12 - EMBUSCADE - Partie 1/2

Devant la mine blême de Kyeran, Lyria ne put s'empêcher de lever la tête. Un frisson lui parcourut l'échine quand elle se retrouva face à d'énormes mâchoires dégoulinantes de salive et garnies de crocs aussi longs que des poignards. Une vouivre-tigre la fixait avec avidité.

Ces prédateurs excellaient dans le domaine de l'attaque embusquée et leurs fines écailles d'un marron chocolat changeaient de couleur pour se fondre dans leur environnement. Grâce à sa faculté de camouflage, la créature s'était certainement cachée bien avant leur arrivée et le cadre idyllique les avaient fait relâcher leur garde. De ce fait, ils ne l'avaient pas entendu s'approcher d'eux.

Elle sentit les relents de son haleine putride balayer ses cheveux tandis que le liquide acide continuait de ronger le tissu de sa cape en sifflant et commençait à atteindre celui de sa veste. Son cœur battait à tout rompre et ses muscles étaient tendus à l'extrême. Elle devait s'en débarrasser au plus vite, sinon la dangereuse substance s'attaquerait à sa peau.

Face à elle, Kyeran avançait doucement des doigts tremblants vers sa montre sur laquelle il appuya du bout de l'index. Au moindre mouvement brusque, le monstre passerait à l'offensive. Malheureusement, le scintillement émis par l'apparition de son épée dans sa main marqua le signal de départ du combat. La vouivre ouvrit grand les mâchoires et poussa un cri strident avant de bondir dans sa direction.

Lyria se boucha les oreilles, puis la bête la bouscula avec force, la faisant rouler dans l'herbe. Abasourdie, elle se remit tout de même très vite de ses émotions. D'un geste vif, elle arracha sa cape et la lança au loin avant de procéder de même avec sa veste. Un soupir soulagé s'échappa de ses lèvres quand elle constata que la salive visqueuse du monstre n'avait pas atteint sa tunique. Cependant, l'heure n'était plus aux réjouissances, le reptile fonçait droit sur Kyeran. Celui-ci se jeta au sol dans un roulé-boulé pour s'éloigner le plus possible tandis qu'une paire de mâchoires claquaient derrière lui dans le vide.

Autour de son cou, Lyria sentit Oz s'agiter et trembler. Elle le rassura aussitôt d'une caresse.

— Va te mettre à l'abri, on va s'occuper de cette bestiole.

Les aigrettes redressées d'angoisse, son petit compagnon ne demanda pas son reste et rampa le long de son bras pour aller se cacher sous les buissons les plus proches. Voyant que leur adversaire continuait son avancée avec le Dragyan pour cible, Lyria dégaina son poignard et concentra son éther. Un flux d'énergie échauffa son corps et circula dans chacun de ses membres avant de converger vers son arme. La lame étincela, puis s'agrandit pour former une faux au tranchant rouge vif. Enfin parée, elle s'élança vers le monstre.

Gueule grande ouverte, la vouivre-tigre poursuivit Kyeran et projeta un flot de gaz verdâtre dans sa direction. Il fit aussitôt tourbillonner son épée comme un moulin à vent. L'arme tournoya si vite que le scintillement bleu de sa magie engloutit la lame dans un halo lumineux. Le souffle empoisonné percuta de plein fouet le bouclier rayonnant formé par l'éther de glace et se dispersa en une épaisse brume cristallisée.

Lyria arrêta sa course, aveuglée par le nuage blanc, et lorsque celui-ci se dissipa, elle évalua la situation. Kyeran avait parfaitement paré l'attaque et se tenait debout, bien campé sur ses jambes. La vouivre avait détourné la tête en renâclant de mécontentement et ce fut à ce moment qu'elle repéra son point faible. La bête était borgne de l'œil gauche.

Ce fut pour elle l'occasion de passer à l'offensive.

Elle bondit alors vers une zone moins protégée du corps du reptile, là où les écailles étaient plus fines, et abattit sa faux. La lame entailla la peau avant de terminer sa course en s'enfonçant dans l'articulation de l'aile. Un affreux craquement d'os brisé retentit sous l'impact et un flot de sang sombre jaillit de la plaie béante.

Folle de rage, l'énorme créature poussa un effroyable cri de douleur et se tourna vers Lyria. Son unique œil rouge et brillant comme un rubis la fixa avec un dédain furieux. C'était la première fois qu'elle observait un tel prédateur et elle jaugea le spécimen qui lui faisait face.

La vouivre-tigre ressemblait en tout point à un dragon, mais s'en différenciait par sa taille plus modeste et l'absence de membres supérieurs. Sa livrée écailleuse chocolat zébrée de fines rayures noires contrastait avec un ventre plus clair, rappelant l'aspect de certains serpents forestiers. Au-dessus de son crâne, ses arcades sourcilières se prolongeaient en deux cornes effilées tandis que sa crête épineuse, peu développée, courait le long de son échine et se terminait à la pointe de la queue par un aiguillon venimeux.

Le reptile boita dans sa direction, les mâchoires ouvertes sur des crocs aiguisés pendant que sa queue fouettait l'air. Après un énième grognement rauque, il releva le museau vers le ciel et sa gorge enfla.

— Fais attention ! la prévint Kyeran. Elle va cracher !

Lyria tressaillit et se retourna vers lui, les mains fermement ancrées au manche de sa faux.

— Cracher ? Comment ça, cracher ?

— Ne t'occupe pas ! Esquive ! continua-t-il de crier tout en accourant vers elle.

Elle ne comprit l'urgence de la situation que lorsque la vouivre redressa la tête pour projeter avec violence une vague suspecte. Cependant, Lyria réagit promptement et sauta juste à temps sur le côté pour éviter l'attaque. Se remettant aussitôt en position de défense, elle constata les dégâts non loin d'elle avec des yeux ronds. Un liquide verdâtre et visqueux semblable à celui sur sa cape collait aux herbes sèches et aux écorces des arbres. Les végétaux ne tardèrent pas à se décomposer, brûlés par le puissant acide. Un frisson la parcourut et ses membres tremblèrent, sous le choc. À quelques secondes près, elle finissait dissoute par cette substance dégoutante.

Furieux d'avoir manqué sa cible, son adversaire grogna de rage. Lyria se raidit instantanément et ses doigts resserrèrent leur prise autour de son arme, mais Kyeran ne laissa pas le temps à la vouivre de réitérer son attaque. Comme un ange tombé du ciel, il bondit au-dessus de la créature et abattit son épée avec force sur le crâne écailleux. Un arc phosphorescent déchira l'air et sectionna une corne.

Le monstre rugit de douleur, puis l'exterminateur fondit ensuite sur son flanc droit et porta un nouveau coup vertical. Sans lui laisser le temps de riposter, Kyeran frappa encore et encore. Les impacts formaient des jets de lumière bleutée et dégageaient des souffles glacés. La vouivre réussissait à parer quelques attaques en se protégeant avec sa queue, mais le Dragyan demeurait plus rapide dans l'exécution de ses mouvements.

Lyria le contemplait d'une expression béate. Elle admirait sa ténacité et son courage. L'idée de se battre à ses côtés exacerba sa détermination et une force incroyable bouillonna dans ses veines. Concentrant de nouveau son éther dans sa faux, elle s'élança à son tour et alterna les assauts avec Kyeran sans vraiment réfléchir. Seule leur survie comptait. Elle ne voyait plus que son ennemi. Elle avait le sentiment que plus rien ne pouvait l'atteindre.

Sa lame fendait l'air, créant des éclairs rougeâtres, puis percuta la mâchoire bardée de crocs du reptile volant. L'onde de choc déployée repoussa la bête dont la tête obliqua vers l'arrière et elle profita de ce court instant de relâchement pour porter une nouvelle attaque décisive.

Unissez vos forces, gronda alors le dragon en elle.

Elle jeta un bref coup d'œil à Kyeran.

— Si on y va ensemble, on y arrivera !

Il acquiesça avec un sourire à la fois fier et subjugué. Synchronisant leur offensive, ils fondirent tous les deux sur leur adversaire et levèrent leur lame simultanément pour effectuer une frappe croisée. Pendant un court instant, Lyria ressentit ce qu'elle n'avait jamais éprouvé jusqu'alors : c'était comme si Kyeran et elle avaient fusionné et qu'une seule et même entité combative les commandait. C'était déstabilisant et pourtant, cela leur permit de porter le coup final.

La gueule pointée vers le ciel, la vouivre-tigre tenta une ultime attaque, mais un long râle d'agonie accompagné de gargouillis étranges s'échappa de sa gorge. Elle chancela, puis s'effondra lourdement au sol. Quelques soubresauts animèrent sa queue à l'aiguillon meurtrier et elle s'immobilisa.

Le combat était terminé.

Pantelante, et les jambes encore tremblantes, Lyria observait la dépouille d'un air perplexe. Jamais dans sa vie elle n'avait ressenti autant de fierté d'avoir abattu un tel animal, pourtant, cette victoire lui laissait un goût amer. Une sorte de mal-être l'envahissait, comme un mauvais pressentiment.

— Son sang... tu as vu ? Il est sombre, fit-elle remarquer à Kyeran.

Il examina à son tour le cadavre avant de conclure :

— Elle commençait à contracter le Fléau.

— Mais elle n'avait pas de taches noires sur le corps.

— Il faut quelques heures pour que les symptômes extérieurs apparaissent. Elle venait peut-être juste d'être infectée.

Lyria le considéra d'un regard pensif tout en triturant le manche de sa faux pendant qu'Oz ressortait des feuillages pour revenir s'enrouler à sa place préférée.

— En tout cas, tu m'as impressionné, reprit le Dragyan en rengainant son épée. En plus d'être une excellente forgeronne, tu es une bonne combattante. Tu devrais rejoindre une guilde de traqueurs.

Elle le dévisagea d'abord avec un air surpris, puis évalua sa proposition avec sérieux. Il n'avait pas tort. Ce serait plus gratifiant d'exercer un travail honnête plutôt que de continuer d'effectuer les basses besognes de ses vils supérieurs, mais pour cela, elle devrait quitter les Red Skulls. Malheureusement, sa démission ne serait pas aussi simple à poser, car ils n'accepteraient sa requête que sous certaines conditions.

— Merci, mais tuer des bestioles, ce n'est pas mon truc, répondit-elle finalement avec une pointe de regret dans la voix.

Les épaules de Kyeran semblèrent s'affaisser de déception, mais il n'insista pas. Au lieu de cela, il porta instinctivement sa main sur la garde de son épée et son expression se rembrunit. Si les abords de la rivière étaient redevenus paisibles et propices à la détente, ce fut de courte durée. L'horrible atmosphère qui régnait auparavant les assaillit de nouveau. Lyria agrippa fermement le manche de sa faux lorsqu'autour d'eux, six silhouettes sombres surgirent de sous le couvert des arbres. Une meute de vouivres-tigres les avait encerclés, et parmi elles, trois étaient infectées à un stade avancé du Fléau.

Kyeran grinça des dents.

— J'avais oublié que cette espèce chassait en groupe...


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