Chapitre 10
Théophile referma le carnet, intrigué. Qui était cet homme si agressif?
Il emporta la question chez Madame de Douarnez l'après-midi suivante.
'Vous n'avez donc pas abandonné la vieille femme que je suis", ricana-t-elle quand il poussa la porte.
Marthe l'avait laissé sur le pas de la porte; elle lui en voulait encore de leur escapade.
"Entendrais-je, par le plus grand des hasard, un soupçon de réjouissance dans votre voix?
-Ne rêvez pas trop. Il est vrai, cependant, que vous m'occupez... mais là n'est pas le sujet! Sortez donc votre matériel de scribouillard...
-Avant, j'aimerais vous poser une question."
Étonnée par le ton empressé du biographe, elle resta silencieuse un instant.
"Mais faites", finit-elle par déclarer.
Le cercueil vide de ses parents ou le soldat réfractaire? À défaut de pouvoir répondre à la première, il satisferait sa curiosité avec la seconde.
"Dans son journal, Monsieur Ansond fait allusion à un de leurs compagnons d'armes qui aurait mal pris le fait que votre cousin soit un noble."
La vieille dame parut réfléchir un instant, mais nia:
"Je ne vois pas. Maël ne l'a jamais mentionné, ni dans ses lettres, ni à son retour. Auriez-vous d'autre éléments qui m'aideraient?
-Il est décrit comme aussi grand que Monsieur Ansond, avec des yeux gris et des mains usées.
-Peut-être que...
-Oui?
-Non, je l'ignore. Vous verrez bien en lisant la suite. Où en êtes-vous, d'ailleurs?"
Théophile retint sa frustration du mieux qu'il pût. Le sourire moqueur de sa cliente ne l'aidait pas.
"Ils ont passé Staouali.
-Seulement?
-Vous pourrez convenir que j'ai eu un peu plus de travail que prévu ces derniers temps.
-J'en conviens. Mais cessons là les tergiversations. Je vais vous conter un des épisodes importants de mon histoire, alors je vous veux toute ouïe."
"Comme je vous l'ai spécifié lors de notre dernière rencontre, mon père m'avait cherché jusque Nantes, et il ne revint que tard dans la nuit. Je fus à un moment réveillée par le grincement de la porte, mais ne bougeai point, consciente de son regard vers mon lit. Il soupira de soulagement, avant se refermer le panneau. Je me redressai alors; il s'était inquiété pour moi.
'Elle était épuisée, entendis-je de l'autre côté. J'ignore ce que vous lui avez dit, mais cela l'a secouée.'
Ma mère était présentement en train de reprendre mon père juste devant ma chambre: cette famille virait à la folie!
'Certaines de mes paroles ont peut-être été mal interprétées, se défendit-il. J'aurais dû m'exprimer plus clairement.
-Quand Iris et vous arriverez à faire preuve d'un peu de diplomatie l'un envers l'autre, notre famille sera un havre de paix.'
Je me retins de répliquer quelque chose, outrée. La seule personne avec laquelle je ne me fâchais jamais était Agathe; la seule adulte que je tutoyais aussi.
Le silence se fit à nouveau, et je pus me rendormir en marmonnant, inquiète de la confrontation future avec mon père."
"Le matin suivant, je descendis dans la petite salle à manger avec appréhension. Toute la famille m'attendait, à première vue, et je sentis mon estomac se nouer. J'étais bien la seule ici à aimer les coups d'éclat."
"Je m'assis en feignant l'indifférence, tout comme mon père, qui buvait son café, totalement coupé du monde derrière son journal, L'Ami de la Charte, qui avait permis de grands bruits à Nantes lors des trois jours de soulèvement contre Charles X; je me concentrai sur le titre. Après tout, je pouvais tout à fait avoir oublié l'épisode sous le coup d'émotions trop fortes. Les regards insistants de ma mère et de ma soeur eut tout de même raison de notre silence obstiné.
'Il faut que l'on parle', déclara soudain de patriarche en abaissant son feuillet.
Il me fixait de ses yeux bleus perçants, les mêmes que moi, et j'eus soudain envie de me cacher dans un trou de souris. Notre maison était malheureusement trop bien entretenue pour qu'il y en eût. Je déglutis avant de hocher la tête.
'Je veux te voir dans mon bureau avant midi.
-Bien, Papa.'
Toujours ce maudit bureau qui me donnait l'air minuscule!
'Pourquoi pas dans le jardin?'
Tout le monde me fixa, interloqué par ma proposition des plus fortuites, mais mon père sourit.
'Soit', me répondit-il.
Il reprit sa lecture comme si de rien n'était, tandis que ma mère et ma soeur m'observaient toujours, davantage étonnées par le laxisme de notre chef de famille. Je leur rendis un regard serein; peut-être s'était-il habitué à mon insolence, dont ma soudaine répartie ne représentait qu'un piètre exemple."
"Rassérénée, je le rejoignis avant le déjeuner dans le jardin. Il profitait du paysage, au calme, assis sur un banc.
'Assieds-toi', me dit-il en me voyant approcher.
Il indiqua la place qui restait à côté de lui, et je lui obéis. Un ange passa; je suppose qu'il ne savait pas par où commencer.
'Ne nous refais plus jamais une telle frayeur, finit-il par m'ordonner.
-Ce n'était pas mon intention.'
Il se redressa soudain, me regardant plus sérieusement.
'Je me suis mal exprimé, hier.
-Ou peut-être ai-je mal compris ce que vous vouliez dire. Ou peut-être suis-je trop sûre de moi.
-Tu ne comptes pas moins pour moi que ta soeur et ton cousin, sois-en rassurée.'
Un aveu comme celui-ci devait vraiment coûter à mon père, et je lui en fus reconnaissante. Mais...
'Notre dispute impacte-t-elle votre décision sur mon apprentissage?
-Elle n'a fait que me rappeler que tu étais capable d'autant de présence d'esprit qu'un homme.'"
"Autrement dit, quitte à ce que je ne sois pas faite pour convenir parfaitement au modèle féminin de notre monde, il valait d'autant que je possède les atouts pour répondre au moins partiellement à un des deux modèles possibles. Il pourrait me trouver un mari assez passif ensuite pour tout me laisser diriger. Connaissant mon père, il aurait très bien pu ajouter que j'étais la seule femme de sa connaissance à avoir la présence d'esprit d'un homme. Venant de lui, le mot était flatteur, je peux vous le garantir.
'Quant à nos leçons, Iris, nous les reprendrons dès que la situation nous le permettra.'
Je levai un sourcil intrigué.
'Les fiançailles de Lorelei vous tourmentent-elles à ce point?
-Assez pour ne plus avoir la tête à te faire cours.
-Ce n'est pas le neveu falot de Madame de la Fridière, au moins.
-Tu aurais assez de caractère pour vous deux. Qu'en penses-tu?
-Que vous ne tenez qu'à me faire rire aux éclats devant le ridicule de cette remarque.'
Était-il au moins sérieux? Il avait moins de personnalité qu'un pasteur anglais! Je tiens tout de même à signaler que, dans mon esprit, les pasteurs anglicans n'avaient que la mauvaise image que certains français voulaient bien leur donner. Mais je n'en ai jamais vu de ma vie; peut-être qu'à défaut d'être sans couleur, ils sont aussi ennuyeux qu'une messe en latin."
"Mon père rit dans sa barbe, le regard accroché par l'horizon.
'J'aurai essayé, déclara-t-il comme pour se dédouaner de toute responsabilité quant à mon avenir matrimonial.
-Comment pouvez-vous suggérer une telle chose?
-Je n'aurais jamais accepté qu'une de mes filles se retrouve avec une telle belle famille.'
Je pouffai à mon tour. Nous étions bien, là, à médire sur nos voisins. Je ne m'étais jamais sentie aussi familière d'un parent qu'à ce moment-là."
"Nous restâmes un moment assis en silence, puis mon père se leva, avec quelques difficultés. Plus lentement qu'avant. Toute ma petite vie, j'étais demeurée dans l'illusion que mes parents étaient immortels; or, mon père approchait dangereusement de la soixantaine. Il devait lui tarder de voir ses petit-enfants. Un instant, je m'en voulus de ne pas avoir envie de lui offrir ce plaisir. S'étirant, il m'annonça:
'Je laisse sa chance à ce d'Arcourt, tout comme je te laisse ta chance à toi. Mais tous mes espoirs vont pour toi, bien évidemment.'"
"Nous prîmes le chemin de la maison, plus sereins quant à l'avenir. Je me sentais forte, maintenant. Reconnue. Et cela me faisait le plus grand bien. Je n'allais certainement pas partir ce sentiment de sitôt."
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Bonjour Messieurs-dames!
Voilà les deux chapitres que je devais écrire... enfin, je devais normalement en écrire quatre. Mais j'ai eu pas mal à faire. Comme je vous l'ai dit, je n'arriverai pas à tenir le rythme annoncé.
Autre petite nouvelle: le manuscrit du tome 1 est prêt, corrigé de mieux que je pouvais et mis en page après une demi-douzaine d'essais X). Je vais pouvoir l'envoyer à des maisons d'édition.
En couverture du chapitre, je vous ai mis le fanart qu'à fait ma soeur d'Iris. C'était mon cadeau de Noël. Voilà voilà. Si vous voulez voir sa page, c'est
https://www.deviantart.com/miyabi-pixel
Bon, bah j'ai tout dit. Bonne continuation et bonne lecture!
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