Chapitre 1
"Vous savez, on a décidé une chose, avec mes clients."
Théophile interrompit la dégustation de son repas, bienvenu après plusieurs heures de retranscription et une longue promenade matinale, et leva un oeil curieux. Il aurait dû se douter que le patron du café lui sortirait quelque chose de ce genre; quand il était entré, personne ne lui avait jeté de regard soupçonneux. Et le patron, justement, attendait qu'il lui demande:
"Et ce que vous avez décidé a un rapport avec moi?
-En effet."
L'homme posa ses verres et saisit une carafe remplie de vin.
"Vous en voulez? C'est le vin d'Madame. Il est pas mauvais.
-Votre gentillesse excessive m'inquiète."
Le biographe observa son interlocuteur essayer de trouver une manière de lui expliquer la chose.
"Bah... c'est... enfin... disons que vous nous avez un peu remué la conscience, la dernière fois. Et puis... les deux frères m'ont dit c'que vous aviez fait pour leur mère. C'est vraiment gentil de vot'part.
-Ah! Ce n'est pas grand'chose. Je suis aussi gagnant qu'elle dans cette affaire.
-J'vois pas comment.
-C'est pour mon travail. Si je vous disais tout, je ne serais plus le mystérieux étranger qui vient bouleverser vos habitudes."
Riant avec le tenancier, Théophile paya son repas et sortit du troquet. En parlant de Madame Ansond, il s'était souvenu qu'il lui avait promis de lui rapporter des nouvelles le plus rapidement possible. Or, il en avait de bonnes, qui la soulageraient sûrement un peu.
Il parcourut le chemin par automatisme; tourner à gauche, traverser la grand-rue, frapper à la porte et attendre le léger "Entrez". Passer le panneau de bois, qu'il poussa. Madame Ansond était toujours dans son lit, mais avait repris des couleurs, et cela le réjouit.
"C'est vous, mon bon Monsieur, qui m'avez fait soigner? l'interrogea-t-elle alors qu'il tournait refermait derrière lui.
-C'est Madame de Douarnez, l'informa-t-il. Quand je lui ai parlé de votre maladie, elle n'a pas hésité une seule seconde à faire quérir son médecin.
-Une sainte femme, voilà ce qu'elle est."
Le jeune homme se demanda si sa cliente accepterait d'être appelée "sainte femme"; il lui semblait que le Pape ne se trouvait pas dans ses petits papiers. Dieu non plus, d'ailleurs, et c'était étonnant; elle venait d'une famille de nobles plutôt passionnés par leurs traditions, et la religion catholique en faisait partie. Étais-ce cette dévotion qui l'avait dégoûté de la foi? Il devrait aussi se pencher dessus.
"Elle m'a aussi dit qu'elle réfléchirait sérieusement à l'idée d'embaucher vos fils, ajouta-t-il, mais ils faut que je parle avec eux d'abord."
L'expression de la malade se fit inquiète.
"Ils ont eu des problèmes, n'est-ce pas?
-Non, ne vous inquiétez pas. Il s'agit de mettre en place avec eux les différents caractères à adopter quand ils seront à la conserverie.
- Vous me rassurez."
Elle voulut se lever, mais le biographe l'en empêcha.
"Il ne faut pas vous surmener, Madame.
-Je voulais vous donner quelque chose.
-Dites-moi où cela se trouve."
La souffrante lui montra l'armoire dans le coin de la pièce, qu'il ouvrit. Mis à part quelques vêtements rangés à la va-vite, il y remarqua quelques livres; des Jules Verne, essentiellement.
"Les deux carnets rouges, indiqua-t-elle. Ils sont à vous, maintenant."
Théophile n'eut pas de mal à les trouver; ils ressemblaient assez à ceux qu'il utilisait. Il les prit et les feuilleta; une écriture soignée recouvrait les pages, mais il ne la reconnaissait pas.
"C'est mon grand-père qui les a écrits pour moi. Il n'a jamais voulu en parler.
-L'Algérie?"
Madame Ansond hocha la tête.
"Il disait qu'il ne voulait pas salir mon esprit avec ces images, que c'était pour les hommes. Mais il l'a pas raconté non plus à mes frères. Je pense plutôt qu'il s'faisait trop d'mal à lui-même en en parlant.
-Ce ne sont pas des souvenirs très faciles à évoquer."
Il s'approcha du lit et posa une main compatissante sur son épaule.
"Vos fils restent-t-il avec vous?
-Je leur ai dit de partir de la maison jusqu'à c'que la maladie parte. Mais ils veulent rien entendre. Ce sont de bons garçons. Mais j'ai peur qu'ils tombent malades eux aussi, vous comprenez?
-Tout à fait. J'essayerai de leur parler.
-Merci.
-C'est moi qui vous remercie."
Après avoir pris congé, le jeune homme se rendit au manoir. Madame de Douarnez l'attendait, comme à son habitude, dans le petit salon.
"J'espère vous avoir laissé en haleine quand nous nous somme quittés hier", déclara-t-elle en l'invitant à s'asseoir en face d'elle.
Théophile, qui s'était fait à l'idée de ne jamais avoir à saluer, ni à être salué tant qu'il se trouvait dans ce village, lui répondit:
"J'ai pensé aux suites possibles toute la nuit.
-C'est que mon effet fonctionne plutôt bien, alors."
La vieille dame remarqua soudain les deux carnets sous son bras.
"Vous devez écrire gros, pour ramener des réserves, le scribe.
-Ce n'est pas à moi."
Devant le regard curieux de sa cliente, il se sentit obligé de se corriger:
"Enfin, si, c'est à moi, maintenant. Madame Ansond me les a donnés.
-Ainsi, vous avez sous la main les souvenirs de Donatien."
Le jeune homme hocha la tête, et la vieille dame poursuivit:
"J'avais oublié que mon cousin lui avait appris à lire et à écrire. De toute façon, il aurait fini par le savoir.
-Comment cela?
-Donatien était contremaître dans les exploitations de Maël, puis secrétaire. Son fils doit toujours tenir ce rôle, d'ailleurs. En tout cas, mon cousin n'acceptait pas les gestionnaires idiots. Il a fait former chaque ouvrier qui pouvait prétendre à un rang supérieur. Mais je vous le raconterai plus tard. Ce que vous tenez est bien plus intéressant. Savez-vous ce qu'il y a écrit?
-Madame Ansond m'a affirmé qu'ils s'agissaient de ses souvenirs sur l'Algérie."
Les yeux de Madame de Douarnez devinrent brillants, et elle tendit une main tremblante vers les bouquins.
"Alors ils sont d'autant plus précieux... Puis-je?"
Théophile les lui donna, et elle les ouvrit, passant ses doigts sur les lignes d'encre avec une certaine émotion.
"C'est... Maël ne nous a jamais raconté plus que ce qu'il avait mis dans ses lettres. Et j'avoue que les têtes coupées dans la première m'avaient dissuadé d'en apprendre davantage. Mais je me doute qu'il a préféré entreposer ce qu'il avait vécu dans un coin de sa tête et essayer de l'oublier. Et je le comprends. Je ne sais pas ce que j'aurais fait à sa place.
-Voulez-vous le lire avant moi?"
L'ouvrage se referma d'un claquement sec.
"Non."
Madame de Douarnez lui rendit le cahier, l'air peu amène.
"Vous le lirez, détermina-t-elle. Et vous prendrez ce que vous voulez. Je ne peux pas.
-Entendu.
-Cependant, si la curiosité vient à surpasser ma lâcheté, il se peut que vous deviez me résumer quelques lignes.
-J'avais prévu cela.
-Bien. Maintenant que ceci est expliqué, nous pouvons continuer. Sortez votre plume, car l'histoire n'est pas finie."
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Mesdames, Messieurs! Juste une petite annonce pour ce tout premier chapitre! Enfin deux.
Premièrement, je ne pouvais pas attendre le 15, du coup je le publie le 14, honte à moi.
Deuxièmement, les chapitres suivants seront publiés deux fois par semaines, normalement, puisque la vie étudiante n'est pas des plus régulières. L'inspiration non plus X)
J'essayerai de tenir ce rythme, si cela facilite votre lecture, mais si je n'y parviens pas, je vous le ferai savoir.
Merci de votre attention!
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