Le secret de Tukotikal 3/6

Tout avait commencé par la cérémonie de l'éveil. Les rites furent particulièrement longs et éprouvants pour la sortir de l'état végétatif dans lequel elle avait été plongée deux ans auparavant. De mémoire de mamech, jamais un sommeil artificiel n'avait été imposé aussi longtemps. Shaska avait senti le trouble dans la communion des patriarches. Certains doutaient de leur réussite, d'autres ne la souhaitaient pas. Après avoir détourné de considérables quantités de matra, qu'il fallut administrer avec parcimonie, sans variation et sans interruption, un hurlement annonça le retour à la vie. Ô un son effroyable dans cette bouche, tant celles de sa caste étaient rompues aux souffrances les plus atroces. C'est à ce moment que les premiers flocons commencèrent à tomber.

Le ciel fut caché par des nuages opaques, il était devenu comme une muraille sombre sur laquelle se répercutaient les cris montés jusqu'au firmament. La température chuta, le sol se couvrit de blanc. Sur le manteau neigeux se mêla le rouge du sang que les prémices de la mise au monde faisaient déjà couler en abondance. Mais il ne s'agissait que du degré le plus bas d'un calvaire qui ne cessa de monter en violence et en intensité. Malgré le froid, les tourments qui assaillirent la jeune femme inonderent son corps d'une sueur poisseuse. Tout entier il se déformait sous les morsures d'une douleur implacable. Bientôt, les yeux, le nez, les oreilles, saignèrent à leur tour et ensanglantèrent une face figée dans une épouvantable grimace. De la bouche grande ouverte ne sortait plus qu'un grognement inaudible, sa voix s'était asséchée. Alors que son corps fumant se désarticulait pour pousser davantage, les phalanges se déboitèrent sous la pression qu'exerçaient les doigts sur la roche. Elle s'écroula dans une posture inhumaine.

Le spectacle d'un formidable supplice se jouait sous les yeux des patriarches et ils attendaient, immobiles, qu'en vienne le dénouement. Naïa les fixa. Son regard, que les années d'un dressage austère avait façonné en une frontière impénétrable, était alors noircis par un abysse de désespoir. Son enfant allait naître et elle ne lui survivrait pas. Quelle que fût son pouvoir, la sainte puterelle était impuissante à changer cet état de fait. Jamais elle ne serait la protection à l'abri de laquelle le fruit de ses entrailles mûrirait. Dans un ultime effort, elle articula ses derniers mots : "Ménéryl, il s'appelle Ménéryl".

C'est à ce moment que l'enfant, poussé vers l'existence, rugit en arrivant au monde. Dissimulée par la fureur des ses cris, Naïa se vida de son dernier soupir. Une vie débutait, une autre s'achevait. La neige cessa de tomber. Le nourrisson pleurait, il cherchait la chaleur de bras protecteurs, mais il n'eut pour accueuil que le cadavre maternel et le regard froid de cinq étrangers.

Ménéryl ! Un nom crié comme une dernière volonté. Un espoir étrange, placé entre les mains de ceux qui pouvaient tout, mais qui n'avaient rien fait... Elle était si belle...

Il y avait une dimension dramatique dans cet évènement, les patriarches auraient dû y être sensibles, pourtant, une partie d'entre eux n'apperçurent dans l'ombre du nourrisson que l'inconstance d'un faiseur de massacre. N'avait-il pas commis son premier meurtre à la seconde où il était né ? Sa vie venait à peine de commencer que déjà, la silhouette de la mort se penchait sur lui. Il avait été posé à-même le sol, sans couverture, sans nourriture et les discussions furent longues pour savoir s'il fallait gravir le volcan de la justice et l'offrir à son cratère. Shaska fut le seul persuadé de l'utilité de sa survie, mais la force de sa conviction fit pencher le destin en ce sens. C'est pour cela que Bogatyr Volga plaça le devenir du nouveau-né sous sa responsabilité. Quel échec ! Qu'avait bien pu endurer l'enfant à cause du manque de discernement d'un vieillard supposé pouvoir arpenter les chemins du temps ?

Tout à ces considérations, Shaska fut tiré de ses songes par des bruits de pas qui approchaient.

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