Évasion 1/3

Les trois compagnons remontaient à toute vitesse le couloir qui menait vers l'extérieur. Ménéryl ne ressentait plus cette aura oppressante qui l'avait assailli à son arrivé. L'odeur si tenace du métal fondu avait disparu.

Ils ne croisèrent personne et arrivèrent promptement à l'air libre. Sans ralentir le pas, ils prirent la direction des escaliers et se mirent à les dévaler jusqu'au niveau des religieux.

Au loin, émergeant de l'horizon, la lune bleue s'élevait éclatante dans un ciel sans nuage et recouvrait l'océan d'un voile argenté. Izba la désigna du doigt :

— Nohyx veille sur nous !

Ménéryl lui répondit par un sourire en coin et cacha sous sa tunique l'épée d'or d'Arnipal qui était beaucoup trop voyante. À l'étage éclesiastique, les rues étaient pratiquement vide. Ils ne croisèrent que quelques prêtres qui leurs jetèrent des regards critiques. La présence d'étrangers déambulant à toute allure dans leurs domaine sacré paraissait les irriter et les rendre suspicieux. Mais il n'y avait plus de temps pour les apparence. Bientôt les personnes chargées du maintien de l'ordre allaient avoir fort à faire et la moitié de ces moines méprisant allaient de tout de façon y passer. Les trois compagnons bifurquèrent pour rejoindre l'escalier suivant.

— Les prêtres on s'en cogne, lança Izba, mais il faudra ralentir à l'étage des militaires notre allure est trop suspecte.

— J'approuve l'ami dacéanien, s'exclama Brankas. Voilà une épreuve de taille, mais si nous la passons notre route sera grande ouverte jusqu'au port fluvial. Il ne restera plus qu'à trouver un bateau à Kirapha qui mette les voiles sur le champ.

— Le bateau c'est une affaire réglée, haleta Ménéryl. Par contre, nous passons d'abord par le quartier des commerçants. Nous devons récupérer une amie.

— Oooooh une amie ? Et la belle a de si beaux yeux que nous nous imposions un détour alors que bientôt tout va dégénérer ? Cette île va bientôt se faire purger, cela va devenir le chaos ! Aux luttes de pouvoir se mêleront les vieilles histoires, les querelles de petites gens, les vieilles rancoeurs qui se règleront dans le sang et passeront complètement innaperçues au milieu de massacre. Croyez moi, il y aura ce soir bien plus de mort que nécessaire et la nécessité en exige déjà beaucoup.

— Raison de plus pour aller la chercher, trancha Ménéryl

— Et elle est plus qu'une amie, elle est comme une mère. Pas question de partir sans elle ! surenchérit Izba.

Il approchaient du troisième étage et ralentir leur vitesse pour descendre les marches l'air de rien. L'archer se mit instinctivement à chuchoter :

— Bon, bon, nous augmentons considérablement nos chances d'y rester, mais si elle est comme une mère, je ne vois pas ce que nous pourrions faire d'autre. Les lois de la camaraderie ne sont pas de petites règles dont on s'absout lorsque la situation devient périlleuse. Bien au contraire ! Et puisque ma dignité est mise à l'épreuve, mon honneur me commande de foncer avec vous vers cette fin tragique.

Il posèrent le pied chez les militaires. Malgré l'heure tardive, les rues étaient encore très fréquentées par des hommes en armes. Personne ne savait ce qui allait se passer et le temps jouait contre les trois compagnons. Au mépris de la tension qui les tenaillaient, il adoptèrent une attitude détachée et nonchalante. Brankas poussa même la comédie à lancer une discussion tout à fait banale.

— Enfin l'air devient respirable, je ne sais pas comment les gens d'ici font pour supporter ce soleil. Que diriez vous d'une bonne bière les amis ? nous l'avons bien mérité.

Izba acquiesça d'un hochement de la tête et Ménéryl se fendit d'un simple "d'accord". L'archer rigola, son air était particulièrement enjoué, mais intérieurement ils maudissaient ces compagnons incapable de simuler une discussion avec plus d'un mot.

De tout de façon, les militaires ne leurs accordèrent aucune espèce d'attention. L'atmosphère était détendue. Les soldats avaient pour la plupart ôtés leurs casques et posés leurs armes. Beaucoup bavardaient, certains, accroupis, jouaient avec des sortes d'osselets, d'autres, assis sur le sol une longue paille en bouche, sirotaient quelques boissons rafraîchissantes. Chacun profitait des températures devenues plus clémentes. Le regard de Ménéryl s'attarda un instant sur eux. Quel sentiment étrange de voir ces êtres dans une postures totalement relâchée. Ils profitaient du calme sans se douter que la tempête allait bientôt s'abattre sur eux. Lui était lancé dans une fuite effrénée. Il devait revenir à son but : le second escalier n'était plus très loin et il fallait encore dompter sa brulante envie de reprendre sa course.

Un militaire jovial les aborda :

— Bonsoir étrangers.

Les trois compagnons lui rendirent son bonsoir sans s'arrêter.

— Où allez vous si vite ? insista-t-il en se mettant à les suivre. Vous venez de lointains pays, je le vois à votre physique. Je n'ai jamais quitté cette île, venez me parler de vos contrées.

Ils n'avaient pas de temps à perdre. Ménéryl jeta un œil tout autour. Izba avait compris le problème, il était prêt à agir. Les soldats n'étaient pas sur leurs gardes mais un bon nombre se trouvaient encore entre eux et l'escaliers. Trop de risques et puis, il fallait récupérer Chunsène. L'homme tombait très mal, la situation était clairement en leur défaveur...

— Avec plaisir ! s'exclama Brankas les bras ouverts. Nous vous conterons l'histoire de nos royaumes et vous nous conterez celle du vôtre. Une bière bien fraîche nous attend à l'étage des commerçants. Venez avec nous soldat, il y en aura aussi pour vous.

L'homme en armure se gratta la tête avec un air embêté.

— Aaaah ça se voit que vous n'êtes pas du coin. Malheureusement, je ne descends pas chez les commerçants, c'est très mal vu. Et si vous veniez plutôt chez moi ? J'ai tout ce qu'il faut, nous y serons très bien.

Les trois compagnons, qui avaient bien tenté de ne pas ralentir, durent marquer un temps d'arrêt. Izba et Ménéryl étaient tendus, Brankas, lui, continuait à converser sereinement :

— Merci pour ce formidable honneur soldat, soyez certain que je ne vois pas cette offre comme quelque chose de négligeable. Mais pour tout vous dire, nous venons de passer la journée entière au palais. C'était une expérience sans pareil, l'Éblouissant est un être si fabuleux et nous avons perdu la notion du temps. Des amis nous attendent en bas, nous devions les rejoindre en début d'après-midi. Ils doivent se demander s'il ne nous est pas arrivé malheur.

— L'empereur en personne vous a reçu ? s'exclama le garde ébahi, comment est-ce possible ?

— Ooooh nous sommes venus assister à sa résurrection et lui présenter les hommages de mon roi. Figurez vous qu'il y a entre eux une amitié de longue date, née au cœur même des guerres avec l'Utrak. Il n'a plus l'âge de se déplacer et m'a donc chargé de le représenter. Mais en tout cas, quel spectacle ! Je n'ai jamais vu une telle chose là d'où je viens, est-ce habituelle à Sydruck ?

L'archer eut un mouvement de recul et mit ses mains en avant pour stopper toutes réponses de son interlocuteur.

— Non ne me dites rien, je suis incapable d'interrompre une histoire commencée. Accepteriez-vous que nous nous donnions rendez-vous ici même, demain, à la même heure ? Nous aurons du temps à loisir pour nous raconter les choses. Pour le moment, je dois m'occuper de formalités et de ma propre détente.

Le garde se raidit.

— Pardon, je ne savais pas que vous étiez un hôte de marque sur cette îles, mais que...

Brankas le coupa d'un mouvement de la main.

— Ne vous inquiétez pas pour cela, je ne suis pas outré par votre comportement. Au contraire, j'aime discuter avec des gens simples et d'autres cultures. Alors ce rendez vous pour demain ?

— Avec plaisir, je...

Brankas le coupa à nouveau.

— Et surtout pas de formalités, je suis quelqu'un comme tout le monde. Je me nomme Brankas et vous ?

— Samgu

— Alors je vous dis à demain Samgu ! Je vous souhaite bonne soirée et vais de ce pas étancher ma soif !

Brankas reprit sa marche suivit de ses deux compagnons qui saluèrent le militaire de la main. Alors que Samgu était encore en train d'essayer de réaliser avec quel important personnage il venait de prendre rendez-vous, les trois compagnons commençaient à descendre les premières marches. Leur avancée se faisait à un rythme modéré, ils étaient toujours en vue des soldats. Plus loin, commençait à leur parvenir des bruits de personnes qui allaient en tous sens, une agitation naissante qui contrastait avec le calme ambiant. Ils tinrent bon, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment bas pour que la structure de l'escaliers les masque à la vue des militaires. Le tiers des marches descendu, ils se remirent à courir à toute vitesse.

Arrivés au deuxième étage, ils filèrent directement en direction de la taverne où ils avaient pris leur chambre. Ils traversèrent les artères tortueuses encore fréquentées malgré l'heure tardive. Doué d'un remarquable sens de l'orientation, zba les guida sans jamais ralentir. À mi-chemin, ils entendirent les premiers indices de troubles venant de l'étage religieux. Non pas une clameur soudaine, mais les hurlements stridents et atroces de femmes qui déchirèrent la tranquillité routinière.

— Ça a commencé, murmura Ménéryl.

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