14 - UNE SALE JOURNÉE - Partie 2/2
Quand Lyria rouvrit les yeux, elle reconnut le plafond traversé de poutres en bois sombre du salon. Elle se redressa, mais une vive douleur à la tempe lui arracha une grimace.
— Reste allongée. Tu t'es cognée et tu as une belle entaille.
Elle se tourna vers cette voix familière et fut surprise de voir Kyeran à son chevet. De sa large paume, il la repoussa doucement contre les coussins du canapé pendant qu'il lui tamponnait la tête à l'aide d'un chiffon humide. Trop engourdie pour protester, elle le laissa faire et le contact de l'eau fraîche la soulagea.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Tu ne te souviens pas ? Tu as fait un malaise.
À ces mots, les images de sa conversation houleuse avec Hayden lui revinrent en mémoire et son cœur se pinça.
— Je t'ai rattrapée, mais je n'ai pas réussi à t'empêcher de te cogner contre le rebord du mur, continua le Dragyan en se grattant les cheveux avec un air embarrassé. Désolé...
Face à cette touchante attention, alors qu'ils se connaissaient à peine, Lyria sentit les larmes affluer aux coins de ses yeux. Tentant au mieux de contenir ce flot d'émotion incontrôlable qui menaçait de l'assaillir, elle respira profondément pour le refouler.
— Ta plaie saigne beaucoup, observa Kyeran, les sourcils froncés. Ta capacité de guérison n'est pas aussi efficace que la mienne.
— Je sais... c'est pour ça qu'mon père me dit toujours de faire attention. Est-ce que tous les autres Omégas étaient comme moi ?
Kyeran pencha la tête d'un air pensif.
— Les Dragyans de sang pur ont un sang très corrosif et ils guérissent plus vite grâce à cette particularité. Maintenant, pour ce qui est des Omégas, je suppose que comme ils héritent du patrimoine génétique des humains, leurs capacités se retrouvent amoindries.
Lyria évalua son hypothèse avec sérieux, puis plissa les yeux.
— Et... t'as connu d'autres hybrides avant moi ?
— Quelques-uns, oui, mais je ne les ai jamais côtoyés, donc mes connaissances à leur sujet sont un peu incomplètes.
L'ambiance se détendit et les précédentes paroles blessantes d'Hayden furent reléguées aux confins de son esprit. Il lui restait encore tant de choses à apprendre sur leur espèce, qu'elle ne pouvait pas mieux espérer que ce moment passé avec Kyeran. Le dragon en elle ronronna de satisfaction.
Pendant que Kyeran continuait de la soigner, elle se perdit dans son regard. Jamais elle n'avait vu d'yeux plus magnifiques que ces deux orbes d'un jaune vif constellés d'étoiles cuivrées. Ses joues s'échauffèrent malgré elle et quand il appliqua une nouvelle fois le tissu mouillé sur sa tempe, un de ses doigts effleura sa peau par inadvertance. Une étincelle la parcourut et ses terminaisons nerveuses s'éveillèrent. Le Dragyan sembla lui aussi ressentir l'étrange phénomène, car il sursauta légèrement et une lueur effarée traversa ses prunelles.
Emportée par son état fébrile, Lyria déglutit.
— Tu sais que t'es plutôt... beau ?
Si à cet instant, la partie la plus raisonnable de sa conscience s'offusquait de son comportement, l'autre, en revanche, sifflait d'approbation. Quand elle réalisa la portée de ses mots, ses lèvres se pincèrent, puis elle détourna le regard tandis que son soigneur s'écartait d'un pas, submergé par une soudaine timidité.
— Ça ne saigne plus, déclara-t-il d'un ton neutre, il faut laisser sécher, maintenant.
Sa subite impassibilité fut comme une gifle. Pendant qu'il pivotait pour se diriger vers la pièce voisine, Lyria sentit son cœur se serrer sans en connaître la raison et l'espace d'un instant, respirer lui devint douloureux. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? Alors qu'elle se recroquevillait contre les coussins, elle n'eut pas le loisir de se poser plus de questions. La porte du salon s'ouvrit et Hayato entra, les lèvres courbées en un demi-sourire moqueur.
— N'en profite pas pour draguer quand j'ai le dos tourné, lâcha-t-il à l'attention de l'exterminateur.
Kyeran leva les yeux au ciel.
— Et c'est toi qui dis ça ?
Le Vulpian balaya sa protestation d'un mouvement de la main et s'empara d'une chaise pour s'asseoir face au canapé.
— Tu te sens mieux ?
Lyria jeta un bref coup d'œil gêné sur le Dragyan avant de déglutir.
— Oui, il s'est bien occupé de moi.
— Bon, tant mieux, sourit-il avant de reprendre une expression plus grave, car j'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer.
Un mauvais pressentiment la submergea à l'entente de ces derniers mots. Tout en plantant son regard dans celui d'Hayato, elle sentit son estomac se crisper. Réussirait-elle à encaisser ce qui allait suivre ?
Le Vulpian entrelaça ses doigts et se racla la gorge.
— J'ai reçu les résultats. L'analyse de sang indique un taux extrêmement bas d'hémoglobines et de plaquettes ainsi qu'un grand nombre de cellules anormales. Des lymphocytes immatures ou des globules blancs si tu préfères. Ça ressemble à une dégénérescence de forme aiguë de la moelle épinière et pour être honnête avec toi, je ne sais pas si on pourra sauver ton père. La maladie est à un stade très avancé.
La femme-dragon accusa le coup et la douleur de ses entrailles nouées se diffusa dans tout son corps.
— De... de quoi souffre-t-il ?
Un pli barra le front d'Hayato.
— C'est une maladie qui a été découverte il y a environ moins de dix ans. Elle touche surtout les humains et comme c'est quelque chose de très récent, elle n'a pas encore été assez étudiée pour pouvoir lui trouver un traitement efficace.
Tout espoir se fana. Lyria avait l'impression qu'on lui infligeait une sentence. Même la peine de mort à son encontre ne l'aurait pas autant bouleversée. Pendant un bref instant, son cœur cessa de battre et son esprit partit à la dérive. Ce n'était sans doute qu'un vulgaire cauchemar dont elle se réveillerait bientôt pour s'apercevoir que rien de tout cela n'était vrai. Pourtant, la réalité la rattrapa lorsqu'Allister entra à son tour dans la pièce. Kyeran l'aida à marcher jusqu'à un fauteuil dans lequel il s'enfonça avec un soupir las avant de lever les yeux vers sa fille.
— Il t'a expliqué ? marmonna-t-il d'une voix rauque.
La Dragyanne réprima un hoquet en hochant doucement la tête. Malgré ses tremblements, elle lutta contre l'abîme qui menaçait de creuser son âme. Elle se devait de rester forte et montrer à son père qu'elle pouvait tout encaisser.
— Lyria... reprit Hayato. Ton père a besoin de soins qui ne peuvent pas se faire à domicile et doit passer des examens plus approfondis. On va devoir l'hospitaliser.
Les lèvres pincées jusqu'à se les faire saigner, elle croisa le regard navré d'Allister et alors qu'une larme roulait le long de sa joue, elle acquiesça silencieusement.
***
Le taxi à destination de la clinique privée de Zapornia venait d'arriver. Les doigts resserrés autour de ceux de son père, Lyria refusait de croire que ses jours étaient comptés. C'était trop surréaliste.
De son autre main, Allister lui caressait les cheveux.
— Ça va aller... ne t'en fais pas pour moi, ce n'est pas plus mal que j'aille là-bas, je ne peux pas continuer de te faire porter ce lourd fardeau. Tu es forte et je suis sûr que tu réussiras à t'en sortir, même si je ne suis plus là.
Ce compliment lui arracha un rictus amer.
— Tu me parles comme si t'étais déjà mort...
Un rire nasal échappa à Allister.
— Non, pas encore. J'ai bien l'intention de me battre, même si ça peut paraître sans espoir.
Elle se frotta contre sa paume, à la recherche de réconfort, et un ronronnement émana de sa gorge quand il l'enserra de ses bras protecteurs.
— J'viendrai te voir tous les jours, lui promit-elle.
Allister lui murmura quelques mots doux, puis rompit l'étreinte lorsqu'Hayato lui tapota l'épaule.
— Désolé de vous interrompre, mais il faut y aller.
Les lèvres de Lyria frémirent.
— Je peux venir avec lui ?
Hayato secoua la tête, l'expression navrée.
— Il va être immédiatement pris en charge pour passer des examens et ça prendra beaucoup de temps. Tu risques d'attendre des heures pour rien. Reste chez toi aujourd'hui, tu pourras venir lui rendre visite dès demain.
Le cœur lourd, elle acquiesça, puis le Vulpian aida Allister à prendre place à ses côtés. Le véhicule démarra et elle salua une dernière fois son père jusqu'à ce qu'il soit hors de vue. Un vide sans fin s'empara de son âme. Ses yeux n'avaient plus la force de verser des larmes et elle se sentait impuissante face au destin qui se déchaînait à son encontre.
La main de Kyeran se posa sur son épaule et, malgré les vêtements qui séparaient leur peau, son corps réagit de nouveau à ce contact. Un subtil frisson remonta depuis le creux de ses reins tandis que son rythme cardiaque s'accélérait et en un instant, sa douleur ainsi que sa peine s'apaisèrent. Quelle étrange sensation ! Pour une raison qu'elle ignorait, quelque chose en elle altérait ses émotions dès qu'elle se trouvait à proximité du beau Dragyan. Était-ce à cause de la voix de sa conscience draconique dans sa tête ou d'autre chose ? Après les épreuves qu'elle venait de subir, elle n'aurait pas été contre à recevoir un peu de réconfort, mais était-ce vraiment convenable ?
Dans un élan de lucidité, elle s'éloigna de lui. Elle devrait être en train de pleurer le départ de son père ainsi que sa rupture avec Hayden, pas de s'abandonner à des pensées lubriques.
Kyeran la considéra d'un air intrigué.
— Qu'y a-t-il ?
— Rien... soupira-t-elle.
Il sourcilla, peu convaincu, puis survola les lieux d'un regard circulaire.
— Je pense que tu as besoin de prendre l'air. On pourrait aller se promener quelque part, si tu veux. Je connais un coin sympa qui t'aidera certainement à te remonter le moral.
Lyria tressaillit face à cette proposition, puis réfléchit. Elle ne se sentait pas de profiter davantage de la bienveillance de Kyeran, mais son idée n'était pas mauvaise. Après cette dure matinée, elle avait bien besoin de s'aérer l'esprit et puis... quel était cet endroit mystérieux qu'il voulait lui faire découvrir ?
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