Chapitre 7
"Je crachai tripes et boyaux toute la nuit, et les jours d'après, puis cela me passa. On me laissa monter sur le pont pour prendre l'air quand je promis que je ne le salirais pas.
'Tu commences à prendre le pied marin, me félicita Esteve en arrivant à ma hauteur. Bientôt, tu pourras faire le tour du monde.
-Si on s'en sort, j'te jure sur ta Bonne Mère que j'rentre chez moi et que plus jamais j'quitte mon village.
-Tu as tort, teste d'apí. Ça te ferait du bien de changer d'air.
-Ça veut dire quoi, ça, encore?
-Tronche de céleri. Parce que tu es encore tout blanc de ton expérience maritime.
-T'es gentil, avec tes surnoms, mais ça fait pas forcément plaisir quand tu sors du trou.
-Oh, pardon! Je croyais que ça te ferait rire.'
Il cessa de se moquer quand il aperçut Maël à quelques pas.
'Oh, l'aristo! Viens un peu ici, qu'il est sorti de la cagade, ton ami!'
Maël approcha et mit une main amicale sur l'épaule.
'Je suis content pour toi. La Bonne Mère a finalement entendu tes prières.
-Merci, M'sieur.'
Son humeur s'assombrit d'un coup.
'S'il y a bien une chose que tu pourrais faire pour me rendre service, Donatien, ce serait de m'appeler par mon prénom. Nous sommes tous dans la même galère. Je n'ai pas besoin que l'on me rappelle constamment que je ne suis pas le bienvenu.
-Mais... mais j'suis respectueux! Pas comme Esteve...
-C'était ça ou 'cul-cousu', nous prévint ce dernier.
-En fait, t'es vraiment fatiguant, confirmai-je. Comment elle a fait, ta mère, pour t'élever?
-Je me suis élevé tout seul', déclara-t-il comme s'il se fût agi d'une évidence.
Cette réplique eut don de nous faire taire. Si Maël était sans aucun doute le benjamin de notre groupe, Esteve Fabrès paraissait plus jeune que moi. Mon père nous avait quittés tôt; c'était un homme bon, et juste, mais ma mère avait su pallier à cette disparition et, honnêtement, je n'avais pas vraiment eu le temps de m'apitoyer sur notre sort. Mais ne pas avoir de parents, c'était autre chose.
'C'est possible, ça, d's'élever tout seul?
-Dès que j'ai pu gagner mon pain, oui.'
Il posa sa main sur le bastingage.
'J'ai fait plusieurs voyages en bateau, d'ailleurs. Pour gagner un peu d'argent. Gênes, Athènes, Alicante, Porto... Je suis allé jusqu'à La Rochelle. Belle petite ville. Mais il fait froid, là-bas.'
Il rit franchement, et je le suivis.
'C'est pour ça qu't'es bien, sur un navire comme ça, conclus-je. Mais M'sieur de Péradec, il a grandi dans l'même endroit que moi.'
J'entendis le concerné grogner quand je lui donnai 'Monsieur', mais ne le fis pas remarquer quand il répliqua:
'Je ne suis pas né dans le même village. J'ai déjà vu l'océan, et il est plus agité que la Méditerranée.
-C'est vrai que l'Atlantique est un cas. Enfin, je ne suis pas non plus un grand explorateur. Je le faisais parce qu'il fallait bien manger.
-Était-ce un métier difficile? demanda Maël, intéressé.
-Tu sais, l'aristo, quand on a faim, aucun métier n'est difficile. Mais j'aime bien la mer. C'est une belle vue.'"
"Le navire débarqua à Palme de Mayorque une semaine plus tard. La chaleur nous pesait; seules quelques soldats semblaient ne pas être affectés. Esteve, encore une fois, en faisait partie.
'Eh bé! J'ai jamais vu un homme changer aussi rapidement de couleur! s'écria-t-il, hilare, en nous voyant descendre.
-Nous ne sommes pas vraiment habitués à un tel soleil', rétorqua Maël.
Il tirait sur son col, et ma manche était trempée à force d'essuyer mon front.
'Mais comment vous allez faire quand on sera à Algers?'
Nous ne le savions pas, comme beaucoup d'autres. Et Esteve ne savait pas non plus. C'était cette incertitude qui dégradait notre entente. Plusieurs des membres de notre unité avaient été rappelés à l'ordre à cause d'une bagarre. Esteve, lui, se contentait de nous pousser à bout. Une pique par-ci, une provocation par-là... J'étais bien trop nerveux pour ne pas y prêter attention, comme au départ de Toulon. Nous étions trop près de l'étape finale.
Il ne fallut pas un jour depuis le départ de Mayorque pour que je le jette par terre.
'Mais tu es malade! s'exclama-t-il en essayant de se dégager de ma poigne.
-J'en ai marre de tes remarques à la nom de Dieu! J'vais t'faire passer l'envie d'l'ouvrir!'
Il menvoya un coup de genou dans le ventre, accentuant ma colère. Mon poing allait partir, mais fut soudain arrêté dans sa course par Maël, qui s'accroupit à nos côtés, provoquant les protestations de notre public. Il nous regarda tour à tour, la mâchoire serrée, puis chuchota avec humeur:
'Ne croyez-vous donc pas que c'est assez?'
Je ne répondis pas, honteux, mais lâchai les épaules de mon compagnon.
'Vous aurez toutes les occasions d'étriper quelqu'un quand nous serons arrivés, si l'on ne se fait pas étriper avant', continua-t-il.
Il se releva et reprit plus haut:
'Attendons un peu d'avoir à perdre la vie; nous verrons à cet instant qui sera encore d'humeur guerrière.'
Cette réplique eut pour don de faire retomber la violence ambiante. Un silence tendu s'installa. Je retournai m'asseoir sur le banc, à demi inquiet.
'M'sieur...
-Maël.
-Maël, vous avez pas l'air bien.
-Comme tout le monde autour de toi. Seulement, la majorité se contrôle pour ne pas nuire aux autres.'
J'encaissai la remarque comme si ma mère me faisait la morale. Il avait raison; seulement, je me demandais si c'était vraiment cela qui le gênait vraiment. Je l'entendis alors soupirer.
'Je ne devrais pas te professer ainsi la bonne conduite. Je ne suis pas le plus pacifique des hommes.
-J'comprends pas non plus comment vous pouvez rester aussi calme.
-Tu devrais penser à ta mère.
-Vous pensez à la raclée qu'vous mettrait votre oncle?
-Son air profondément déçu me suffit amplement. Mais non.
-Alors quoi?
-Je crois que je regrette de m'être engagé.'
Il avait prononcé cela à voix basse, comme s'il en avait honte.
'Vous avez pas à vous en vouloir pour ça. C'est normal de r'gretter. Personne est prêt à mourir, ici. Et pourtant, c'est c'qu'on a choisi en s'engageant.
-Tout cela n'en valait peut être pas la peine.
-Qu'est-ce qui en valait pas la peine?'
Il me regarda un long moment, puis répondit:
'Rien. N'y prends pas garde; je suis d'humeur sombre, en ce moment.'
Je n'ajoutai donc rien."
"Je restai à distance d'Esteve pour éviter tout incident malvenu et ne lui parlai pas pendant un bon bout de temps. Mais il finit par s'asseoir à côté de moi.
'Oh, Donatien, ça va?
-Quand tu t'tiens loin d'moi, oui.
-Mais dis pas ces choses, que tu pourrais les regretter! Je venais m'excuser.
-Ah.
-Tu me pardonnes?
-Je suis désolé aussi.
-Sans rancune?
-C'est ça.'
Je n'y prêtai pas plus d'attention, me concentrant sur l'expression tourmentée de Maël. Ce dernier me cachait volontairement quelque chose, et cela m'embêtait.
'Ne t'inquiète pas, on est tous dans son état. On veillera sur lui au moment venu. Personne n'a envie d'y passer.
-Faudrait qu'il s'mette en accord avec sa conscience. J'ai l'impression qu'elle pèse.'
Soudain, le bateau s'arrêta, et on entendit des ordres hurlés depuis le pont. Un lieutenant descendit et nous ordonna:
'Sur le pont dans dix minutes. Nous allons débarquer.'
Esteve se tourna vers moi.
'J'espère que toi aussi, tu es en accord avec ta conscience.'
Le grand moment était arrivé."
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Dans le prochain chapitre, la demande en mariage X)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top