Convergence thésanique 6/6
Bernard, déconcerté, essayait d'analyser ce qu'il venait d'entendre. Alors qu'il regardait autour de lui pour voir comment les autres réagissaient, un frisson lui parcouru l'échine. Parmi les Noromiens qui l'accompagnaient et même dans la garde rapprochée ugres, certains manifestaient des signes d'approbation.
— Quelqu'un comprend ce qui vient de se passer ? demanda-t-il stupéfait.
— Voilà... Voilà qui est inattendu, marmona Louis qui balayait les hommes d'un regard perplexe.
— En tout cas ça n'a pas l'air du goût du seigneur Ladislaus, réagit Gudrun le doigt tendu vers le haut des marches.
Sur le parvis, le roi du Granval s'éclipsait. L'air offusqué, il s'marchait d'un pas nerveux en direction du donjon. Pas un mot, pas même un regard pour les hautes personnalités qui l'entouraient. Un mépris flagrant du protocole à adopter face à son souverain.
— Oui, oui, ça ne m'étonne pas, marmonna le vieux comte. Le seigneur Ladislaus s'est converti à la foi des cinq, mais dans le fond il est resté samalien. Le samalisme est très peu connu en Exinie, c'est une religion ancienne que les sauvages de l'est pratiquent encore. Ce qui est plus étonnant, c'est ce qu'a dit la reine. C'est une Mobaudrienne, elle a été élevée dans cette croyance. Pourquoi cette soudaine répugnance ?
— Vous en pensez quoi , interrogea Bernard.
Le seigneur de Val-et-Mer articula lentement, comme s'il cherchait encore à comprendre le sens de sa propre pensée.
— Et bien... Je crois y voir une relation... Mais, j'ai appris récemment que le roi Caribéris avait interdit par ordre royal les persécutions sur les Kaolites. Vous savez, il y en a aussi chez nous. Ce sont ces illuminés qui ont renoncé aux cinq pour se tourner vers un dieu unique que personne n'a jamais vu... Je pensais qu'ils n'étaient qu'une minorité, mais à la réaction de notre garde rapprochée, j'ai l'impression d'avoir sous-estimé le phénomène.
— Il semblerait, oui !
— C'est... c'est...
Le vieil homme cherchait ses mots. Les faits étaient clairs, mais la conclusion qu'il devait en tirer restait nébuleuse.
— Je n'y avais vu qu'une fantaisie, mais... C'est devenu l'une des religion officielle de Sargonne au même titre que le culte des cinq.
— C'est étonnamment généreux et au passage un blasphème envers les cinq ! s'agaça le prince exinien. Quel rapport avec les Samaliens ?
— Le Kaolisme... c'est un schisme du Samalisme... Ces deux croyances... Elles sont ennemies.
— Oui, et bien ?
Le vieillard regarda en direction des Ugres. Herbert de Turonne s'était approché de Noriker et Odoacre. Il leur parlait avec un air grave. L'esprit du trompeur réagissait décidemment très vite, il avait compris avant tout le monde.
— Mon prince... je crains que vous ne deviez hâter votre projet de rapprochement avec l'Ugreterre.
— Que se passe-t-il ?
— Cette reine ! Par son discours, elle vient de remporter l'adhésion de certains des nôtres. L'amour de leur royaume les a maintenus dans le mutisme tout au long du discours du roi. Mais l'émotion qu'a fait naître Hannia en flattant leur croyance à brisé la retenue dictée par les origines. Il se pourrait bien que l'attachement voué à leur culte surpasse celui qu'ils vouent à leur pays... À ce que j'en ai vu, le problème est aussi implanté chez les Ugres. Sargonne a probablement ambition de se construire comme un phare pour leur croyance. Qu'en sera-t-il de leur fidélité des notres le jour où vous vous attaquerez au royaume symbole de leur foi ? Vous ne pouvez attendre que Caribéris renforce son image de meneur, toute alliance sera devenue inutile si l'ennemi vient de l'intérieur. Le temps nous est compté !
Le prince exinien resta silencieux. Quelques instants auparavant à peine, il était encore convaincu que le plus gros problème de l'Exinie était l'arrivée au pouvoir de son frère. Les choses changeaient rapidement, à une difficulté de taille venait de s'en ajouter une qui lui était bien supérieure. Qu'avait-il imaginé ? C'était à un Gargandra à qui il avait choisi de s'opposer. Il le savait depuis le début, ses chances dans cette histoire étaient minces, mais elles venaient de considérablement s'amenuiser. Caribéris avait fait honneur à sa lignée, il était le genre de défi que seul un souverain hors du commun pouvait surmonter. Le regard dans le vague, comme étourdit par le contre-coup, Bernard sourit lascivement. Il n'était même pas certain d'accéder au trône. Relevant les yeux, il cru discerner sur le visage de son beau-père une expression qui ressemblait à de l'admiration.
— Tout ceci n'a pas l'air de vous fâcher ! lui lança-t-il.
Le seigneur de Val-et-Mer haussa légèrement les épaules et agita la tête d'une manière gênée. Comme désolé il admit d'une voix enrouée :
— Éoutez, je deteste Sargonne autant que vous, mais les Gargandra sont surprenants. Ils l'ont été de manière parfaitement constante à travers les âges. Voilà des années que tout le monde raisonne et ergote sur la fin d'une époque. Pendant ce temps, le roi Caribéris anticipait la nouvelle ère.
Constat amère que celui du vieux comte, mais tout à fait exact. Bernard lui-même fait partie de cette masse grouillante de caqueteurs qui prétendaient affronter les nouveaux enjeux avec les réflexes de l'ancien monde. Il soupira :
— On dirait bien que nos desseins s'apparentent de plus en plus à un suicide.
Le seigneur de Val-et-Mer se fendit d'une mimique pleine d'assurance. Sous ses airs de petit vieux sympathique, il n'était pas homme à céder à l'intimidation. Les sourcils froncés, les yeux confiants, il affirma sereinement :
— Ne voyez pas comme un échec ce qui n'est qu'une leçon.
Bernard resta un instant interdit puis éclata de rire :
— C'est sûr ! Quelle exaltation de me confronter au monstre Gargandra ! Ce Caribéris, lui, s'ennuierait à triompher de mon frère.
Puis, n'attendant pas de réponse à une affirmation qui n'en n'exigeait pas, le prince déchu se retourna pour observer Yreix qui était resté en retrait avec la garde. Le comte de l'Est-Exin, fidèle du roi d'Exinie, semblait sermonner les Noromiens qui avaient réagis au discours de la reine. Bernard le regardait faire. Rien que la sophistication de ses habits était une insolence faite à la guerre. Il était là, morigénant des colosses ; convaincu de son autorité, convaincu des droits que sa naissance lui avait octroyé et incapable de seulement soupçonner que tout était remis en question.
— Messires !
Du haut des marches, Caribéris avait levé les bras. Dominant les nobles de toute sa hauteur, il reprenait la la parole :
— Les raisons qui nous mènent à la guerre sont nombreuses, celles poussant à l'indulgence sont inexistantes. Beaucoup d'entre vous, j'en suis persuadé, doivent attendre l'affrontement avec une bouillonnante impatience ! Mais tout conflit bien mené doit commencer par un festin et ce soir, vous êtes tous conviés au Viandier !
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