Chapitre 1

Iris poussa un soupir agacé.

"Et bien faites-le venir! Que voulez-vous que je vous dise?"

Marthe acquiesça et repartit aussi discrètement qu'elle était entrée. Quelques minutes après son départ, l'invité quelque peu attendu fit son apparition. Bien habillé, au début de la quarantaine, un petit air hautain sur le visage, il les salua poliment avant de ne s'adresser qu'à la vieille dame:

"Madame, vos neveux m'envoient une nouvelle fois pour...

-Docteur, par pitié faites ce que vous avez à faire et finissons-en. Vous savez très bien que je ne suis pas folle.

-Je me dois de le vérifier à chacune de mes visites, Madame de Douarnez. De plus, Monsieur d'Arcourt m'a alerté sur un possible début d'hystérie...

-De l'hystérie(1)!

-Oui, Madame, de l'hystérie. Il est venu à sa connaissance que vous aviez manifesté des symptômes récemment.

-Et comment le sait-il? Il ne vient jamais me voir.

-Des gendarmes peuvent en témoigner."

Iris, abasourdie, resta un moment muette avant de partir d'un rire sardonique, puis de s'écrier:

"Des mauvais plaisantins étaient allés raconter à qui veut l'entendre que mes domestiques m'avaient assassinée! Certainement, je pouvais être en colère!

-En effet. Mais l'état de fureur dans lequel vous vous mettez régulièrement m'inquiète sérieusement. Vous allez avoir cent ans et vous dirigez encore théoriquement une entreprise; il serait peut-être temps de passer la main.

-Un seul ouvrier s'est-il jamais plaint sur ces dix dernières années de m'avoir comme dirigeante?

-Pas à ma connaissance, Madame.

-J'ai de très bon seconds, auxquels je délègue mes responsabilités. Mais il est hors de question que je donne quoi que ce soit à ces charognards !

-Je ne me mêlerai pas de cette affaire ; je viens juste faire mon travail, Madame. On m'a appelé pour vous examiner.

-Et bien faites-le, votre travail ! Allez-y !"

Le médecin procéda silencieusement, dubitatif. Après avoir regardé ses yeux, vérifié son cœur et ses réflexes, l'avoir testée avec plusieurs questions de mémoires – auxquelles elle répondit toutes - il déclara :

"Je ne vois aucun problème, à part ces crises de colère inopinées. Mais je crois que nous en avions déjà parlé.

-Docteur, vous m'examinez depuis assez longtemps pour savoir que j'ai toujours eu un très fort caractère."

Il rit et opina, avant de se tourner vers le biographe.

"Je presume que vour devez être un assistant de Madame de Douarnez."

Théophile se leva et lui serra la main.

"Théophile Dieudonné, se présenta-t-il. Son biographe. Je vois Madame de Douarnez tous les jours, et je puis vous assurer qu'aucune crise d'hystérie n'est survenue depuis que je suis là. Sa mauvaise humeur est constante.

-Merci de votre soutien, le scribe ! Je m'en souviendrai.

-Je l'espère, Madame."

Le médecin se présenta à son tour:

"Docteur Roux, officiant à Nantes.

-Vous venez spécialement pour Madame de Douarnez de Nantes ?

-Exactement. Mais j'ignore pourquoi ; je ne suis pas psychiatre. Sur ce, Madame, Monsieur..."

Quand il fut parti, Théophile demanda:

"Croyez-vous qu'il se prononcera contre vous? 

-J'ose encore estimer qu'il est raisonnable! Le Docteur Roux est un médecin de famille; ils l'envoient tous les six mois pour qu'ils me déclarent sénile sans avoir à payer un professeur en psychiatrie, mais je pense qu'il commence à être habitué par l'obsession de ces charognards. La prochaine fois, il les enverra paître. Il a autre chose à faire."

Le biographe en était moins sûr, mais il sentait que quelque chose devait dissuader le médecin. 

"Pouvons nous continuer?" s'enquit-il. 

La vieille dame sembla sortir brusquement de ses pensées. 

"Oui; mais où en étais-je?

-Votre père vous demandait de partir accueillir votre cousin.

-Ah, oui."

"Cela ne me faisait qu'à moitié plaisir; biensûr, j'étais heureuse de revoir la première Maël, et de découvrir sa mystérieuse femme. Mais l'idée de laisser ma sœur toute seule juste avant qu'elle parte définitivement dans un autre foyer que le mien me serrait le cœur. J'acceptai cependant; il fallait bien que quelqu'un se dévoue, et mes parents avaient bien trop à faire pour organiser le mariage au manoir. La mairie et l'église seraient mobilisées, et la cour d'entrée serait encombrée de dizaines de tables pendant quatre jours."

"Lorelei me regarda tristement aider Agathe à faire mes bagages. 

'Dois-tu vraiment partir au moment où j'ai le plus besoin de toi?' me demanda-t-elle, peinée.

Je reposai une pile de linge; la situation aussi me chagrinait. Mais je décidai de sourire; habituellement, c'était moi la sœur cadette au comportement puéril. A présent, je devais me montrer un tant soit peu responsable pour elle, qui allait définitivement quitter l'enfance et l'environnement protecteur de notre maison. 

'Qui irait guider Maël et sa femme, dans ce cas? répliquai-je joyeusement en me retournant. La pauvre, l'imagines-tu arriver dans un pays totalement inconnu avec notre cousin? L'homme le plus taiseux et renfrogné sur Terre? Non, vraiment, je dois m'assurer de sa santé mentale quand elle arrivera. Il en dépend aussi du bon déroulement de ton mariage!'

Je la vis rire, et cela me rassura un peu. 

'Il me tarde de rencontrer notre belle-sœur, me confia-t-elle. J'espère que nous nous entendrons bien. 

-Dans le cas contraire, nous disposons d'un lac à proximité, proposai-je.

-Iris! s'indigna-t-elle, horrifiée. 

-Je plaisante, ma chère sœur! Je suis sûre que nous nous entendrons très bien avec elle. Tout sera mieux que Virginie Chailly de la Boissière.'

L'expression de Lorelei se fit soudain mauvaise. Elle approuva:

'Tant que nous n'avons pas à supporter sa supériorité vaine lors des réunions de famille... 

-Exactement!' lui répondis-je après un instant d'étonnement.

Elle sourit, de nouveau posée et sereine. 

'J'aimerais juste que tu me fasses part de ton avis sur ma robe; la modiste vient d'arriver.'"

"Elle venait de Nantes, cette modiste. Elle ne travaillait pas avec la toute dernière mode, mais ses mains expertes réussissaient à créer de vrais petits bijoux. C'était le cas de la robe de mariée de Lorelei. D'un blanc virginal, le satin seyait magnifiquement à son teint de porcelaine. La taille, marquée par un ruban bleu pastel, rappelait ses yeux; la couturière y avait piqué des roses en tissu. Les manches longues bouffaient jusqu'aux poignets, mais les épaules peu couvertes  répondaient aux exigences vestimentaires de notre classe en matière d'élégance. La jupe était doublée de deux étages dentelle délicate; elle gonflerait avec l'appui de nombre de jupons intermédiaires. Le voile rebrodé flottait gracieusement dans le dos de ma sœur, accroché à son chignon.

'Tu ressembles à la reine des Belges le jour de son mariage', déclarai-je. 

Moi qui voulais faire une comparaison majestueuse, je revins bien vite à la réalité sous le regard plein de reproches que m'adressa ma mère. Louise d'Orléans avait été mariée deux ans auparavant à Léopold Ier, roi de Belgique, et la célébration ne s'était pas vraiment déroulée comme prévu. La jeune femme, du même âge que Lorelei, n'appréciait pas son futur époux, de vingt ans son aîné, et la rumeur disait même qu'elle avait pleuré durant la messe(2). 

'Ton apparence royale seulement, tentai-je de me rattraper. Sans toute l'histoire qui tourne autour. 

-Merci, Iris, me coupa ma mère. Tu es ravissante, Lorelei. Monsieur d'Arcourt croira rêver en te voyant.'

Ma sœur, en atours de princesse, nous adressa un sourire comblé. Elle n'avait pas mal pris ma remarque. 

'Les chaussures doivent arriver dans la semaine, ajouta ma mère. Ton père ira chercher le collier de perles à la bijouterie demain; c'est un cadeau de ton parrain, tu n'oublieras pas ne le remercier quand il arrivera. 

-Biensûr, Maman. 

-Quant à la coiffure, j'espère qu'Agathe et Iris seront de retour à temps. 

-Si aucun incident ne survient pendant notre voyage et que le bateau arrive à la date prévue, nous y arriverons, promis-je. Nous arriverons tout juste, mais il n'y a aucune raison que quelque chose arrive.

-Je vais prier pour cela, indiqua ma mère. Où en sont tes bagages?

-Agathe est en train de les finir.

-Alors file la rejoindre pour l'aider! Je viendrai tout à l'heure pour vérifier que tu as emporté ce qu'il faut.'"

"J'allais loger chez mon parrain, Bertrand d'Auzets, partenaire commercial de mon père, que je n'avais pas revu depuis mon baptême mais qui prenait le soin de faire livrer à tous mes anniversaires un joli bijou que je rangeais dans une boîte en attendant une occasion de le mettre sans prendre le risque de le casser. Comme il possédait un hôtel sur Marseille pour le loisir et que lui se trouvait à Paris pour son travail, il me le prêtait généreusement. Selon sa lettre, 'il n'allait pas laisser des dames dormir dans une auberge, et en particulier sa filleule'."

"Je partis le lendemain de l'Assomption(3), dont Agathe et moi ne pouvions manquer la messe - qu'auraient dit les villageois! Mon père nous avait prêté la voiture et notre cocher, Henri. Je n'avais finalement emporté que peu de vêtements; trois malles, et deux sur trois étaient pour ma future belle-cousine et mon cousin. Il fallait qu'ils soient présentables!"

"Le voyage nous prit douze jours environ. Ce fut le voyage le plus éprouvant que je vécus, mais aussi le plus vivifiant. Agathe se plaignait sans cesse qu'il n'y avait aucun confort pour moi, mais je me sentis plus libre que jamais. Nous roulions dix heures par jour; de sept à douze heures et de deux à sept heures. Nous nous arrêtions deux heures pour dîner, puis le soir pour nous reposer et reposer les chevaux. Je n'ai jamais entendu Agathe dire autant de fois:

'Mademoiselle, Iris! Que diraient vos parents?'

Il est vrai que je me permis quelques écarts, comme monter à la place d'Henri, plonger mes pieds dans les ruisseaux que nous croisions, tenter de grimper aux arbres... Malgré mes vingt ans, Henri et Agathe firent preuve d'une patience d'anges. Quand le paysage se mit vraiment changer, qu'il devint plus sec, plus aride, ma bonne me prit à part. 

'Jusque là, Mademoiselle, nous vous avons laissé faire ce que bon vous semblait. Quand nous arriverons à Marseille, ce qui ne saurait tarder, je veux que vous cessiez de vous comporter comme une enfant sauvage. 

-Mais Agathe, j'ai juste profité de la liberté que j'avais... 

-... pour faire ce que bon vous semblait. Mais vous ne devez en aucun cas prendre de mauvaises habitudes. Comprenez-vous? J'espérais jusque là que votre bon sens se rappellerait à vous. Dès demain, vous vous montrerez en jeune femme exemplaire. Votre mère vous a confiée à moi; que penserait-elle si elle vous voyait avec des brindilles dans les cheveux? 

-Que je suis une enfant inconsciente et capricieuse? C'est ce que l'on me répète depuis un certain temps déjà.'

Agathe soupira. 

'Iris, écoutez-moi. Vous représentez une famille respectable dans une ville où elle est encore inconnue. Dans quel but Monsieur de Douarnez vous aurait-il envoyé à Marseille?'

Là, je compris. Ce n'était pas pour que je ne sabote pas les préparatifs de mariage, ou parce qu'il ne restait que moi; mon père me mettait à l'épreuve. Il voulait voir si, loin de lui, je me comportais dignement.

'J'ai échoué, n'est-ce pas? 

-Il nous reste encore quelques jours. Si vous arrivez à vous contrôler, je pourrai peut-être convaincre Henri de ne rien dire.'

Un élan de joie m'emporta, je baisai la joue de mon ancienne nourrice avant de retourner à la voiture. Marseille n'attendait que nous; mon cousin aussi."

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(1)Vous connaissez tous l'idée que quand une femme se met en colère ou exprime son avis avec force, elle est forcément hystérique? Et bien ça nous vient du XIXème siècle. Voilà. Et d'ailleurs, l'hystérie (ô hasard), viendrait, selon certaines théories de l'époque, des vapeurs toxiques du sang menstruel que nous retenons, et certains médecins préconisaient la stimulation clitoridienne et vaginale pour la faire passer. C'est ainsi qu'est né le vibromasseur, Messieurs-Dames. C'était la petite minute histoire de la science. 

(2)Louise d'Orléans, fille de Philippe d'Orléans, n'a pas vraiment apprécié qu'on la marie au roi des Belges. Il avait vingt ans de plus qu'elle, était luthérien alors qu'elle était catholique, avait des mœurs très austère et faisait une tête d'enterrement à chaque événement public. Après la cérémonie, quand il a fallu qu'elle parte avec son mari, il paraît que toute sa famille s'est jetée dans ses bras, et que même son père était en larmes (oui, Louis Philippe, le dernier roi de France, descendant du frère cadet du Roi Soleil). Mais bon, après, la relation conjugale s'est plutôt améliorée, puisque Léopold Ier s'est révélé très correct et aux petits soins (avant de la tromper vers la fin de sa vie)

(3)soit le 16 août

J'ai trouvé Lorelei!

C'est Amanda Seyfried dans Les Misérables. Très franchement, je vous conseille de voir le film, même si c'est une comédie musicale, juste pour voir ce que portaient les hommes en 1830. Leur travail pour les costumes masculins, même les coiffures, a été très bien fait. Surtout pour les amis de l'ABC. Même le décor est peaufiné dans les détails. TOUT est écrit en Français!
Par contre les costumes féminins ne sont pas ai top question histoire, surtout les coiffures. Enfin, ce n'est que mon humble avis. Les costumes le plus respectueux, je dirais, sont ceux des femmes en arrière plan. Pour les personnages féminins principaux comme Cosette, ils ont voulu les rendre plus beaux du point de vue de notre époque, et je trouve ça dommage. Mais bon, on peut leur trouver un point positif; elles avaient toutes l'air de porter des corsets, et ça, ça m'a plu!

Je vous ferai un petit point à propos des corsets dans les films et séries historiques une autre fois, parce qu'il y a beaucoup de choses à dire.

Bonne journée/soirée à tous!

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