Chapitre 8

"Maël revit plusieurs fois Mademoiselle Faure pendant notre séjour à Paris. Il ne dit rien à mes parents, bien entendu, et se tut aussi à propos de Lorelei. Mais, il eut une discussion sérieuse avec elle à notre retour. Lorelei était une rêveuse, bercée par les contes de fée, persuadée d'avoir rencontré le grand amour en la personne d'Auguste d'Arcourt, petit noble du Poitou, de cinq ans son aîné. Mon cousin avait vu d'un mauvais œil cette différence, la même que celle de ses parents, car Lorelei allait juste avoir seize ans, mais lui promis de laisser l'affaire à son prétendant."

"Je promis, de mon côté, de tenir ma langue à propos de la très convoitée Virginie. Nombre de jeune hommes lui faisaient en ce moment la cour pour espérer un mariage prompt et heureux, tous de meilleure fortune que Maël, qui était pourtant le seul, à ce que je sache, à avoir un titre. Il tenait biensûr à ce que son état financier lui demeurât inconnu, et il en fût ainsi. Il avait déjà honte de vivre de la charité de mon père, car il pensait que mon père lui faisait la charité, et pensait de plus en plus à s'engager, ne fût-ce que pour avoir une petite solde et pouvoir en vivre. Cette détermination aurait dû m'inquiéter, mais je ne croyais pas qu'il pourrait revenir sur sa promesse."

"Je commençai à lire Victor Hugo, avec Le dernier jour d'un condamné. Le réquisitoire me plut vraiment, et je me dis que cet homme avait énormément d'avenir. J'avais déjà lu ses poèmes, du moins quelques uns, et j'avais tout de suite reconnu sa plume, car le texte était paru sans nom d'auteur. Mon père m'avait interdit de le lire, au vu des horreurs racontées dans l'oeuvre et de la critique évidente de la peine de mort. Maël aussi l'avait lu, mais comme d'habitude, il ne disait rien."

"'Il est dangereux, Iris, de donner son avis quand il ne suit pas celui de sa famille ou de sa classe', me dit-il quand je lui demandai les raisons de son silence.

'Mais j'ai le droit d'exprimer mon opinion, non?

-Je te rappelle que tu es née dans une famille de royalistes, traditionalistes et favorables à la peine de mort. Et que ce n'est pas pour rien que les femmes ne votent pas.

-Dans ce pays, de toute façon, tout va à vau l'eau. Je croyais que Martignac ferait une différence...

-Martignac déplaît au roi. Il ne va pas tarder à se faire remplacer.

-Par qui?

-Polignac. Il me semble prédisposé. C'est un ultra-royaliste, après tout, et il est déjà Ministre des Affaires Etrangères.

-Mais les Français ne l'accepteront pas! Il est trop radical, il se ferait lyncher!

-Nous verrons. Je ne sais même pas pourquoi je te raconte tout cela.

-Si tu te sens fautif d'impliquer une fille dans tes discussion politiques, tu n'as plus qu'à aller te confesser à l'abbé Parvins! Et arrêter de fréquenter ta Virginie, car il s'agit dans ce cas d'un homme!'

Maël écarquilla les yeux, prenant conscience de ce que j'avais pu comprendre.

'Iris, ce n'est pas ce que je voulais dire...

-Et tu l'as dit, pourtant! Mais ne t'inquiète pas, je n'en parlerai plus, du moins avec toi, si tu ne supportes que ta chère Virginie.

-Tu es trop jeune, Iris! Tu n'as que quatorze ans! Je m'en voudrais d'influencer ton avenir en te faisant part de mes opinions.'

Je compris, par cette réponse, que mon cousin envisageait déjà son avenir à lui. Je levai les yeux au ciel et me détournai de lui pour rentrer. Il déclara alors:

'Je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui.'

Surprise, je lui refis face. Il reprit:

'Je suis contre les peines injustes. Envoyer au bagne un homme qui a volé du pain pour nourrir sa famille en est une pour moi. Mais la peine de mort... cela dépend des circonstances.

-Je ne comprend pas.

-Pourtant, tu es largement en mesure de me comprendre. L'auteur, s'il ne s'agit pas de Hugo, ne précise pas quel genre de crime le condamné a commis, mais il est évident qu'il a tué. Et j'estime qu'en l'absence de précisions, il est impossible de déterminer la solidité de l'accusation.

-Cela veut dire que tu es pour la peine de mort.

-Pour ceux qui ont tué de sang froid, oui.

-Mais cela veut dire que l'on ne vaudrait pas mieux qu'eux.'

Maël eut une ombre de sourire. Depuis quelques temps, cela lui arrivait.

'Tu es trop intelligente pour moi, ma cousine. Tu trouveras sans doute des arguments qui me prouveront que je me trompe. Mais je maintiens mes positions.

-Fais comme tu voudras. En attendant, le souper va être servi, Monsieur le Juste.'

Tandis que nous remontions les escaliers qui nous reliaient au manoir, je demandai:

'Comment se porte ta chère Virginie?

-D'après ses lettres, plutôt bien.

-Laisse-moi deviner; elle se languit de toi et de ton visage d'ange! Elle est prête à te rejoindre, qu'importe où tu te trouves!

-Parle moins fort, veux-tu? Ce qu'il se dit entre nous ne te concerne d'aucune manière.

-Non, mais je me méfie d'elle. Elle paraît trop confiante.

-Toi aussi, et pourtant tu ne me veux aucun mal.

-Moi, je suis ta cousine.

-Tu ne l'aimes pas parce qu'elle te ressemble, n'est-ce pas?

-Oui, et je sais ce que je ferais si j'apprenais que tu es sans le sou. Je suis sûre qu'elle pense qu'en plus d'être beau, comme tu as un titre, tu es riche. Un beau parti, un beau mari, un peu naïf mais très gentil, et très épris de moi.

-Tu ne l'épouserais pas, même si l'on te menaçait de mort, Iris.

-Cela dépendrait de ce qu'il a à m'offrir, je suppose.

-As-tu seulement trouvé un jeune homme qui te fasse les yeux doux à ton goût?

-Non. Mais ce n'est pas pareil. Je suis trop jeune, et ce sont tous des imbéciles, là où l'on va.

-Préférerais-tu la Cour de France, tant que l'on y est?

-Pourquoi pas?

-Lorelei a très bien pu se contenter d'une soirée chez un particulier.

-Lorelei a des goûts simples. Elle est l'idéal que je ne pourrai hélas jamais atteindre, mon cousin.

-Si tu t'y appliquais un peu plus, je suis sûr que même pour toi, ce serait possible.

-Tu mises tellement sur moi, Maël. Je te le déconseille.

-Déjà si cynique, à quatorze ans.

-Je crois que la société parisienne m'a affectée plus que je ne le pensais. Et puis, j'ai un très bon modèle. Rappelle-toi que tu étais dégoûté du monde, il n'y a pas si longtemps.

-Je me suis aperçu qu'il n'était pas si perdu que cela.

-Quelles paroles romantiques, venant de toi!

-Tais-toi donc! Nous arrivons.'"

"Le repas se fit dans le calme, entrecoupé des bruits des couverts. Je continuais de regarder mon cousin en m'empêchant de rire, et lui me jetait quelques œillades noires en répondant aux questions de mon père sur l'avancée de ses cours, qu'il allait suivre en alternance à la faculté de Rennes dans quelques mois, étant titulaire d'un baccalauréat depuis juillet de cette année 1829. Je ne sais pas vraiment comment cela fonctionne aujourd'hui, mais à l'époque l'on pouvait s'y présenter dès l'âge de seize ans. Mon cousin était donc vieux, avec ses dix-huit ans en janvier, le jour de l'Épiphanie, pour avoir passé le premier grade universitaire. Il allait étudier le droit, pas pour devenir avocat, mais pour les affaires, étant le seul garçon de sa famille et de la nôtre pour l'instant. Mon père avait toujours souhaité qu'il reprenne ses affaires. Nous, nous devions nous marier et nous occuper de celles de nos époux, dans la plus moindre mesure. Cette tradition aristocratique n'avait pas vraiment changé avec la Révolution, et encore moins avec la Restauration. Le Code Civil garantissait un héritage correct pour les femmes à la mort de nos parents, c'était à peu près tout le changement dont nous avions profité. Autrement, l'épouse n'avait droit à rien à la mort de son conjoint, et son conjoint dirigeait biensûr leur fortune, incluant sa dot, chose merveilleuse dont les classes populaires s'étaient passées il y avait presque un demi siècle."

"Mais revenons à Maël. Ses cours ne l'empêchaient point d'aller à Paris, et sa relation continua avec Mademoiselle Faure."


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