Chapitre 24

Je ricanai.

'Je suppose que tous les soldats sont sûrement des personnes peu recommandables.'

Il me fixa un instant, pensant sûrement que je n'avais pas compris - ou que je refusais de comprendre - et haussa les épaules.

'Votre cousin est sûrement quelqu'un de très recommandable, tenta-t-il.

-Comment pouvez-vous l'imaginer? Vous ne savez rien de lui.

-J'ai sa famille devant les yeux depuis quelques semaines déjà.

-Continuez, j'adore me faire encenser.'

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire moqueur.

'Votre père, cet homme si pieux, juste, droit et généreux, n'apprécierait pas vraiment votre comportement. Ni votre mère, douce et bienveillante. Quant à votre sœur, que dire? Aucun mot assez puissant n'existe pour décrire l'adoration que je lui porte...

-J'ai compris!'

Leroy me regarda bouder quelques minutes, hilare, puis se remit à la tâche. Mais je ne comptais pas en rester là.

'Savez-vous au moins qu'il est inapproprié de parler de Lorelei en ces termes?

-Alors comment dois-je parler d'elle, Mademoiselle?

-Ne pas en parler tout court serait une bonne chose.'

Il ne comprit pas tout de suite que j'étais pour le moins sérieuse, mais sa mine finit par se décomposer.

'Je n'en ai vraiment pas le droit?

-Faites-vous une fortune convenable avant. Mon père ne la laisserait jamais partir ainsi.

-C'est vrai que je ne la mérite pas.'

Son air misérable me fit lever les yeux au ciel.

'Vous me feriez presque de la peine, Leroy.'

-Alors vous avez toujours eu ce caractère?"

Iris s'interrompit, mécontente que le biographe vienne encore y mettre de son avis.

"Et quoi, le scribe?

-Comment avez-vous pu entrer dans la société avec un comportement pareil?

-Je vous l'ai dit; j'étais en colère contre eux. Et il faut toujours se montrer complaisant avec les personne que l'on ne connaît pas; c'est ainsi que je me suis fait une place.

-Donc, si je comprends bien, vous n'avez un caractère déplaisant qu'avec les personnes que vous pensez bien connaître? Ou que vous appréciez?"

La vieille dame fronça les sourcils, mais un demi-sourire vint se loger sur ses lèvres.

"Je vous vois venir, le scribe. J'ai un caractère irascible avec tout le monde, maintenant, je que les connaisse ou pas, que je les apprécie ou non.

-J'aurais essayé. "

Le biographe marqua le point final sur son cahier et Iris poursuivit:

"Nous eûmes la chance de ne pas être de nouveau attaqués par l'armée ou les Légitimistes, qui furent somme toute rapidement dispersés - en l'espace de deux mois ou trois, si je me souviens bien. Au mois d'août, le village était habitable, et il nous fallut contacter les familles de nos deux énergumènes. Si d'Armence se sentit presque soulagé à l'idée de pouvoir rentrer chez lui, Leroy y montra quelque réticence.

"'Vous nous aviez pourtant dit avoir des frères, si je me souviens bien, rétorqua mon père, assis à son bureau, toute sa famille autour de lui.

-Monsieur, je ne suis pas vraiment sûr qu'ils veuillent entendre parler de moi. Contacter mes supérieurs serait largement suffisant, je vous assure.

-Vos frères doivent vous croire mort, à l'heure qu'il est, insista-t-il en fronçant les sourcils.

-C'est toujours mieux pour eux.'

Mon père n'était cependant pas convaincu. Agacé, il chiffonna l'un de papiers - j'espérai pour lui qu'il se s'agissait pas d'un sujet de première importance.

'Pourquoi tenez-vous tant à les tenir dans l'ignorance?

-Je ne pense pas que le fait que je vive ou que je meure leur importe beaucoup.

-Cela, vous me l'avez déjà dit. Mais je préférerais savoir si j'héberge un criminel sous mon toit.

-Sauf votre respect, Monsieur, un soldat est un criminel.'

Nous retînmes notre souffle en attendant sa réaction. Je n'aurais jamais cru que Leroy oserait. Il me l'avait dit à moi, car je ne représentais pas l'autorité ici, mais à mon père... C'était une autre histoire.

Mon père le regarda un long moment en silence, semblant réfléchir à ces paroles, puis déclara:

'Cela ne répond pas à ma question.'

Leroy baissa alors la tête, gêné, et mon père comprit.

'Vous pouvez partir', annonça-t-il.

Nous obéîmes, mais j'entendis, au dernier moment:

'Iris, reste ici.'

Je m'immobilisai et me retournai, refermant la porte sur moi.

'Papa? interrogeai-je, feignant l'innocence.

-Te connaissant, tu t'es sans doute renseignée et tu sauras le reste dans quelques heures.'

Je lui souris, toujours blanche comme neige, et mon père soupira.

'Asseyez-vous, Monsieur Leroy.'

Voyant que je ne l'imitais pas, il me jeta un regard insistant, et je finis par faire de même.

'Monsieur, je vous jure que je n'ai jamais rien commis d'assez grave pour mettre en péril votre réputation, assura le jeune homme.

-Je l'espère bien. Il ne faudrait pas que je vienne à regretter mon acte de bonté. J'avais jusqu'à présent plus confiance en vous qu'en Monsieur d'Armence.'

Leroy déglutit, peiné sans doute d'entendre cela.

'Monsieur, dit-il encore, ce serait vous manifester une affreuse ingratitude. Je ne suis pas un ingrat. Je ne suis plus un ingrat.'

Mais qu'il était frustrant!

'Nous n'allons pas rester assis jusqu'au souper?' me plaignis-je en réajustant mon jupon.

Je reçus un nouveau regard d'avertissement. Ne pas pousser trop loin aujourd'hui serait une idée formidable, surtout si je voulais que Leroy parle enfin.

Ce qu'il fit, sur geste d'invitation de mon père quand je me convainquis définitivement de me taire.

'Je vous avais dit que nous avions hérité de l'imprimerie de notre père, mes frères et moi.'

Nous confirmâmes et il poursuivit:

'Je ne possède plus ma part. Je l'ai vendue.

-Quel rapport avec la situation? interrogeai-je. 

-Laisse-le s'expliquer, Iris, m'ordonna mon père. 

-Je l'ai vendue pour payer mes dettes de jeu.'

Mon père hocha la tête. Cela n'avait pas l'air de le choquer, et c'était une bonne nouvelle. Si jamais Maël avait joué au parieur, qui sait ce qu'il serait devenu!

'Vous nous aviez dit l'avoir vendue à votre aîné, ajoutai-je. Est-ce la vérité?

-Je ne vous ai pas menti, se défendit Leroy. Mon frère a accepté de racheter ma part. Mais ce n'était pas assez pour tout rembourser. Alors je lui ai volé le reste.'

Je dois avouer que je m'y attendais, du moins à quelque chose de semblable. Les désolantes aventures des de Douarnez-Péradec avaient commencé dès que mon oncle par alliance s'était débarrassé de son enfant chez nous, et depuis, nous devions payer pour son crime. Pas une seule décennie sans drame. Et je me fatiguais déjà à cette époque-là, vous rendez-vous compte!

'J'ai donner le reste à mes créanciers, et je me suis engagé. Je n'ai plus de nouvelles de mes frères depuis presque six ans, maintenant. Ils me croient mort, sans doute, et c'est tant mieux pour eux. Ils ne savent même pas que je suis soldat. Et tout cela parce que j'ai fait l'imbécile. 

-Quel dommage, en effet, marmonna mon père. Le fait que vous vous soyez racheté au service de la France aurait dû leur être appris plus tôt. 

-Ils ne me pardonneront pas, Monsieur. Je leur en ai assez fait voir pour qu'ils ne veuillent plus de moi à l'imprimerie. 

-Vous avez de quoi rembourser votre frère?'

Leroy, d'abord surpris par la question, sourit tristement. 

'Je mets de côté à chaque pension que je reçois, oui. J'ai même des intérêts. Mais comme je vous l'ai dit, je ne crois pas...

-Vous ne m'en voudrez donc pas si je vous dit que la lettre est partie hier au matin et doit atteindre Paris dans quelques jours? 

-Monsieur... 

-Au mieux quarante-huit heures.'"

Théophile leva un sourcil éloquent, et la vieille dame confirma:

"Et oui, Monsieur Dieudonné. Il s'agissait de mon père, tout de même."

"Leroy ne savait plus où se mettre et perdait ses couleurs à vue d'œil, alors que mon père gardait les siens indéchiffrables. 

'Monsieur, vous ne savez pas ce que vous avez fait! s'écria-t-il enfin, blanc comme la mort. 

-Je vous ai donné l'opportunité de vous racheter. Enfin, je ne le savais pas quand j'ai fait envoyer le courrier. Il n'y a qu'une seule imprimerie Leroy, à Paris, de toute façon. Non? 

-Si. Enfin, oui, il n'y en a qu'une seule, mais c'était quand je suis parti, et... je ne sais plus ce que je dois faire. Vous n'auriez pas dû, Monsieur. 

-Et vous auriez encore une fois fui? Le soldat honorable que vous êtes devenu, qui n'a pas hésité à venger l'honneur d'une jeune fille inconnue, qui a su écouter celui qui l'a tué, cet homme-là fuirait devant ses frères, comme un criminel?'

Leroy sembla réfléchir un instant, percuté par les paroles de mon père. Il avait cette aisance dans le discours dont aucun de nous, même pas Maël, qui lui ressemblait beaucoup par bien des aspects, n'a hérité. Je regrette qu'il n'ait pas parlé ainsi à mon cousin avant qu'il parte pour Alger. Peut-être ne possédait-il ce don qu'avec les étrangers."

"Le jeune soldat sembla alors sortir de ses pensées, les yeux toujours dans le vide, mais déterminé.

'Si je les rencontre, témoignerez-vous en ma faveur pour prouver à mes supérieurs que je ne suis pas un déserteur? 

-Je comptais le faire malgré tout.'

Il opina du chef et croisa les bras. Sa volonté ne faisait pas de doute à cet instant, et je me pris à penser que si d'Arcourt avait eu le quart de cela, Lorelei serait déjà sa femme. Sous nos yeux impressionnés, il annonça gravement:

'Alors je suis prêt.'"  



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