Chapitre 27

"Quand mon père revint de Nantes avec des nouvelles, j'appris que d'Armence n'avait pas été arrêté. A partir de ce jour, je n'eus plus aucune nouvelle de lui."

"Nous restâmes quelques temps en contact avec les Leroy, mais les perdîmes aussi de vue pendant plusieurs années. Marc ne savait plus comment nous remercier; il envoya même une lettre à Lorelei pour lui proposer d'être la marraine de sa toute nouvelle fille, mais celle-ci déclina, au plus grand désarroi de notre Leroy."

"D'ailleurs, je lui en fis le reproche dès la lettre de refus envoyée.

'Tu n'aurais pas dû.'

Lorelei décida de m'ignorer et continua sa chemin vers sa chambre. Je la suivis.

'C'était ta dernière chance de revoir Leroy.

-Justement.'

Je levai un sourcil intrigué.

'Justement?'

Elle s'arrêta un moment pour redresser un tableau. Comme il ne voulait pas se mettre comme elle le voulait, elle abandonna en soupirant. Peut être la lassais-je aussi un peu.

'Je n'ai pas envie de le revoir.

-Mais lui si.

-Il sait que je suis engagée à quelqu'un d'autre.

-Il espérait...

-Il n'avait rien à espérer. Il n'aurait même pas pu m'offrir une vie convenable.'"

"Je n'avais jamais connu Lorelei aussi hautaine et sèche, et j'eus un mouvement de recul sous le choc. C'était moi, la petite aristocrate gâtée, normalement. Pas elle.

'Es-tu tombée sur la tête? soufflai-je. Le pauvre est tombé amoureux de toi, et tu le traites avec plus de mépris que je n'oserai jamais en éprouver!

-Je vais me marier à l'homme que j'aime et qui m'aime. Je n'ai pas à m'attacher à un autre.

-Encore faudrait-il que l'homme qui t'aime fasse sa demande. Depuis quand attends-tu comme une pauvre petite chose, terrée dans ton château, en attendant son bon vouloir?

-Tu es abjecte!

-Que se passe-t-il, encore?'

Mon père se tenait sur le pas de son bureau. La lumière qui sortait de la pièce derrière lui lui conférait une ombre menaçante, mais je m'avançai tout de même devant lui avant de pointer du doigt ma sœur.

'Voilà pourquoi je ne veux pas de prétendant.'

Ceci fait, je les laissai en tête à tête, mon père un peu perdu et ma sœur les larmes aux yeux. Œil pour œil, dent pour dent. Je n'allais pas faire d'efforts pour quelqu'un qui n'en faisait pas lui-même."

"Restait à présent Maël. Maël, dont les lettres se faisaient de plus en plus rares. Maël, dont je m'inquiétais de la réponse. Maël, qui était peut être mort. J'avais un mauvais pressentiment, en cette mi-septembre, que je ne pouvais pas m'expliquer. Pourtant, je n'ai jamais été attirée par le mystique, comme vous aurez pu le remarquer."

"Après cette lettre, donc, plus aucune nouvelle des Leroy, et encore moins de Maël. Nous retournâmes à notre vie calme et paisible dans le manoir le plus éloigné du monde. Et Lorelei, biensûr, ne voulait pas retourner à Paris, même après que la situation se fût apaisée. Je ne lui parlai plus pendant un bout de temps, à cause de cela et d'autres choses. Elle non plus ne semblait pas encline à renouer une relation cordiale avec moi."

"Pour occuper mon temps libre, je me mis donc à écrire à mon cousin. Je les envoyai toutes, une dizaine, je crois, entre septembre et novembre, mais vous n'en aurez sans doute que quelques unes. Je doute qu'il les ai toutes gardées.

-Qui sait?

-Oui, après tout, je ne les ai pas comptées. Vous pourrez directement passer à celle de Maël. Pour aujourd'hui, je ne sais même pas ce que je vais vous dire."

"Je m'ennuyai terriblement. J'aurais même été heureuse que des soldats reviennent chez nous, pour m'occuper. La pluie n'arrangeait pas mon humeur. Je restai généralement dans ma chambre ou dans le petit salon, devant la cheminée avec un livre, quand je n'écrivais pas, plus concernée par l'intensité de mes grommellements que par ma page."

"Étrangement, ma mère commença à venir me tenir compagnie. Je fus d'abord étonnée par ce soudain intérêt. Ma mère était un parangon de douceur et le véritable modèle de la femme idéale, comme Lorelei, d'ailleurs, et c'était peut-être cette incompréhension entre nous deux qui me poussait plus vers le caractère affirmé de mon père. J'aimais ma mère, et ma mère m'aimait sans aucun doute, mais notre vision du monde n'était pas la même."

"Je la vis du coin de l'œil s'asseoir sur le siège en face du mien, pour la énième fois ce mois d'octobre. Je n'osai pas lui demander la raison de sa présence, de peur de la blesser, comme à chaque fois qu'elle venait. Je refermai juste mon ouvrage pour lui indiquer que je l'avais vue et fixai le feu. Après un moment de silence, ma mère murmura:

'Mon précieux saphir.'

Je souris. Elle ne m'avait pas appelée ainsi depuis mon enfance. Il était de coutume de ne pas trop complimenter les filles pour leur apprendre la modestie. Cela n'a pas marché avec moi. Et Lorelei, si je me souviens bien, était 'sa perle'.

'Je ne supporte pas de vous voir fâchées, continua-t-elle.

-Alors vous m'avez tenu compagnie pendant presque un mois rien que pour cela?

-Je suis restée trop longtemps sans m'intéresser à toi.'

Je levai un sourcil intrigué. J'avais fini par me passer de la présence de ma mère; ce désintérêt ne m'avait jamais vraiment gêné. Elle s'expliqua:

'Au départ, j'ai cru que tu voulais n'en faire qu'à ta tête. Je pensais que tu finirais par comprendre ce que l'on attend de toi en tant que jeune fille bien née.

-Et vous avez compris que j'étais née avec une tête plus dure que la pierre?

-Aussi dure que celle de ton père, en tout cas.

-C'est une mauvaise chose?

-Je pense que cela t'évitera bien des déconvenues. Il est bien de savoir ce que l'on veut. Mais il est aussi bien de savoir plier, de temps en temps.'

J'ignorais si elle voulait parler de la question des prétendants, de ma dispute avec Lorelei ou des deux, puisque l'une était liée à l'autre.

'Je ne viendrai pas faire la paix tant qu'elle n'y mettra pas du sien.

-Pourquoi vous êtes vous fâchées?'

Ah, cette question à laquelle je ne pouvais répondre sans casser des pots. J'essayai de me contrôler pour ne pas dire tout ce que j'en pensais.

'Elle a manqué de respect à Leroy.

-Guillaume Leroy?'

Son regard me demandait depuis quand je m'intéressais à quelqu'un d'aussi banal.

'Guillaume Leroy, précisément. Un homme très comme il faut.

-Comme il faut? C'était un parieur, à ce qu'il me semble.

-Maman, je ne veux pas me fâcher avec vous. Vous êtes la dernière personne qui n'en fasse pas qu'à sa tête, dans cette maison.'

Elle rit avec grâce, comme à son habitude. Marie de Douarnez avait toujours tout fait avec grâce. Et fragilité.

'Ce d'Arcourt ne me met pas en confiance, avouai-je. Je ne sais même pas s'il écrit encore à Lorelei.

-Monsieur d'Arcourt semble être un parti tout à fait convenable pour ta sœur, Iris. Même ton cousin nous l'a dit.

-Maël se renierait pour nous faire plaisir, maman.'

Je soufflai, boudeuse. Étais-je vraiment la seule à ne pas l'aimer? Ou les autre ne voulaient-ils tout simplement pas s'interroger sur la vérité?"

'Comment... comment arrivez-vous à vous entendre, papa et vous?'

Ma mère fronça les sourcils, gênée. On ne pose pas de telles questions.

'Cette question est assez déplacée.

-Quitte à faire un mariage arrangé, autant connaître votre secret pour maintenir un tant soit peu de paix dans le foyer.'

Un sourire triste étira ses lèvres. Je regrettai instantanément ma question.

'Je vous demande de me pardonner, maman.

-De la volonté. Et un commun accord.

-Je ne comprends pas.

-Tu ne peux pas changer ce pour quoi tu es née. Ce pour quoi ta famille t'a destinée. Quitte à ne pas choisir son destin, mon précieux saphir, autant agir pour que celui-ci te paraisse le plus agréable possible. J'ai la chance d'être mariée à un homme qui pense la même chose.'

L'acceptation. Le fatalisme. Tout ce qui me repoussait. Et pourtant, il fallait tout de même du courage pour accepter une vie qui nous était imposée. Ou était-ce de la lâcheté? La peur d'aller à l'encontre du choix paternel, la peur d'être rejetée de sa propre famille, la peur de sortir de sa petite vie confortable pour les classes aisées? Mes parents semblaient plutôt déterminés à nous laisser le choix du mari, tout en s'assurant que nous menions une vie convenable. Je ne voulais pas d'une vie convenable si je devais vivre en cage. Mais sans argent, je ne pouvais pas être libre.

'Les hommes ne m'intéressent pas vraiment pour le moment', rétorquai-je.

M'est avis que mes grands-parents n'avaient pas demandé à ma mère si les hommes l'intéressaient avant de la fiancer à un homme de dix ans son aîné.

'Dans quelques années, peut-être. Nous ne sommes pas pressés.'

Il allait donc falloir que je me marie un jour. Je me levai et l'embrassai sur le front, et elle me sourit.

'Merci, maman.'

Je ne reçus aucune réponse, mais partis tout de même. Je n'en étais pas à une frustration près.




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