Avancée Kaolite 3/3
— Vous n'aimez pas les vêtements que nous vous avons offerts ? s'enquit Véra dès qu'ils furent seuls.
Le Pémès la regarda un instant, comme si, ne s'attendant pas à cette formulation, il cherchait comment expliquer quelque chose qui n'était pas une évidence instinctive.
— Je comprends pourquoi ils m'ont été offert, commença-t-il, nombre des croyants sont illettrés et incultes, ils ont besoin d'émerveillement et d'un éclat palpable pour croire au miracle du divin. Ils me voient comme un être surnaturel ; je préfère porter ces loques pour me rappeler que ce n'est pas le cas.
La réponse déconcerta la reine mère, les gens ordinaires aimaient à se surestimer, celui-là gardait la tête sur les épaules malgré une royale mise en avant. Elle n'en laissa rien paraître, la surprise sayait mal face à un homme de cette trempe.
— Je vous ai fait venir, commença-t-elle froidement, pour vous informer, qu'en accord avec le roi, la gestion de la religion m'a été dévolue. Mon fils à bien trop à faire avec la guerre menée à l'est.
Avec la même absence d'émotions, l'ecclésiaste répondit :
— En un sens, cela ressemble à une nouvelle fort appréciable, l'histoire nous a montré que le roi et votre majesté formaient une puissante combinaison qui a su déplacer des montagnes. Je vous vénère, car vous êtes le réceptacle qui à porté et donné naissance à l'incarnation de Kao sur terre. Mais l'honnêteté m'oblige à dire, à votre Majesté, que son instruction issue des dévotes de l'usurpatrice ne m'est pas inconnue. Je ne peux m'empêcher de me demander quelle part de l'éducation de ces sorcières anime encore vos prises de décisions.
Suffisamment pour te faire taire à l'instant et à jamais, pensa la reine mère.
Mais il y avait un formidable magnétisme à l'entêtement de cet homme. Quelques jours seulement le séparaient de son enfermement dans les geôles les plus sombres de Cubéria. La faim et l'isolement n'avaient pas eu raison de sa foi. Il était maintenant l'une des plus hautes figures du continent, il avait goûté au luxe de sa position et pourtant, il prononçait sans sourciller des paroles qui pouvaient le faire retourner aussitôt à son calvaire. Il émanait de l'ecclésiaste, cette force si prompte à séduire la masse grouillante en quête de réponses. Véra était subjuguée de constater un si grand pouvoir réunit en un seul être. Soudain, une image immense sortie des méandres de son inconscient troubla sa vue : quelque part sur des terres noircies par les flammes, marchait une armée inarrêtable. Une longue procession de dévots en armes, puissants par leur fanatisme, par un méchant courage nourrit d'ardentes convictions et la persuasion que leur foi inébranlable assura prouesses et réussite dans leurs entreprises. Tous psalmodiaient le nom de Caribéris.
— Je veux être le premier membre royal à me convertir au Kaolisme, articula-t-elle lentement comme ébranlée par la force de sa vision. Je veux que ce soit officiel, je veux une cérémonie grandiose à la vue de tous les Cubériens. Est-ce que cela apporte une réponse à vos questionnements ?
Bravonarol acquiesça de la tête avec un sourire satisfait.
— Les mots de sa majesté sont aussi plaisant qu'inattendu, voilà un admirable symbole pour notre cause, ce sera une journée historique !
— Dans onze jours arrivera l'Assoupir et les fêtes liées à l'endormissement de la nature. Le travail des champs cessera peu à peu, les êtres se prépareront aux longues journées passées à l'intérieur pour se préserver du froid. Jusqu'au prochain Évir, l'époque sera propice à la réflexion, les gens se tourne alors immanquablement vers le divin. Je veux que la cérémonie de ma conversion se fasse aux fêtes de l'Assoupir, le moment me paraît idéal. Vous l'avez dit vous même, les incultes ont besoin d'émerveillement, je veux quelque chose de grandiose, serez vous prêt ?
Les yeux du Pémès fixaient Véra, mais semblaient ne pas la regarder.
— Je tiens d'abord à vous rassurer...
Il avait décomposé sa phrase, comme si lui aussi avait dû ressurgir des profondeurs d'une hallucination.
— Tout se passe très bien. Les largesses de sa majesté Caribéris ont permis un enracinement rapide de notre croyance. Un temple se construit pour que puissent s'accomplir nos rites. Il est le premier de l'histoire en ce monde et c'est à Cubéria qu'est né ce prodige. Les croyants ne se cachent plus et cela porte déjà ses fruits. Lorsqu'ils étaient encore là, j'ai été rencontrer les soldats qui composent l'ost. Parmi eux j'ai trouvé nombre de fidèles. Sargonnais, Othrystins, et même Ugres ou Exiniens qui se sont réunis autour de moi. L'animosité induite par leurs terres de naissance n'existait pas entre eux, au contraire leur croyance les rapprochaient. Mieux encore, elles les unissaient face à un ennemi commun et ils se sont lancés dans cette guerre bien moins contre les Granvalais que contre les Samaliens.
Au fur et à mesure, son élocution s'était fluidifiée et l'ecclésiaste avait totalement retrouvé son aplomb serein lorsqu'il ajouta :
— Tout cela pour signaler à votre majesté que le moment ne pouvait pas mieux tomber et qu'elle fait preuve d'une clairvoyance digne des Gargandra ; même si elle n'est pas directement de leur sang. Malheureusement, notre temple ne sera jamais fini d'ici là et il nous faut un lieu qui, plus tard, pourra être vénéré comme une relique chargée d'histoire.
— Je ferais dès demain ordonner au maître des officiant qu'il mette à votre disposition le temple de Karistoplatès... Au moins le temps que se construise le vôtre.
— Le temple de la porte du Mont sera trop petit, celui de l'enceinte me semble plus indiqué, remarqua Bravonarol avec un désintérêt feint qui ne cacha pas totalement la férocité de ses traits.
Véra y lu la jubilation mal contenue d'une victoire sur le maître des officiants. Ainsi le fanatisme du Pémès était à la fois sa force et sa faiblesse. Son envie de détruire ce qui ne lui ressemblait pas était trop ardente pour qu'il puisse parfaitement la maîtriser. Un tel homme aurait une capacité redoutable à ancrer sa religion et à bâtir un prodigieux endoctrinement. Mais il ne devait surtout pas rester à la tête de son œuvre lorsqu'elle serait au sommet de sa puissance.
— Qu'il en soit ainsi, conclut la reine mère. Les humains ont trop souffert par la faute des hommes-dieux, le retour de la religion véritable est la meilleure des choses qui soit.
Le pémès acquiesça de la tête avec une satisfaction non dissimulée.
— Elle sera aussi salvatrice, Kao lâchera bientôt sa fureur sur les incroyants et il épargnera les siens.
Véra se ravisa de donner congé au Pémès. Elle était résté de marbre, mais ces dernières paroles l'avaient surprise.
— Vous avez déjà prononcé ces mots. On me les a rapportés, c'était le jour de votre arrestation. Ce n'était donc pas un excès de colère ?
— Je n'en étais pas sûr ce jour-là, mais dans la pénombre de ma geôle, Kao s'est mis à me parler. Je l'entends toujours depuis, cette détention a été une bénédiction. Sa voix est sinistre, mais bienveillante et il m'a confirmé que son courroux arrivait sur le Monde d'Omne.
— Cela semble disproportionné.
— Au contraire, il va abrégé les existences impures pour les ramener à lui. Il leur montrera ô combien ils étaient dans l'erreur pour qu'il puisse revenir sur le bon chemin. N'est-ce pas une preuve d'amour ?
Le regard incrédule de la reine mère se changea en un mépris glacial. Au fond d'elle, brûlait une envie qu'elle ne put maîtriser et les mots sortirent de sa bouche avant même qu'elle n'ai pu les soupeser.
— Le prince Harion est encore jeune et il doit avant tout apprendre à régner. Je vous demanderais à l'avenir de le tenir éloigné des choses de la religion.
L'ecclésiaste sourcilla, avec un grand calme il asséna comme une évidence :
— Cela me semble impossible, votre majesté, il à un rôle à jouer dans cette histoire... Kao me parle de lui chaque jour.
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