Convergence thésanique 5/6
Sur la place s'éleva une soudaine clameur. Sargonnais et Othrystins lançaient des acclamations. Le roi et la reine de Sargonne venaient de faire leur apparition. Non pas du haut d'une terrasse à bonne distance, mais directement au sommet des marches menant au donjon, au plus prêt des soldats.
Trois hommes les suivaient. L'un, marchant prêt de la reine, avait un physique brutal, un corps fait d'une charpente solide et massive.. Bernard ne l'avait jamais vu, mais impossible de ne pas reconnaître ce visage aride comme maintes fois brûlé par un soleil implacable.
— Darkolès d'Armadoc ! chuchota-t-il.
— Oui, oui, confirma Louis en agitant la tête, son physique est aussi terrible que sa réptation.
— J'aime son allure, ajouta calmement Gudrun, ses dimensions sont modestes, mais il en impose plus que bon nombre de mes congénères.
— Ça me fait mal de l'admettre mais je suis assez d'accord avec toi, concéda Bernard à son ami.
— C'est qui le gros et le barbu ? interrogea le colosse ?
La formule amusa le seigneur de Val-et-Mer. Il y avait dans son regard quelque chose de cette joie instantanée que les enfants éprouvent pour de futilité. Un enchantement que le temps n'avait pu user.
— L'homme à l'embonpoint, expliqua-t-il en pouffant, c'est le sire Madalbon, le comte des terres de Béause que nous avons traversées en venant. Inutile, j'imagine, de vous expliquer l'origine de son surpoid.
Louis plissa les yeux et essaya de distinguer le second individu. Il était haut de taille et dépassait d'une tête Caribéris qui était loin d'être un nain. Il était le seul homme à ne pas porter d'armure, sa barbe lui descendait jusqu'au bas du ventre, ses vêtement étaient à peine plus sophistiqués que les gens du commun et il se parait de bijoux d'un métal à la pureté douteuse.
— Je ne l'ai jamais vu celui-là, reprit le vieux comte hésitant. Je crois bien... Mais je peux me tromper... Qu'il s'agit de Ladislaus, le roi du Grandval. Le physique correspond aux description et je sais que Caribéris lui a offert sa protection le temps que les choses soient réglées.
Sur le parvis du donjon, Caribéris s'avança jusqu'à la plus haute marche. Il portait une armure d'apparat où s'entremêlaient avec une grande finesse le blanc et l'or, couleurs de Sargonne. La démarche assuré, le visage froid, l'aura du roi de Sargonne était éclatante. Il leva le bras et obtint le silence. Les solides Noromiens, les orgueilleux seigneurs, le très combattif Odocare et même la bête venue de l'Othe, tous le regardait en silence.
— Guerriers du Thésan ! Quelle chance est la mienne de pouvoir contempler autant de braves me faisant face. Bienvenue à vous Exiniens, votre présence ne sera pas de trop pour vaincre le péril qui menace le monde civilisé. À l'est, des barbares font régner le trouble et la mort. Ces brutes pratiquent une politique d'un autre temps, ils ont refusé la main que je leur tendais et ont lâchement tué un messager venu pour préserver la paix. Ceci est intolérable, l'ordre doit régner sur le continent !
Des aclamations montèrent, le roi marqua une pause le temps de les laisser s'exprimer. Nombreux étaient ceux qui applaudir ces paroles, mais seulement chez les Sargonnais et les Othrystins. Les représentants des royaumes de l'ouest restèrent de marbre.
— Les menaces d'hier ne sont peut-être qu'endormies, reprit le monarque en levant à nouveau le bras. Le risque de les revoir un jour est encore à craindre et nous ne pouvons permettre que s'installe le chaos. La levée de l'ost peut vous paraître une solution démesurée, mais le vent de la dissension doit être tué dans l'œuf ! Ne vous y trompez pas, messires, l'ennemi nous dépasse en nombre et leur chef, Sauromas est un homme brillant. Il a su les coaliser et a remporté jusqu'à présent toutes les batailles menées. Ses aptitudes de stratège sont indiscutables et la présence du seigneur Ladislaus à mes côtés en est la preuve la plus flagrande.
À nouveau, Othrystin et Sargonnais se mirent à hurler. "À mort les sauvages ! À mort Sauromas !"
Bernard regarda Gudrun et Louis.
— Il nous prend pour des imbéciles s'il pense que l'on va avaler pareille exagération, chuchota-t-il.
Ses compagnons firent une moue consternée mais n'eurent pas le loisir de répondre. Caribéris reprenait :
— Leur impunité n'a que trop duré et il me suffit de vous regarder, tous là rassemblés, pour avoir la conviction que les succès de ce chef de guerre prendront bientôt fin. Un tel ralliement n'a pas eu lieu depuis l'attaque des Boréens et doit en laisser certains perplexes. Mais je suis également convaincu que bon nombre d'entre vous ont hâte d'en découdre, les années de paix sont parfois ennuyeuse pour qui à l'amour du succès et de la gloire. Le Commodore Darkolès prendra la tête de l'ost et et vous allez faire passer à ces sauvages le goût de la rébellion.
Une fois de plus, la harangue du monarque ne rencontra que les acclamations des siens. Jusqu'ici restée en retrait, effacée dans l'ombre de son mari, la reine Hannia s'avança à sa hauteur. Sa démarche, ses gestes, ni précipités ni trainants, étaient remarquables de maitrise, d'élégance et d'aplomb. Toute de rouge vêtue, sur sa tête un haut double hennin se déployait comme les ailes d'un rapace de formidable envergure. Une étoffe de soie le recouvrait et pendait si longue quelle trainait sur le sol comme une marque laissée par la royale avancée. Le corps gracile, la peau d'une blancheur laiteuse, son regard avait quelque chose de dérangeant. Quelque chose effleurait l'esprit d'une intuition glaçante. Il en émanait le sentiment d'une maîtrise imperturbable, mais ses paupières légèrement refermée sur ses yeux gris, semblait cacher le fond de son être, comme si elle fût totalement dépourvue d'humanité.
— Et bien je n'ai jamais vu de femme pareil, on dirait que faire sa toilette ou regarder un massacre lui feraient exactement le même effet, s'émerveille Gudrun.
— On dit d'elle qu'elle n'a qu'une obsession en ce monde : son mari, précisa Louis. Il semblerait que sa possessivité lui ai parfois fait frôler la démence.
Bernard acquiesça sans la quitter des yeux :
— Elle avait ce raffinement sinistre inhérent aux allégories de la mort.
— Guerriers du Thésan ! Politiques et stratégies ne sont aux yeux des combattants pas affaire de reine, j'en conviens. Mais la spiritualité est bien plus accessible à l'esprit des femmes qu'il ne vous le sera jamais alors laissez-moi vous mettre en garde. Ces sauvages sont bien moins rompu à l'art de la guerre que vous ne l'êtes, mais ce qui les animent est comme la plus terrible des armes et les suis partout. Dévotion, radicalité, fanatisme ; tous ces ces mots définissent très bien l'hérésie samalienne. Elle est la force qui les soude, qui atténue leurs douleurs, qui efface leurs doutes et leurs peurs. Soyez certains qu'ils ne reculeront devant aucun sacrifice pour imposer leur croyance déviante. Ce Sauromas n'excite pas les tribus du Grandval dans le seul but d'agrandir son territoire, cette insurrection vise à étendre leur idéologie. Cette guerre, vous ne la faites pas pour Sargonne mais pour les cinq, et je tiens à rassurer nos frères Kaolites venus des autres royaumes, vous êtes ici à l'égal de tous. Votre croyance est maintenant la bienvenue en Sargonne, nous avons su l'entendre, elle nous a bouleversé et il est maintenant de notre devoir de combattre les impies pour que triomphe votre juste vision du monde.
La reine avait prononcé ces mots sur un ton enflammé sans qu'a aucun aucun moment ne s'illuminent ses yeux froids et inexpressifs. Elle toisait, impénétrable, les seigneurs alliés et leurs escorte qui l'acclamaient.
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