Convergence thésanique 2/6
Pour la première fois de sa vie, Bernard se sentait léger. Bien que fils de roi, il n'avait vécu jusqu'à présent qu'une vie de passivité. Aujourd'hui, il pouvait prendre une revanche sur l'Histoire ! Il partait à la guerre accompagné de son ami, ainsi que des nobles les plus puissants des comtés de l'Ouest : Elbe le vieux, comte de Val-et-Mer, Yreix de Rochegrasse, seigneur du pays de l'Est-Exin et enfin Louis de Mazac comte de Mont-et-Mer, un autre soutien de poid puisqu'il était également son beau-père.
Escortés par quatre mille fantassins et mille chevaliers, il n'y avait pas grand chose à craindre d'une guerre contre des sauvages. Au contraire, elle permettrait au prince déchu d'ajouter de hauts faits à son histoire, d'apprendre à connaître les seigneurs ugres et de lier des liens. De plus, les contraintes liées à leur voyage lui avaient permis de découvrir le royaume de Sargonne. Un pays avec lequel il serait un jour en guerre. En effet, les armées des seigneurs exiniens avaient dû effectuer un détour pour se rejoindre au fort de Rochegrasse. Cette place forte située dans l'Est-Exin était une étape centrale pour les troupes des autres cités du royaume. La perte de temps avait été conséquente, mais les comtés du sud fournissaient la majeure partie des provisions et leurs marchandises devaient être escortées le plus tôt possible. En conséquence, l'armée exinienne était entrée en Sargonne par l'Armadoc. Bernard connaissait la réputation de ce comté et constata ce jour là qu'elle n'était en rien exagérée. Ce pays était terriblement sec et hostile à la vie. Pourtant, il y découvrit un peuple gai, léger, formidablement curieux et parleurs. Mais c'était également des gens terribles et infatigables, une carne se riant du combat et plus prompt à attaquer qu'à se défendre. Les Armadociens furent sincèrement ébahis par la carrure des Noromiens, mais là où d'autres auraient vu matière à se méfier, ils y virent au contraire une sorte de défi. Les seigneurs exiniens, qui n'avaient jamais rencontré de pareils exaltés, exigèrent de leurs hommes de conserver une attitude prudente et réservée. Bien que qu'une soumission immédiate à ses émotions semblait être la norme chez ces gens, la traversée se fit sans heurts jusqu'au comté de Béause aux terres grasses et fertiles. Des frontières de l'Armadoc jusqu'à celles du comté de Cubéria, la route ne fut bordée que par une succession ininterrompue de champs, de vignes et de vergers.
La pugnacité des uns et l'abondance des autres ! à peine deux régions avaient été traversées que Sargonne affichait déjà des atouts de poids. Se libérer de sa toute puissante domination n'était assurément pas un projet à préparer à la légère et le prince déchus se demandait quelles surprises allaient réserver les terres cubériennes. Le relief était plutôt un point faible, le plat pays se traversait avec aisance. Malgré un soleil de plomb qui harcelait les chevaux et rendait le port des armures particulièrement désagréable, leur avancée s'était accélérée. Au loin, était apparu le Mont Carcandre au pied duquel coulait le Fleuve Bleu qui le contournait par le nord. Cette élévation solitaire était tout à fait singulière au milieu de ce paysage où, quelle que soit la direction, la vue portait jusqu'à l'horizon. Au sommet de la colline se devinaient les contours de la capitale sargonnaise. Le prince exiniens regarda ses détails grandir et se dessiner à mesure qu'il s'en approchait. Si de loin sa silhouette sombre et compact trônait au-dessus des terres comme un mauvais présage, de prêt, la cité était encore plus terrifiante.
— Le légendaire mont cubique, grogna Gudrun. Je n'imaginais pas que le récit était aussi proche du réel, quelle terrible ennemi ce doit être.
Une main en visière au-dessus des yeux, Bernard leva la tête pour contempler la puissante Cubéria. La masse de la forteresse, gorgée par la chaleur de l'après-midi, déversait sur la plaine des cascades d'effluves ondoyantes. Nichée à une centaine de pieds, les murailles qui l'entouraient formaient une véritable carapace de pierre. Une protection presque inutile. Avec une telle portée de tire et le couloir d'étranglement formé par le pont escaliers, n'importe quelle armée serait décimée avant d'atteindre les murs. Aucun engin de siège actuel ne pouvait permettre d'envahir Cubéria, il faudrait en créer d'un genre nouveau.
Bernard souffla nerveusement entre ses dents. Il en était maintenant persuadé, son frère ne devait pas régner. Comment avait-il pu sous-estimer à ce point leur ennemi ? Il allait faire courir l'Exinie à sa perte et le roi Cariberis aurait tôt fait de mettre un Gargandra sur le trône de Vermillac. Baissant le regard, il contempla le désordre qui régnait dans la plaine herbeuse.
— Un tel regroupement pour marcher contre le Grandval ! murmura-t-il comme à lui-même.
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