Chapitre 17
Iris laissa échapper un petit rire satisfait. Théophile haussa un sourcil interrogateur par-dessus sa tasse de café fumante. Car Madame de Douarnez, à son plus grand étonnement, avait décidé d'offrir du café pour ses visites journalières.
"Vous en arrivez au moment où tout s'accélère, répondit-elle, les bras croisés.
-C'est à dire?
-Vous verrez bien, le scribe.
-C'est cruel, ce que vous me faites.
-Je n'ai pas pour habitude de me montrer complaisante. Vous devriez le savoir, non?
-Vous m'avez fait servir du café.
-C'est...
-Vous m'aviez averti que je devrais me contenter de thé.
-C'est une simple histoire de réception! Une commodité, rien de plus. Je ne suis pas ingrate à ce point. Combien d'heures avez-vous passé à m'écouter?
-Peut-être suis-je rémunéré pour cela.
-J'en doute, Monsieur Dieudonné. Ce que je sais , c'est que vous ne me direz pas qui vous a envoyé.
-Vous savez bien, alors."
Il sortit ses cahiers.
"Il paraît aussi que votre caractère n'a pas vraiment changé depuis longtemps.
-Je vous l'avais dit, non?
-Si, mais j'en ai eu la confirmation pas votre père. Ou votre mère?
-Mon père. Il se gardait le droit de lui écrire et de nous informer de sa vie en Algérie. Ma mère n'aimait pas vraiment écrire à Maël. Cela la faisait pleurer.
-Et vous?
-Et bien, j'ai assez de honte à admettre que je l'ai un peu oublié, après la dispute. Maël, c'était le cousin qui émigre dans un autre pays. Il n'était plus au fait des actualités françaises. Loin des yeux, loin du cœur, comme on dit. Ne vous méprenez pas; j'aimais beaucoup Maël. Mais mon caractère a toujours été méprisable, vous le savez."
Le biographe n'osa pas répliquer. Il avait entendu parler d'elle comme une grande dame, et maintenant il était déçu. Mais il espérait tout de même un retournement de situation.
"Il ne se passait rien, au manoir, reprit la vieille dame. J'avais demandé à mon père de rester à Paris, mais il avait refusé. Plusieurs émeutes éclatant encore régulièrement, la plupart constituées d'étudiants, et il ne voulait pas vivre là-bas. C'était un campagnard, il aimait son Pays Nantais, bien que Paris lui fût essentiel pour ses affaires. Les nobles préféraient la province, de toute façon. Je crois que j'étais la seule à aimer Paris plus que notre manoir battu par les vents."
"Lorelei suivait, depuis l'insurrection de juillet, une correspondance régulière avec Auguste d'Arcourt, et mes parents, comme je le craignais, l'avaient découvert. Et, une après-midi, pendant que Lorelei était descendue au village s'occuper de la charité, sûrement, ils m'avaient emmenée dans le bureau de mon père."
"J'attendais donc, droite comme un 'i', que l'un deux commence. À ma plus grande chance, ce fut ma mère.
'Nous avons appris, par certains amis, que ta sœur échangeait une correspondance soutenue avec un jeune homme', hasarda-t-elle pour me faire parler sans s'impliquer réellement.
Les amis en question n'y étaient pour rien dans cette découverte; nous avions des domestiques assez fouineurs, et Lorelei ne pensait plus à cacher ses lettres. Auguste lui avait certifié qu'il ferait sa demande sous peu.
'Et bien, hésitai-je, je ne suis pas sans cesse dans les affaires de Lorelei. Surtout ses problèmes de cœur.
-Tu sais quelque chose, intervint mon père.
-Si vous savez que je sais quelque chose que j'ignore moi-même, alors je vous félicite, mes parents, car vous êtes visionnaires, répliquai-je, rebutée par son ton impérieux.
-Je sais que tu ne trouveras jamais un bon parti si tu continues tes piques insolentes', me prévint-il, laissant pour l'instant la punition.
Je hochai la tête, à demi contrite pour faire bonne mesure, car je n'allais tout de même pas leur jeter à la figure que les prétendants me fuiraient vite, que je ferais en sorte qu'il en soit ainsi.
'Je ne dirai rien à Lorelei, tenta-t-il de me rassurer. Et, pour ta gouverne, sache que ton cousin le connaît. Comme tu nous a apparemment échappé plusieurs fois à Paris, et que ta sœur te confie tout, nous présumons donc que tu as sans doute des informations à nous confier. Pour le bien de Lorelei.'
Mes deux seuls points faibles: Maël et Lorelei. Je gonflai les joues et croisai les bras. J'avais promis de ne rien dire.
'Ne fais pas l'enfant, Iris. Il est temps de te comporter comme une jeune fille raisonnable de ton âge. Il s'appelle Auguste d'Arcourt.'
Je confirmai de la tête.
'Bien. D'où vient-il?
-Du Poitou, je crois.
-D'une famille fortunée?
-Il avait l'air.
-Connais-tu son rang?
-Non. Il est plus vieux que Lorelei.
-De combien?
-Moins de dix ans.
-Vit-il à Paris, ou retourne-t-il en province, comme nous?
-Il y est souvent.
-En province, ou à Paris?
-À Paris.'
Mon père se leva, agacé.
'Je pense que nous n'irons pas plus loin avec toi, je me trompe?
-Pas du tout.
-Maël m'a de toute façon certifié certaines choses que tu ne voudras pas me dire, et Lorelei va revenir. Pas un mot de tout cela, bien entendu. Ai-je ta promesse?
-Vous l'avez.'
Si ma sœur apprenait que j'avais divulgué ces choses, même infimes, à nos parents, je doutais qu'elle me le pardonnerait."
"Il en alla ainsi. J'en voulus d'abord à mon cousin de n'avoir pas tenu sa promesse, puis me dit que mon père avait justement dit cela pour m'encourager à avouer plus de choses dans les jours qui suivraient. Bien évidemment, je ne me laissai pas tromper, et restai muette. J'appris plus tard que Maël avait certes parlé dans ses lettres, mais cela, vous le saurez en les lisant. Et Lorelei ne sut jamais rien de cet entretien."
Le jeune homme but sa dernière gorgée. Le café le ranimait un peu, après avoir veillé une bonne partie de la nuit.
"Vos parents lui ont demandé des explications?
-Pas tout de suite. D'abord, ils ont mené leur enquête. Et mon père a demandé conseil à Maël, qui n'en savait qu'un peu plus que moi. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit, mais il paraissait beaucoup plus serein quant à l'avenir de ma sœur. Je soupçonne Lorelei d'avoir su par un quelconque moyen que mes parents se renseignaient, et d'avoir envoyé des lettres à Maël. Mais il fallut bien que cela arrivât un jour."
"Quand elle ressortit du bureau de notre père, elle était pâle.
'Que t'a-t-il dit? demandai-je, car je patientais toujours discrètement derrière la porte.
-Rien.
-Il t'a gardé plus d'une heure!'
Elle ne répondit pas à ma protestation et se détourna de moi pour descendre les escaliers, mais je la suivis.
'Il ne peut pas ne t'avoir rien dit!'
Elle fit d'un coup volte face, et je sursautai sous le soudain revirement de situation. Lorelei n'était pas effrayante quand elle se mettait en colère, contrairement à notre cousin, mais je ne l'avais jamais connue si brusque. Elle semblait désespérée, à ce moment, perdue aussi.
'Que veux-tu, encore? Si je t'affirme qu'il n'a rien dit! Je plaignais Maël, mais je sais maintenant ce qu'il ressent!'
Surprise d'abord qu'elle s'en prenne à moi, je m'arrêtai, bouche bée.
'Tu ne penses tout de même pas que c'est moi qui leur ai dit?
-Qui d'autre? Dis-le moi!
-Mais personne! Juste une imbécile qui laisse ses lettres en évidence sur son secrétaire!'
Elle sembla soudain prendre conscience de son erreur, et son visage se détendit.
'Oh, Iris, je suis désolée...
-Je suis ravie que ma sœur ait tant confiance en moi, mais ce n'est rien! Tu pourrais tout de même te faire pardonner en me rapportant ta discussion avec père?
-Tu n'as aucun scrupule, même avec moi!
-Parce que ce qu'il t'a dit pourrait te compromettre?
-Biensûr que non!
-Alors tu n'as rien à craindre en confiant tout à ta petite soeur dénuée de scrupules!'
Lorelei soupira. J'ai toujours vite fatigué les personnes de mon entourage.
'Il m'a posé des questions sur Auguste, me répondit-elle, après m'avoir avoué qu'ils savaient pour notre correspondance. Et il m'a demandé s'il...
-S'il n'y avait rien eu de plus?
-En quelque sorte.
-Et...
-Pour qui me prends-tu!
-Je voulais te demander s'il ne t'avais rien dit d'autre! Aucune conclusion sur votre possibilité d'avenir en commun?
-Non.'
Je fis la moue. Notre père aurait au moins pu lui laisser entrevoir un espoir. Ou lui refuser tout de go l'idée.
'S'il n'a rien déclaré, c'est qu'il n'a encore rien décidé. Il attend de voir Auguste. Dès qu'il t'aura fait sa demande, il acceptera de te donner sa main. Tu verras.
-Tu le crois vraiment?
-Papa n'est tout de même pas un sans-cœur! Fils aîné de famille au moins aussi aisée que nous, de bonne réputation, et surtout profondément épris... Ce serait de la bêtise que de refuser une telle offre. Et Papa est loin d'être stupide, tu ne crois pas?
-Si, biensûr que si!
-Alors tout est réglé!'
Je lui pris l'épaule et l'entraînai vers les jardins. Elle avait besoin de repos, après toutes ces émotions. Moi aussi, d'ailleurs."
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