Le secret de Tukotikal 5/6
Yuma secoua affirmativement la tête sans pouvoir articuler. Sa honte était grande et il cherchait à retrouver son calme. Il ne voulait pas raconter son récit en sanglotant et en regardant ses pieds. Il trouva le courage de lever les yeux et rencontra un regard bienveillant.
— En réalité, c'est Azcal qui est monté à la cabane avec Necali et Tlacel, finit-il par dire. Ils le détestaient plus que quiconque à cause du jour où vous les avez surpris à frapper l'enfant. Ils avaient l'impression de vous avoir déçu et que c'était de sa faute à lui. Comme vous n'étiez pas là, ils n'ont pas hésité à aller le chercher pour régler un vieux compte. Ils l’ont crié sur tous les toits et très rapidement ils furent suivis par des dizaines de citoyens. Je les ai accompagnés pour ne pas que les choses s’enveniment. Mais pendant toute la montée, chacun y est allé de son commentaire et toutes les remarques revenaient à la même haine. Nous comprîmes que tous étaient d'accord, et vous n'étiez pas là, il n'y avait plus de règles que celles qui s'écrivaient à mesure de notre avancée. Je ne voulais pas que ça dégénère mais dans le fond j'étais d'accord avec eux. Cet être était une abomination à mes yeux. Pourtant lorsque nous vîmes l'enfant, je ne pu m'empêcher d'éprouver du dégoût en voyant cette foule haineuse déverser un flot d'insultes et d'humiliations. Azcal cherchait la moindre excuse pour passer à l'acte, mais le gosse, il faisait que baisser la tête et attendre que ça passe. Ça n'a fait que l'énerver davantage et Azcal a sorti un couteau. Il a dit que c'était pour lui tailler un sourire parce que c'était le seul qui faisait la gueule.
Yuma se remit à sangloter et finit par baisser la tête. Il se triturait nerveusement les doigts et reprit :
— Personne n'a rien vu, c’est allait beaucoup trop vite, mais l’instant d’après, le couteau était dans les mains de l’enfant et il était en train d’ouvrir le ventre d’Azcal. C’était terrible, les traits de son visage étaient effrayants, et ses yeux… ses yeux ! On aurait dit qu’il regardait une autre réalité. Et… Et… Il nous a semblé que quelque chose l’enveloppait. Une manifestation vaporeuse et mobile et... sur Kayananuku je le jure… nous avons vu une silhouette se dessiner. Nous étions plus nombreux mais tout le monde était tétanisé. Il n’y a que le père Ichtaka qui s’était glissé dans son dos. Il était terrorisé alors il a frappé de toutes ses forces sur la tête avec un bâton. L’ombre avait disparu, mais le gamin était toujours en vie. Personne n’osa l’approcher. Alors nous sommes allés chercher des marins qui étaient en ville. On les a grassement payés pour récupérer le corps et le jeter en mer. Ces hommes, on l’a bien vu à leur physique, ce n’était pas des délicat et il ne se firent pas prier. Ils ligotèrent l’enfant, l’embarquèrent sur le navire et il prirent le large. Je n’en avais plus jamais entendu parler. Je le croyais mort.
Yuma se redressa. Dans le regard habituellement insondable du patriarche, il crut lire une profonde tristesse. Sa conscience fut bousculée. Était-ce possible ? Ces yeux forgés par l’écoulement des siècles n’avaient pu être accablés que par un terrible désastre et c’était lui, le propre bras droit de Shaska, qui en était la cause.
— Qu’a t-il bien pu t’arriver par ma faute ? dit tout haut le patriarche comme s’il était seul. Qu’as-tu vécu à cause de mes manquements ?
Il resta un instant centré sur les préoccupations qui se bousculaient dans sa tête. Ses doigts commencèrent à s’agiter et à dessiner des figures dans le vide, alors qu’il marmonnait à intervalles réguliers : " quelles sont les conséquences ?” Puis son attention se porta à nouveau sur Yuma resté pétrifié. Cette lettre, allaient amener le serakatal à devoir pleinement assurer son rôle. Il n’y avait pas de temps à perdre avec des remords, il n’y avait de tout de façon rien à pardonner. Shaska fit prendre aux traits de son visage une expression indulgente et parla avec sérénité :
— Je comprends que tu ne m’ai rien dit et tu as eu raison de redouter l’ostracisation. Ne crains rien, tout ceci ne change rien, je connais ton amour pour moi et je connais celui que tu portes à ton peuple. C’était un problème insoluble, je ne peux imaginer comme ces trois dernières années ont dû être difficiles pour toi.
Yuma pleurait à chaudes larmes, les mots que le patriarche avait choisis pour le réconforter ne faisaient qu’alimenter davantage sa honte et sa souffrance.
Shaska se leva et partit se saisir d’un bâton qu’il n’utilisait qu’en d'exceptionnelles occasions. C’était un assemblage de plusieurs parties de Kayananuku : les branches, le tronc et les racines. Il réunissait les propriétés magiques de l’arbre provenant du monde céleste, terrestre et souterrain. L’instrument était finement travaillé. Il paraissait n’être fait que d’un seul bloc de bois noueux sur lequel avaient été gravés de puissants symboles occultistes.
Le serakatal s’était instantanément ressaisit. Le patriarche de Kulcan venait de s’armer, l’imminence d’un événement majeur s’annonçait.
— Vous partez ? demanda-t-il
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top