Le secret de Tukotikal 6/6

— Viens avec moi jusqu’au port, Yuma, j’aimerais la présence d’un vieil ami à mes côtés avant de m’engager dans un voyage qui s’annonce long.

Yuma aquiesça et les deux hommes quittèrent le palais. Ils cheminèrent à travers la ville. Les rues s’animaient, les habitant avaient déjà commencé leurs  labeurs quotidien, la journée s’annonçait semblable à toutes autres et allait se déployer dans le charme confortable d’une routine bien connue.  Arrivés à l'extrémité sud de la cité,  les deux hommes traversèrent la jetée et empruntèrent la route qui menait jusqu’au port. Le trajet à travers les forêts prenait un certain temps, mais leurs discussions étaient revenues à des moments moins pénibles et même des jours heureux. Ils arrivèrent sur le débarcadère sans avoir vu le temps passer. Un solide gaillard à la peau sombre les aborda. Il tendit au patriarche l’anneau doré marqué du sceau de Kulcan.

— Bonjour patria, je me nomme Ahmès, je suis le capitaine du Nommo, votre bateau pour la Dacéana. Mon équipage est prêt, il n’attend plus que vous pour larguer les amarres.

Shaska saisit son bien.

— Bonjour capitaine, répondit-il en repassant l’anneau à son doigt, vous êtes originaire d’Ashira Lagos.

— C’est bien ça, patria, nous sommes arrivés hier en provenance de Goubou.

— Des marins Lagashirates, très bien, c’est très bien, je vous sais excellents navigateurs. Si vous le permettez, je dois donner encore quelques précisions à mon ami avant mon départ. Je vous rejoins juste après.

— Bien patria, répondit le capitaine en s’inclinant. Puis il se dirigea vers son navire avec cette force sereine immanente aux personnes de son envergure. Il n'eut pas à donner la moindre directive, l’équipage se mit en branle dès qu’il atteignit le pont. Shaska attendit qu’Ahmès soit à bonne distance et afficha une moue satisfaite.

— Votre servante a bien choisi, commenta Yuma.

— Coyoli fait toujours bien les choses, c’est une jeune femme perspicace. N’hésite pas à t’appuyer sur elle pendant mon absence.

Le serakatal se contenta d’acquiescer de la tête, mais Shaska ne le regardait pas. Les yeux perdus dans la mer, l’esprit déjà tourné vers l’avenir, il marmonna :

— Mon cher ami, il est temps de nous dire au revoir, je ne sais si nous nous reverrons.

Le bras droit soupira. L’air de la matinée était agréable, la mer était calme et ses vaguelettes produisaient un son apaisant qui caressait l’esprit. Il protesta avec une grande quiétude : 

— Pourquoi un ton si sombre, patria ? votre force est extraordinaire.

— Cette fois-ci, je ne suis pas certain qu’elle sera suffisante. Écoute moi bien Yuma, tu sais vers quel destin nous entraîne Ménéryl. J’ai pris le parti de croire qu’il était la seule voie possible et les Kulcanèques ont largement contrarié mes plans par leur sottise. Même si les chemins du temps nous préservent de la défaite, le chaos s'abattra sur le monde d'Omne. Le rôle de notre archipel sera alors primordial. S'il venait à m’arriver malheur…

Il sortit de sa manche un parchemin scellé et le tendit à Yuma.

— C’est une lettre écrite de ma main, disant que si je venais à mourir, tu serais chargé de la régence de cette île. Gouvernes avec sagesse et rapproche toi des patriarches pour me trouver un successeur.

— Mais patria...

Shaska leva la main pour l’inviter à le laisser finir.

— Je ne vois personne d’autre que toi plus apte à cette tâche. Rappelle-toi seulement que ce rôle t’écrasera d’une responsabilité bien plus grande que celle d’un simple monarque. Tu devras préparer l’après…

Il se tut un instant et jeta sur son ami un regard affligé. Puis il ajouta d’une voix qui semblait avoir soudainement été rattrapée par le poids des années :

— Si nous échouons, les décisions que tu auras pu prendre n'auront plus aucune importance.

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