Chapitre 2
"Lorelei chercha dans mon regard une once de soutien, au vu de l'humeur massacrante de mon père, qui était sorti de son bureau en trombe.
'Je ne sais pas si je dois être comblée pour toi ou absolument désolée pour notre cousin, me défendis-je.
-Moi non plus, Iris. Moi non plus.'
J'aurais dû être contente pour elle. Elle était ma soeur, et elle allait peut-être se marier, si les fiançailles duraient. Mais j'avais aussi appris à haïr d'Arcourt, avec toutes ces années. Et à me méfier de lui. Et maintenant que Lorelei se trouvait devant moi, le visage illuminé, je voulais penser que mon avis sur son prétendant était biaisé, qu'il ne s'agissait que du fruit d'extrapolations ridicules."
"Tous ces sentiments contradictoires affluaient en moi, et je choisis d'offrir un sourire à peu près rassurant.
'Au moins, tu vas le revoir.'
Elle me rendit ma joie au centuple.
'C'est incroyable, n'est-ce pas? Je ne l'espérais plus.
-Quel événement inattendu, en effet.'
J'avais songé aussi qu'il l'avait oubliée du fait de notre fortune peu considérable, mais le montant présumé de sa dot semblait lui convenir, finalement."
"Le jour suivant, je m'invitai de nouveau dans le bureau de mon père. L'endroit tant redouté quelques années auparavant était devenu une pièce de travail. Les immenses étagères qui m'intimidaient regorgeaient de livres plus ou moins intéressants, et le bureau de la terreur ne servait en fait que de support d'étude. Quant à celui qui se trouvait derrière le meuble, le maître de maison à l'autorité absolue, il avait du mal à se concentrer sur son administration."
"C'est ce que je pus constater lorsque je me retrouvai devant lui et qu'il jeta un dernier coup d'oeil peu convaincu à la paperasse étalée devant lui.
'Iris, me salua-t-il. Je suppose que tu veux ma réponse.
-Entre autres. Mais je ne vais peut-être pas insister sur ce point maintenant."
Mon père hocha la tête. Il se tordait les mains et ses traits étaient plus tirés que d'habitude; la dernière fois que je l'avais vu dans cet état, Maël partait pour l'Algérie.
'Très bien. Et qu'en penses-tu?
-Ce que je pense de...
-Du mariage de ta soeur.'
Tout et rien. Voilà ce que j'en pensais.
'Eh bien, sans connaissance du sujet, je ne peux point penser quelque chose de concret.
-C'est bien cela qui m'embarasse au plus au point.'
Il se leva lentement, pour regarder à la fenêtre.
'Je suis le chef de cette famille, et me voilà réduit à attendre l'arrivée d'un jeune coquelet sans le sou. Et tout cela parce que ma fille l'aime et que j'aime ma fille.'
Je ne crois pas l'avoir jamais entendu dire qu'il aimait quelqu'un. J'aurais dû me sentir chanceuse d'entendre cette confession; mais c'était Lorelei qui était évoquée. Lorelei, qui jouait au pot de fleur dans les salons. Lorelei, qui attendait parmis les bijoux, les parfums et les chapelets qu'un 'coquelet' vienne prendre son avenir en main. Et la pire des choses est que je sais qu'elle aurait pu avoir plus riche et plus concerné. L'amour rendait affreusement idiot; c'était en prévision que je voulais me charger moi-même de mes futurs biens. Je n'étais pas aussi jolie, pas aussi pieuse, pas aussi digne d'un mari, mais au moins, j'avais les pieds sur terre."
"La jalousie me prit à la gorge, mais je me creusais la tête depuis bien plus longtemps, et je trouvai une solution à la volée, une première idée qui me sembla acceptable.
'Puis-je proposer quelque chose?'
Il se retourna et me jeta un regard curieux.
'Au point où nous en sommes', répondit-il.
Je saisis ma chance, immunisée contre les rappels de ma médiocrité:
'Dites-lui qu'il n'y a pas de dot.'"
"La suggestion fit son effet. Mon père me fixa un moment, les sourcils froncés, puis un sourire étira ses lèvres.
'S'il parle de la dot le jour-même, ou encore pire, avant que je ne l'évoque, nous serons fixés, et ta soeur aussi.
-Et s'il est convaincu que la dot viendra en conséquence?'
Ses yeux s'étrécirent. Il prenait mon idée en considération. Enfin.
'Soit, finit-il par céder. Je trouverai un moyen de le glisser dans notre conversation.'
Je souris, mais ma satisfaction retomba quand mon père se laissa tomber dans son fauteuil, soudainement éreinté. Je m'assis en face de lui, et il m'examina de son air profondément las avant d'envisager:
'Si les fiançailles de Lorelei nous causent autant de soucis, que va-t-il se passer quand il faudra te marier?'
Nous nous regardâmes un instant, et je fus prise d'un fou rire. La situation était par trop ridicule. Par définition, un mariage était un heureux événement, pas un objet d'inquiétudes démesurées. Et puis, il oubliait un chose.
'La situation n'a rien de drôle, Iris, me rappela-t-il, moins sérieux que quelques secondes auparavant.
-Mais elle est insensée.
-Sans doute.
-Parce que je ne me marierai pas.'
Le sourire ne quitta pas ses lèvres.
'C'est ce que nous verrons.'
Je me levai, décidée.
'Vous verrez avec Maman, c'est cela?
-Nous verrons tous les trois.
-Alors je n'ai aucune chance.
-Sais-tu au moins de quel côté je suis?'
Non, je ne le savais pas. Mon père avait toujours eu des opinions bien tranchés sur tout, mais là...
'Je ne veux pas que tu finisses vieille fille, reprit-il. Ce sont des femmes mises à l'écart de la société, reléguées à s'occuper de leurs parents. Généralement, ce sont eux qui le décident, d'ailleurs. Et je ne tiens pas spécialement ce que tu sois traitée en paria.
-Toi le monde aime les parias. Chopin, Sand, Liszt... ce sont tous des parias.
-Des parias qui possèdent un château et qui sont demandés dans toute l'Europe.
-Exactement.
-Tu oublies que Mozart est mort ruiné et qu'Olympe de Gouges a fini guillotinée.
-Olympe de Gouges?
-Tu veux être une femme libre mais tu ne connais pas celles qui l'ont été avant toi.
-Qui était-elle?
-Une femme de lettres pendant la Révolution. Une révolutionnaire elle-même. L'auteur de la Déclaration des droits de la femme.
-Vous l'avez connue?
-J'en ai entendu parler. J'avais vingt ans quand elle a été exécutée. On en parlait dans la noblesse comme d'une... parvenue, d'une femme entretenue, qui vendait ses charmes pour pouvoir se prétendre libre.
-C'était vrai?
-Elle s'appelait Marie Gouze et n'avait aucun titre. On supposait même que c'était la bâtarde d'un noble du Sud de la France, son supposé parrain, un dramaturge qui connut un temps le succès à la Comédie Française. Je n'ai pas entendu qu'elle eût une seule fois travaillé de sa vie, à part en vendant ses pièces. Et elle menait le train de vie d'un membre de la noblesse parisienne.'
Il s'arrêta un instant pour vérifier que j'avais compris son allusion, et soupira:
'Je ne veux pas d'une telle réputation pour toi.
-Je n'ai aucune envie de me faire entretenir par un homme. C'est pour cela que je ne veux pas me marier.
-Justement. Tu pourras mener la vie la plus vertueuse possible, il y aura toujours de mauvaises langues pour venir attaquer notre famille.
-Notre famille? Mais c'est de ma vie dont on parle!
-Crois-tu vraiment que tes actions ne se répercuteront pas sur tes proches? Elles peuvent tout impacter; du commerce de notre vin à la réputation de ta soeur!
-Si j'avais été votre fils...
-Il en aurait été de même!"
Je ne répliquai pas, bouche bée par les prunelles éclatantes d'une foule de sentiments que mon père dardait sur moi. Il reprit:
'Je le regrette maintenant, car je l'admets, j'ai longtemps eu à l'esprit l'idée que mon héritage était perdu, que seul Maël pourrait tenter, tant bien que mal, de préserver les quelques parcelles que j'aurais eu le droit de lui céder. Mais maintenant que mon neveu risque de ne jamais rentrer, j'ai à nouveau espoir qu'à défaut de mon nom, le fruit de mon labeur perdure. Comprends-tu?'"
"J'aurais voulu comprendre. Mais après tout, je n'étais qu'une fille. Je ne voyais que dans les détails superflus.
'Vous m'avez accordé ma chance sur l'hypothèse de la mort de mon cousin.
-Et ce fut une immense bêtise.
-Vous deviez être vraiment désespéré pour m'accorder cette grâce. Surtout à moi, qui n'ai ni le bon sexe, ni la présence d'esprit de me trouver un prétendant digne de votre héritage.
-Iris...'
Il n'osa pas continuer, interrompu par un sanglot qui venait de m'échapper. Je me levai, retenant tant bien que mal mes larmes, et fis la révérence, amère.
'Il aura été plaisant, Père, de vivre dans l'illusion que vous me portiez autant d'estime qu'à un fils. Mais, dans le cas présent, j'aurais au moins espéré qu'en tant que votre fille, vous m'eussiez montré autant de tendresse qu'à Lorelei en me disant à moi aussi que vous m'aimiez.'
J'eus un rire sans joie en jouant avec mes bandages.
'Cela m'aurait au moins évité de m'abîmer les mains.'"
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Messieurs-dames,
Je publie ce chapitre maintenant parce qu'il se pourrait bien que je n'arrive pas à tenir le rythme que je me suis imposée X)
Par ailleurs,
Je n'y crois toujours pas, mais je suis tombée sur une actrice qui ressemble trop à l'image que je me faisais d'Iris jeune pour que ce soit vrai.
C'est Hannah James. Elle joue Lady Geneva Dunsany dans Outlander et j'ai eu un choc. Du coup j'ai fait des recherches, et elle a tourné dans un autre feuilleton historique américain qui s'appelle Mercy Street et qui se passe dans les années 1860, du coup ça va vous donner une idée de ce à quoi elle aurait ressemblé, même si la mode change beaucoup entre 1830 et 1860.
Ça c'est quand elle se retient de faire une remarque déplacée X)
Et l'autre allait bien avec ce chapitre, je trouve.
Voilà, j'ai illustré mon histoire comme ils le conseillent sur YouTube X)
Sur ce, je vous laisse me donner votre avis, et me faire des propositions pour les autres personnages!
Update: J'ai ajouté un morceau de la magnifique bande son d'Armand Amar pour le film Women de Yann Arthus Bertrand. Je vous invite vraiment à aller écouter ses chef d'oeuvre, c'est sa musique qui m'inspire pour écrire
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