Brankas 2/3
Le Nohyxois avertit du coude son compagnon qui le distinga instantanément. La peau d l'étranger était bien plus sombre que celle des Sargadéens. L'homme ne devait pas avoir atteint les vingts printemps, il était grand et mince, mais ses épaules étaient larges et fortes. Il avait un aspect avenant, un nez droit et fin, un visage gracieux d'un noir de jais qui accentuait un regard étrange où une simple pupille dénuée d'iris contrastait avec la blancheur omniprésente de ses yeux. Il avançait d'un pas assuré, vêtu d'une tunique et d'un pantalon beiges et bouffants que maintenait une large ceinture à noeud pourpre. Contrairement à l'ensemble des personnes de l'île, son crâne parfaitement rasé n'était protégé par aucun couvre chef, comme s'il n'eût rien à craindre de la morsure du soleil.
Arrivé à leur hauteur, il sourit et dévoila des dents d'une blancheur immaculée.
— Messires bonjour ! Je me présente, je me nomme Brankas, commença-t-il d'une voix grave en effectuant un salut cérémonieux. Je vous vois aller sous le soleil Sargadéen et vous semblez en quête de quelque chose sans savoir ce que vous recherchez. Ce n'est pas sous ce ciel que vous avez vu le jour, je le vois bien.
Les deux jeunes guerriers se regardèrent, cherchant quoi répondre à cet homme qui, pour s'exprimer, semblait utiliser plus de mots qu'il n'était de coutume nécessaire à l'humain moyen. Ils n'en n'eurent pas le loisir, il reprenait déjà :
— Ces muscles fins et noueux, ces bras, ces tatouages et cette peau bleue, ce visage renfrogné, ces bijoux exagérément nombreux, vous êtes un enfant de Dacéana !
Puis se tournant vers Ménéryl.
— Quel allure ! Quelle belle stature. Et cet air irascible ! Si vos chevelure noire pourraient vous confondre avec les indigènes, votre taille et votre teint pâle, certe ! vous différencie de ces avortons. Mais vos traits, même s'ils sont bien faits, sont aussi beaucoup moins distinctifs, me direz vous de quelle terre vous êtes natif ?
Cette façon chantante de parler éveilla la méfiance des deux jeunes hommes et Ménéryl se contenta de répondre :
— C'est une longue histoire.
— Et le temps ne cesse de s'écouler, nous en manquons tous, messires. Possiblement qu'à me voir ainsi vous parler, vous vous demandez si c'est la perfidie qui m'a amené ? Peut-être même pire !
Avec ses bras il faisait de grands gestes tout en parlant, son visage était très expressif et le ton de sa voix était théâtral. Il marqua un temps d'arrêt et se tourna soudainement vers Ménéryl.
— Ah ! et bien non ! C'est jour de fête en Sargad aujourd'hui , un tournoi est donné pour honorer la vitalité retrouvée du plus éclatant empereur que cette île ait connu et je cherche à m'assortir de quelques compagnons. Figurez vous que je fus envoyé sur cette île, par Zaltas, le roi de l'île d'Ariglena. Mais navigant sur des eaux calmes et placides, la tempête succèda à une mer tranquille. Le ciel noir, la mer déchainée, la grèles s'était mise à pleuvoir et tous mes portes glaives par dessus bord sont passés. Je ne puis me présenter solitaire, c'est une humiliation que je ne puis supporter. Alors si une compétition entre archers est susceptible de vous plaire, je vous convie à assister à ce grand moment, voir de vos yeux le summum des représentant de l'archerie. C'est une matière mêlant force, patience, adresse et précision, la quintessence de l'art du combat.
Les deux compagnons restèrent muet. Ce personnage était tout à fait insolite, son regard étrange semblait sonder le fond des âmes et contrastait avec ses manières pleines de bonhomie. Plus embarrassant encore, les deux jeunes guerriers n'étaient pas habitués à ce qu'un parfait inconnu fasse preuve d'une telle aisance de parole pour s'adresser à eux.
— Voir des étrangers manier une arme que nous ne maîtrisons pas pourrait-être intéressant, admis Izba hésitant, qu'en penses- tu ?
— Je crois que oui, acquiesça lentement Ménéryl, malheureusement nous devons rejoindre Chunsène dans la soirée. Combien de temps cela prend un tournoi de tire à l'arc ?
L'archer fit un pas en arrière, écarta les bras et ouvrit de grands yeux stupéfaits ; comme si la réponse à cette question allait de soi.
— Messires, cela prend le temps qu'il faut pour gagner. Si vous me connaissiez vous sauriez que cela est synonyme de formalité. Eussions nous perdu du temps avec les préliminaires cérémoniels immanents à toutes festivités, vous serez sorti bien avant que le soleil ne commence à se coucher !
Puis dans un geste ample il tourna ses bras vers la foule imperturbable et ajouta :
— Là ! devant ces nobles marchands affairés, je vous en fait la promesse.
Les deux compagnons échangèrent un regard indécis, mais cette proposition providentielle d'égayer une journée qui s'annonçait assommante eut raison de leur méfiance. L'individu bien que fantasque ne semblait pas un mauvais bougre et ils l'accompagnèrent en direction des escaliers qui menaient à l'étage des militaires.
— Je vous emmène au troisième degrés de cette cité, chez les soldats émérites de Sargad, de fameux guerriers ! Il nous faudra y patienter, n'y voyez pas matière à l'acrimonie, c'est un jour très particulier. Nous allons assister à la renaissance d'un empereur. Un empereur qui veut devenir un dieu ! Ça n'est pas donné à tout le monde et nous verrons si, rapport au commun des mortels, il fait mieux. Souhaitons qu'il sache ce qu'il fait ou alors les réjouissance risque d'être considérablement écourtées.
— Les gens parlent tous comme vous sur votre île ? demanda calmement Izba.
— Malheureux ! les hommes en ce monde sont économes en mots et en phrases. On nous reproche souvent de parler avec emphase. Pourtant à quoi bon savoir parler si c'est pour s'exprimer avec parcimonie, utiliser le verbe avec modération faire avarice de parole.
— C'est sûr, répondit Izba en se promettant de ne plus poser de questions.
Ils arrivèrent face à un escalier beaucoup moins fréquenté et plus travaillé que les précédents. Ses côtés étaient ornés de bas reliefs représentant des batailles épiques et sa base était bordée par deux imposantes statues de lions à tête d'homme qui paraissaient en contrôler l'accès. Les trois jeunes hommes entreprirent de le gravir, mais ils furent stoppés par deux gardes armés de longues lances. L'un était jeune, de petite taille, mais il avait les muscles apparents et le torse bien développé. Le second, un escogriffe d'une quarantaine d'années au regard de fouine, était probablement le plus gradé des deux. Leurs armures étaient réduite à un simple plastron de cuir bouilli et il portait un casque conique à cache-joues du même matériau.
— Vous devez être muni d'un sauf-conduit pour monter à l'étage, proféra le plus âgé sur un ton péremptoire.
— Je sais ! lui rétorqua l'archer avec un air condescendant. Je suis Brankas fils d'Adsila, haut commandant de la garde royale d'Arigléna. Mes ancêtres sont issus d'une longue tradition de protecteurs de la fabuleuse lignée des Vovonides et pour cela, Zaltas le troisième, actuel roi de d'Arigléna, nous a érigés au rang de seigneurs des terres du sud. Nous sommes les personnages les plus importants derrière notre souverain et ça, tout esprit bien construit le sait avec certitude ! De l'empereur Sardan, Zaltas est un grand ami, un camarade de longue date, presque un frère. Il m'envoie le représenter à la renaissance de l'Éblouissant et m'a chargé de porter haut l'honneur de notre fier royaume au tournoi de tir à l'arc qui suivra.
Les deux hommes restèrent longuement à se fixer, chacun ne voulant pas battre en retraite dans la lutte sans arme qui venait de s'engager.
— Vous avez un sauf-conduit ? intervint le jeune soldat qui était resté muet jusque-là.
Brankas le toisa du regard et resta un instant interdit, comme si l'intervention d'un simple receveur d'ordre avait pour lui été une offense. Puis, d'un geste ample et gracieux, il se désigna lui-même et tendit la main en direction de ses deux compères compères.
— Mes titres et les deux porte-glaives qui m'accompagnent ne sont pas suffisant peut-être ? De simples servants, des subalternes arrogants, seraient-ils en train de me reprocher de n'avoir su bien naître ? Ma famille, soldats ! s'est hissée au plus haut niveau partie de rien. La valeur, l'abnégation, le courage, l'ambition, la force de caractère, telles sont les vertus qui ont élevés toute ma lignée et je devrais courber l'échine devant le plus insignifiant des êtres ? De ces qualités vous êtes complètement dépourvu et c'est pourquoi vous êtes à votre place et moi à la mienne ! N'allez pas commettre d'impair, cela ne sied pas à qui veut vivre centenaire.
L'archer faisait une tête de plus que le jeune et ses épaules dépassaient en largeur celles du commandant, mais il ne s'en laissèrent pas conter pour autant.
— Cela ne suffit pas, il me faut votre sauf-conduit, insista le gradé resté de marbre.
Ménéryl et Izba regardaient avec appréhension la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Ils avaient pour projet une totale discrétion et l'exubérance de leur compagnon de fortune les mettait dans une situation parfaitement inconfortable. Ils échangèrent un regard inquiet. Un profond malaise les avait envahi, mais ne sachant quoi faire d'autre, il s'efforcèrent seulement de ne pas le montrer.
— Sauf-conduit, sauf-conduit, décidément vous n'avez que ce mot là à la bouche ! s'emporta Brankas. Le sauf-conduit est perdu ! Dans une tempête ! Eh oui brave gardes, car j'ai passé sept jours en mer, affronté une tempête, bravé mille morts et dans ce torrent de noirceur et de déferlantes monumentales, étourdit par un tonnerre assourdissant et le cris du vent, j'ai bien cru que Morshaka en personne venait me chercher. Et vous prétendez avoir l'audace de m'empêcher de présenter à l'empereur les respects qui lui sont dû ! Je devrais donc faire demi-tour ? Insignifiants personnages, petites choses, préposés intermédiaires, vous commettez un grave impair.
Il posa ses mains en prière sur son front et fit mine de se ressaisir. Une fois sa colère domestiquée, il reprit avec la même ardeur.
— Par les dieux ! je ne suis pas de la vulgaire canaille et il en sera fait selon votre décision, mais prenez garde bleusaille... il vous faudra l'assumer ! et face à l'Éblouissant en personne qui plus est. Ceci est un outrage aux liens qui unissent nos deux territoires, une insulte au très respectable roi d'Arigléna lui-même et à tout son peuple. Je peux vous assurer que Sardan en sera informé.
Tout au long de la tirade, les deux gardes avaient lentement perdu leur aplomb et s'étaient échangés des coups d'œil circonspects. À la fin, leurs visages était devenu livides. Désobéir aux ordres ou prendre le risque de courroucer leur empereur, le dilemme engendré par Brankas avait voilé leurs regards d'effroi.
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