Premier choc 5/6

Sur les hauteurs, Darkolès regardait le combat. L'ennemi se battait avec la puissance et la sauvagerie inhérente aux peuples arriérés. Il était farouche, mais son sort était scellé. Ses ailes lâchaient, il se faisait encercler.

Au côté du commodore, le souffleur de cor fit résonner son instrument à travers toute la plaine. Les lignes de la formation s'animèrent avec la parfaite précision des séquences longuement répétées. Après une courte interruption dans l'échange de coups, le premier rang à nouveau garnit de sang neuf reprenait le massacre.

Le seigneur d'Armadoc était chaque fois fasciné de constater la supériorité de l'esprit sur la force brute ; la tactique écrasait toujours la barbarie ! Survivre dans une mêlée était chose enivrante, mais diriger la bataille, l'observer dans son ensemble flamboyant et voir sa stratégie balayer celle de l'adversaire, éveillaient un sentiment de toute puissance qu'aucun mot ne pouvait décrire.

Plus impressionnant que l'anéantissement prévisible de quelques sous-développés, était la clairvoyance du digne héritier des Gargandra. À un niveau bien supérieur encore, le suprême échelon des faiseurs de royaume, Caribéris avait surpassé ses rivaux. Ugres et Exiniens étaient des alliés de choix et le roi avait bien fait de les envoyer s'épuiser dans ces contrées.

"Sargonne commande ou éteint".

La réalité sous ses yeux dévoilait combien appropriée était la devise du pays souverain et, suprême flatterie à l'amour propre du commodore, les Armadociens avaient su faire honneur à leurs origines. La mère patrie n'avait pas à rougir de ses enfants, par leur mort ou par leur combativité, ils avaient assurés la gloire de son nom au service du royaume.

Soudain, son attention fut attirée par un homme au comportement étrange. Alors que tout se déroulait selon les plans, il le vit sortir des rangs et se lancer dans une course burlesque. Il fonçait en sens inverse, handicapé par sa petite taille, par la boue et par son armure. Sa fuite avait une allure des plus grotesque, mais il courait dans leur direction comme si la mort était à ses trousses.

— Noriker ! dit tout haut Darkolès, qu'est ce qu'il lui prend ?

Partagé entre la grande expérience du seigneur du Maultier et son peu de considération pour les stratégies qui n'étaient pas les sienne, le commodore resta un instant à essayer de le sonder. Rien ne justifiait qu'un commandant quitte ainsi la bataille. La tentation était grande de le faire abattre avec une salve de flèche. Une bien vilaine mort pour ce guerrier hors-pair qui méritait un combat singulier, mais sa disparition servirait au mieux les intérêts de Sargonne et serait un exemple de poid pour l'ost.

— Sire Gaïlenis ! lança-t-il au chef des archers.

— Vos ordres ? sire commodore.

Darkolès hésita, son appétence pour la confrontation le tiraillait. Il regarda courir le glorieux ugre auquel il souhaitait ardemment se mesurer, mais il se ressaisit.

— Vous voyez ce fuyard, commença-t-il...

Il ne termina pas. Sur le côté sud de la colline apparu soudain le prince Orhid suivi par le reste de l'armée. À leur vue, le milite dévia sa course. Il se dirigeait maintenant vers eux en faisant de grands signes. Sa foulée ralentissait, la fatigue devait le tenailler.

— Bon sang ! qu'est ce qu'il nous prépare ? Il croit prendre le commandement ?

Darkolès le savait, le milite était hors de portée. Il se tourna vers un soldat à cheval.

— Vas voir ce qu'il lui prend, fonce !

Le garde lança sa monture à brides abattues. Le commodore le suivi attentivement des yeux. Une fois de plus, l'énergie que déployait l'animal se perdait sur la surface visqueuse du terrain.

Soudain, son attention fut attirée du côté opposé. Sortant des eaux de l'étang, des hommes se jetaient dans la bataille. Ils furent rapidement plusieurs dizaines, puis des centaines à prendre les combattants à revers par le nord. La dernière ligne se retourna, la tactique était désorganisée. La surprise était totale, mais l'armée tenait bon. Sous les ordres expéditifs de Madalbon, les soldats s'orientèrent pour faire face au nouveau front et un second rang leur porta assistance. Ils pouvaient maintenant se relayer au son du cor.

Les yeux du commodore étaient très mobiles. À l'autre bout de son champ de vision, l'estafette avait rejoint Noriker. Ils entrèrent dans une longue conversation. Le seigneur du Maultier était essoufflé et avait grand mal à s'exprimer. Le messager avait l'air hésitant. L'armée dirigée par Orhid, quant à elle, était restée insensible aux appels du milite, elle continuait à cheminer lentement. Le garde qui avait rejoint Noriker descendit de monture. La bête de l'Othe grimpa sur son cheval et partit au grand galop en direction de l'Othrystin.

Une clameur assourdissante s'éleva alors de la bataille. Des bois se déversait un nouvel afflux de sauvages, plus nombreux cette fois, ils étaient peut-être un millier. Deux nouvelles lignes se tournèrent vers le sud mais elles furent submergées. L'ost se disloquait, la tactique ne tenait plus.

Le commodore retint toute réaction impulsive, il voulait connaître les intentions de Noriker. L'Ugre avait rejoint le reste des troupes et il repartait vers le conflit suivi des chevaliers. En commandant aguerris, il avait fait adopté un trot lent pour ne pas fatiguer les montures.

Darkolès compris la manoeuvre, il descendit de cheval, mit Bilichilde au clair et beugla :

— On y va les gars ! on aide le flanc nord à se débarrasser de ces mange-merde !

Le millier de soldats se mit en branle à pas soutenu, mais ils étaient encore loin, la charge devait attendre. Darkolès dû user de toute sa maîtrise. Il ne fallait pas se précipiter malgré le cuisant revert qui se jouait sous ses yeux.

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