Chapitre 18

Madame de Douarnez pinça ses lèvres de dépit, puis cracha :

"Virginie."

"Bien sûr, Virginie. Après toutes ces années, elle venait rompre la paix que mon cousin avait un tant soit peu retrouvée. Comment avait-elle fait pour trouver sa maison? Le nom de sa femme? Car ce n'était pas Maël qu'elle avait demandé à voir."

"Je me tournai vers le domestique et lui dit:

'Il ne serait pas très judicieux de la laisser entrer.

-Bien sûr, faites-la venir.'

Je m'apprêtais à protester, mais ma belle-cousine me coupa:

'Iris, je pense être capable de m'occuper des gens que je reçois toute seule.'

Je ne répliquai rien. Elle avait raison. Elle était chez elle, et je n'étais qu'une invitée. Mais Amal, après cette remarque un peu sèche, sembla ne plus faire cas de mon initiative cavalière et voua toute son attention à la nouvelle arrivante.

'Soyez la bienvenue, Madame', annonça-t-elle en se levant pour l'accueillir."

"Pour tout vous dire, je n'avais pas vu Virginie depuis environ six ans, et le fait de la rencontrer à nouveau me laissa une étrange impression. Je ne m'étais jamais retrouvée face à elle. Je l'avais toujours observée de loin, et elle m'était toujours apparue belle, confiante, resplendissante. Mais à présent que je l'examinais de près, je pus conclure que le mariage ne lui seyait pas non plus. Non pas qu'elle fût devenue laide ; loin s'en fallait. Elle avait juste largement perdu son éclat, son énergie, son aura séductrice qui faisait que tous les jeune hommes bien nés tournaient autour d'elle. L'ennui et le désespoir d'une union stérile avec un vieil aristocrate rompu à l'art d'épouser les demoiselles l'avaient sans doute refroidie. J'aurais dû me réjouir ; à priori, elle n'avait que ce qu'elle méritait. Il n'en fut rien. Elle réussit même à me peiner.

'Je vous en prie, asseyez-vous près de moi', l'invita Amal.

Virginie s'assit sous mon regard suspicieux, décontenancée par tant de gentillesse, puis se releva, et s'exprima à son tour.

'Madame, il semble que vous ne déméritiez pas les grâces que l'on vous accorde dans les environs. Je vous remercie de m'accueillir, alors que je me montre aussi impolie. Je suis Virginie Chailly de la Boissière.

-Et moi Amal de Péradec. Je vous avoue avec honte ne jamais vous avoir rencontrée, alors que la famille de mon mari semble bien vous connaître. J'en suis désolée.'

Je vis Virginie pâlir sous la violence du coup que venait de lui asséner ma belle-cousine sans même s'en rendre compte. Elle répliqua tout de même avec complaisance :

'La faute est mienne. Vous vous êtes installée il y a peu en France ; j'aurais dû vous rendre visite plus tôt. Je suis une vieille amie de Monsieur de Péradec.'

J'ouvris de gros yeux, mais Amal me coupa l'herbe sous le pied en annonçant :

'Les amis de mon mari sont toujours les bienvenus sous ce toit, bien entendu. Hélas, je ne les connais pas tous. Avez-vous pu au moins assister au baptême?'

Même si elle me faisait pitié, je prenais plaisir à la voir réaliser peu à peu ce qu'elle avait perdu. Maël n'était certes pas un cadeau, mais c'était tout de même mieux que sa situation actuelle.

'Le baptême, se rattrapa-t-elle. Non, je n'ai pas eu ce bonheur. Hélas.

-Quel dommage.'

Ma belle-cousine lui désigna le berceau de la main, tout sourire.

'Venez donc le voir, je vous en prie.'

Virginie s'avança, malgré ses réticences. Après tout elle devait donner le change. Moi, je les suivis du regard, spectatrice muette mais ô combien enthousiaste de sa déchéance. Elle déglutit, le visage fermé, avant se forcer à étirer un peu ses lèvres.

'Félicitations, lâcha-t-elle enfin. Il est adorable.

-N'est-ce pas? Et robuste, et calme, avec cela.

-Il tient sûrement de son père.

-Oh, sa mère aussi est un exemple de calme et de patience, intervins-je. Qui se ressemble s'assemble, dit-on.'

Amal ne me reprit même pas. Ce fut Virginie qui me lança un regard noir, auquel je répondis par un grand sourire, bien entendu. La maîtresse de maison finit tout de même par lui demander:

'Je suppose que vous vouliez rencontrer Monsieur de Péradec?

-En effet. Mais je pense avoir été assez disruptive pour aujourd'hui.

-Madame.'"

"J'espérais vivement qu'elle parte, mais Maël venait d'écourter mes attentes. Il avait sûrement dû voir notre scène depuis la fenêtre de son bureau, et se trouvait à présent derrière moi. Par conséquent, il ne put voir mon air profondément déçu, que j'effaçai bien vite en me tournant vers lui.

'Tu arrives toujours à point, mon cousin', fis-je remarquer avec ironie.

Mais il ne me prêta aucune attention, son regard rivé sur celui, suppliant, de son ancien amour. Il s'adressa cependant à Amal:

'Madame Chailly de la Boissière et moi avons à parler. Puis-je?

-Bien sûr', acquiesça ma belle-cousine de son air toujours innocent.

Comme Maël partait avec Virginie, je me rapprochai d'Amal. Cette histoire m'alarmait, et il fallait qu'elle soit alertée de ce qu'il se tramait sous son toit.

'Savez-vous qui est cette femme? lui demandai-je précipitamment. Ce qu'elle veut? Ce qu'elle a l'intention de faire? Vous êtes trop gentille pour votre propre bien, Amal.'

Je m'attendais à un moue surprise, au mieux à de la méfiance. Mais ma belle-cousine, à ma plus grande stupéfaction, me rendit un sourire désabusé.

'Croyez-vous vraiment que je ne l'avais pas compris?

-Et bien...

-Je sais qui elle est. Ce qu'elle est venue faire. J'ignore juste pourquoi elle n'est pas venue plus tôt. Mais une chose est sûre.'

Son expression changea du tout au tout. Déçue, elle devint confiante. Lasse, elle devint implacable. Non, ce n'était définitivement pas Lorelei.

'Maintenant, reprit-elle, elle sait que je suis sa femme et que je lui ai donné un fils, en très bonne santé et à l'avenir bien plus certain que le sien.'

Je retins un éclat de rire, prise à la fois de surprise et d'enthousiasme face à cette facette inattendue de la personnalité d'Amal.

'Seigneur, alors vous pouvez aussi vous montrer froide et calculatrice? Mais quelles choses nous cachez-vous encore?

-Aucune. J'essaye juste d'assurer ma position d'épouse légitime, et aussi celle de mon fils légitime.

-Et votre intention est tout à fait louable. Seulement...'

Je me tus. Ma franchise finirait par me perdre.

'Dites-le, Iris.

-Je ne m'attendais pas à son retour.

-Je ne m'en offusque pas, Iris.

-Comment cela?

-Elle le connaissait avant moi, et... ce n'est pas comme si nous avions vraiment souhaité ce mariage, vous savez. Maintenant que j'ai clarifié nos positions respectives, je m'inquiète davantage qu'elle soit une femme mariée. Si mon mari venait à... la fréquenter, j'aurais bien plus peur que son mari nous demande réparation.'

Malgré son ton indifférent, je ne pus que constater la tristesse dans son regard. Quand elle se rendit compte de mon air compatissant, elle changea de sujet, sûrement pour m'empêcher toute parole de réconfort.

'Amaury doit aller se nourrir. Si cela ne vous dérange pas, je dois l'amener à sa nourrice. Il sera mieux à l'intérieur.

-Je vous en prie.'

Je la suivis des yeux alors qu'elle rentrait, puis m'assurai qu'elle ne pouvait plus me voir pour partir en direction de la roseraie."

"Je sus tout de suite où ils s'étaient cachés en suivant les murmures précipités de Virginie. Je m'arrêtai derrière un mur à moitié effondré - le précédent propriétaire y avait sans doute trouvé quelque chose de romantique - et retins presque ma respiration pour les entendre.

'Toutes ces années, où j'ignorais ce qu'il était advenu de vous... N'avez-vous donc pas eu pitié de moi?

-Les auriez-vous au moins reçues? répondit Maël sur un ton inflexible. Ou même lues ?

-Je...

-Vous m'avez menti.

-Je n'ai pas eu le choix. Qu'auriez-vous dit, si je vous avais avoué être fiancée ?

-Je ne vous aurais pas poursuivie de la sorte.

-Bien sûr. Certainement. Et moi, je me serais contentée de vous admirer de loin.'

Un silence s'ensuivit, puis Maël avoua:

'Monsieur Faure m'a conseillé de ne pas entretenir de correspondance avec vous. Il m'a dit qu'il serait mieux que je ne cherche pas à vous contacter, car mon acte pour le moins cavalier vous avait effrayée, et qu'il valait mieux que le scandale qui allait s'en suivre s'étouffe de lui-même, avant que je lui demande votre main.'

Je pouvais même imaginer les yeux emplis de dévotion de Virginie. Voir ses fiançailles rompues était définitivement rédhibitoire pour l'image d'une jeune fille, surtout quand on connaissait les raisons de cette rupture. Et Maël qui arrivait tel un chevalier blanc pour la sauver de sa future misère conjugale alors qu'il était lui aussi à l'origine de ce scandale devait lui plaire, malgré toute l'antipathie que j'éprouvais pour cette idée.

'Vous vouliez m'épouser ?' s'enquit-elle d'une voix pleine d'espoir.

Je détestais ce à quoi j'étais en train d'assister. Je me rendais enfin compte qu'on ne lui avait pas laissé non plus le choix. Et je commençais à avoir pitié d'elle.

'Il est inutile d'en parler, à présent, se résigna mon cousin.

-Non! Au contraire. Ce que je viens d'entendre est loin de me déplaire.'

Je m'appuyai légèrement sur le muret pour observer la scène, curieuse. Juste à temps pour voir Virginie se hausser sur la pointe des pieds, le visage offert, la bouche en bouton de rose... et Maël se détourner d'elle. Revenue totalement sur terre, incrédule, elle réussit à articuler:

'Mais. . . mais... je ne comprends pas.

-Comme je viens de vous le dire, il est inutile d'en parler, à présent, lui rappela Maël, impassible. Vous êtes mariée, je le suis aussi. Il n'est pas dans mes intentions de vous nuire en cédant à des passions vaines.

-Vous ne me nuisez pas! Je vous le jure! C'est... oh, Maël! Je souffre davantage en pensant que je ce baiser volé à la Comédie Française est le dernier que je recevrai de vous!

-Vous considérez peut-être que cela ne vous nuira pas, certes. Mais j'ai aussi une femme, comme vous avez un mari. Cela leur nuira, assurément. Ce serait leur manquer terriblement de respect.'

Madame du Chailly eut un sourire sarcastique, l'espace d'une fraction de seconde. Elle ricana, puis répondit d'un ton acide:

'Je vois que le vent tourne rapidement, dans cette partie de la France.'

Maël baissa les yeux, et elle s'apprêtait à ajouter quelque chose. Mais ce fut ce moment-là que la pierre qui me soutenait choisit pour se dérober. Je trébuchai, privée d'équilibre, et me retrouvai juste devant les anciens amants, pris en flagrant délit. Nous nous regardâmes pendant quelques instants comme des idiots, puis Virginie dut penser avoir eu son compte d'humiliations, et fuit de la scène du crime les larmes aux yeux. Ne restaient plus que mon cousin, le regard noir, les lèvres serrées, visiblement en colère, et moi qui, bien que légèrement gênée, me demandais tout de même ce qu'il venait de se passer. Mais avant que je n'aie pu ouvrir la bouche, Maël poussa un profond soupir.

'Si tu as fini de jouer la commère pour le compte de ma femme, Iris, va-t'en. Retourne chez tes parents. J'ai bien trop d'ennuis pour supporter ta présence permanente chez moi.'

Vexée, je m'inclinai avec révérence et disparus de sa vue sans un mot. Mon orgueil était certes blessé, mais cela passait après la foule d'émotions qui m'assaillait de toutes parts. Virginie Faure n'était pas si horrible que je le croyais, Amal n'étais pas si réservée que je le croyais, Maël se retrouvait profondément blessé de sa rencontre avec sa première passion, mais était resté fidèle malgré ses passions, et moi, j'allais retourner à la vie monotone de la maison de mes parents, loin de toute cette agitation qui m'aurait assurément occupée jusqu'à la Noël."

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Bonjour à tous!

Je viens juste de sortir de ma première semaine de partiels, et de vacances particulièrement intenses en matière de séances de révision. Par conséquent, je suis vraiment désolée pour tous ces chapitres disséminés dans l'année. Ce semestre a été éprouvant, tant en matière d'événement (je pense qu'il a aussi dû être éprouvant pour vous) qu'en matière de travail donné par l'université. Je profite donc de pouvoir faire la grasse matinée demain pour publier cette partie X).

J'espère que vous allez tous bien, et que la situation n'est pas trop stressante pour vous. D'après ce que j'ai compris, ils vont modifier les épreuves du bac en France à cause de la situation sanitaire. Je ne sais pas ce qu'il en est dans d'autres pays.

Bonne continuation et prenez soin de vous!

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