bouche et d'embrasser chacun de ses doigts. À ce contact, de petits picotements affluèrent de ses bras pour redescendre ensuite le long de son échine. Décidément, il avait le don de la mettre dans tous ses états !

— On n'est pas obligés de se presser pour ce genre de chose. Je veux que tu sois sûre de ton choix et puis... on ne peut pas faire ça devant lui, reprit-il en pointant quelque chose du doigt par-dessus son épaule.

Lyria haussa un sourcil, perplexe, puis un élan de lucidité la fit se retourner. Elle constata avec horreur que le pauvre Oz avait assisté à leurs ébats agités. Le xéobrat s'était roulé en boule dans un coin du lit et chuintait de mécontentement pour avoir été ignoré de la sorte. Elle le prit aussitôt dans ses bras pour s'excuser.

— J'suis vraiment désolée. Dans l'feu de l'action, on t'a complètement oublié.

Même si Oz continuait de ronchonner, il ne resta pas rancunier bien longtemps. Les caresses des deux Dragyans ne tardèrent pas à lui faire oublier ce malentendu et il en roucoula de satisfaction.

Kyeran se leva et arbora un air navré en reportant son attention sur le plateau-repas qu'il avait déposé.

— Je vais devoir retourner en cuisine, j'ai largement dépassé mon temps de pause accordé. Tu devrais vite manger avant que ça refroidisse.

— Ah... fit tristement Lyria.

Une main se saisit délicatement de son menton et l'obligea à relever la tête. Avant qu'elle ne puisse dire quoique ce soit, les lèvres de son amant revinrent rencontrer les siennes dans un tendre et chaste baiser.

— Je ne sais pas combien de temps va durer le service et peut-être que tu dormiras déjà quand j'aurai fini, donc ne m'attend pas. Repose-toi et demain matin, je t'accompagnerai pour aller voir ton père.

— Je croyais que c'était à Hayato de m'emmener.

— Il est déjà sur place pour assurer sa protection, il a fait renforcer la sécurité de l'hôpital au cas où, donc il ne rentrera probablement pas de la nuit.

Lyria sentit un poids se délester de ses épaules. Au moins, quelqu'un veillait sur Allister, mais ses soucis furent loin d'être résolus quand la T020-Z de Kyeran sonna. Un soulagement indescriptible illumina son visage lorsqu'il observa le cadran de sa montre.

— Élie ! Enfin ! s'extasia-t-il tandis qu'il appuyait sur le bouton pour accepter la communication visuelle.

Malheureusement, sa bonne humeur se fana bien vite lorsque sur l'écran holographique qui s'afficha, ce ne fut pas la jeune femme dont il attendait l'appel, mais un homme au teint bronzé et au crâne rasé. Lyria sentit son cœur bondir violemment dans sa poitrine quand elle reconnut Sven et un frisson de terreur s'empara de tout son être. Elle se réfugia dans un coin du lit en mettant le plus de distance possible entre elle et l'image de son vil supérieur.

— Coucou, l'exterminateur ! chantonna ce dernier d'un air narquois. Désolé de te faire une fausse joie, mais il me semble que tu attendais des nouvelles de ton amie ?

Le regard de Kyeran s'assombrit quand il comprit tout de suite à qui il avait affaire.

— Où est Élie ? exigea-t-il de savoir sur un ton menaçant.

— Oh ! Ne t'inquiète pas pour ta petite fouineuse, on va en prendre grand soin et comme je suis sympa, je vais te proposer un marché.

L'homme marqua une pause comme pour évaluer la réaction de son interlocuteur. Chose qui sembla fonctionner, puisqu'il réussit à piquer l'intérêt du Dragyan.

— Si tu tiens à sa vie, rends-nous Lyria et donne-nous la clé que tu possèdes.

Cette fois, le visage de l'exterminateur se crispa face à cet odieux chantage. Lyria tremblait de manière incontrôlable et se recroquevilla quand elle comprit qu'elle serait une monnaie d'échange contre la vie d'une autre personne. Pour rien au monde, elle ne voulait retourner dans cette épouvantable guilde.

— Et si je refuse ? objecta l'homme-dragon.

L'expression de Sven devint glaciale.

— Alors je ne donne pas cher de sa peau et d'autres personnes de ton entourage subiront les conséquences de ton choix. Au nord-ouest de Zapornia, à environ une heure de marche, tu trouveras une caverne, près de l'ancien temple. C'est ton point de rendez-vous. Tu as vingt-quatre heures maximum et tu as intérêt à venir seul avec la fille. Si tu ne respectes pas nos conditions, nous viendrons récupérer ce qui nous appartient par la force.

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