Avancée Kaolite 2/3

— Écoutez, mon prince, murmura paisiblement Bravonarol sans quitter le flamboiement des yeux, mesurez le luxe de ce calme dans cette salle habituellement si animée. Je l'apprécie tout particulièrement.

La voix du pémès résonnait à travers la forêt de piliers qui les entourait, elle avait pris une sonorité monumentale. Harion hocha la tête et acquiesça timidement. Véra le regardait. Elle était intriguée de ce qui se dégageait du garçon. Lui aussi avait l'air hypnotisé par la danse orangée du feu sur la torche. Son jeune corps trahissait un imperceptible tressaillement, une excitation qui montait et prenait le pas sur sa logique. Doucement, il tendit la main et l'approcha de la flamme. Le Pémès le laissa faire. Le jeune prince voulait toucher l'objet de sa fascination, mais il dû s'arrêter pour ne pas se brûler. Son visage afficha une grimace contrariée.

— Elle est semblable au dualisme intrinsèque à Kao, continua l'ecclésiaste avec un émerveillement enfantin. On ne peut ni s'en soustraire, ni l'effleurer sans en pâtir. Regardez-la, mon prince, regardez-la bien, elle est de ces indices que notre dieu nous donne chaque jour quant à l'amour qu'il porte à sa création. Elle est avec le cercle le symbole le plus important de notre culte. Kao n'était qu'obscurité, le feu représente son exact opposé. Pourtant il l'a créé pour que jaillisse la vie, il représente le jour où il est devenu conscient, il est né avant Samal lui-même. Il est l'un des quatre éléments avec la terre, l'air et l'eau. Pourtant, il est le seul parmi eux qui nécessite l'intervention de l'homme pour exister. N'est-ce pas là une preuve de son altruisme ? Il a mis l'homme à son niveau. La lumière est le lien qui nous relie directement au divin. Appréhendez cette grandeur, mon prince, vous serez le prolongateur du renouveau initié par votre père, il vous faudra aller plus loin dans la lutte contre ceux qui doute ou conteste le seul véritable culte.

— C'est pour cela que des armées sont parties à l'est ? Les gens croient mal là-bas ?

Bravonariol acquiesça de la tête.

— Vous comprenez vite, mon prince, je vous prédit un grand règne.

Les paroles du Pémès faisaient bouillonner quelque choses à l'intérieur d'Harion. À la lueur vacillante de la torche, une sorte d'euphorie déforma le visage du jeune prince. Il sembla soudain extrêmement maigre et ses yeux, ouverts grands et ronds, étaient comme deux globes qui reflétaient la lumière. Jamais la reine mère n'avait vu une telle expression sur le visage de son petit-fils.

— Ils les ramèneront dans des boîtes ? Comme pour notre messager ?

L'ecclésiaste se tourna vers le garçon. Il y avait de la compassion dans son regard, mais il affichait un sourire amusé.

— Pour sûr non, mon prince, ce sont là des méthodes de sauvages. Nous nous contenterons de les éradiquer et de livrer leurs cadavres aux flammes, comme tout bon Kaolites doit le faire.

À nouveau, le jeune prince afficha une grimace contrariée et affirma avec un méchant sourire :

— Quand je serai roi, je les ferais entrer dans des boîtes plus petites encore que celle qu'ils nous ont envoyée !

— Vous avez encore le temps avant d'être roi, lança Véra qui avait fini par entrer, d'ici là, votre façon de voir les choses aura probablement bien changé.

Le Pémès et le jeune prince avaient eu un léger sursaut. La reine mère nota que sa capacité à s'effacer fonctionnait tout aussi bien sur la plus haute autorité kaolite. Néanmoins, l'homme était habile, sa capacité à convaincre était grande et elle ne souhaitait pas lui laisser davantage de temps seul avec son petit-fils. Elle avançait, pâle et digne, dans son immuable robe noire. Sans rien en laisser paraître, les expressions et les paroles du jeune prince, habituellement si effacé, lui avait laissé une sensation désagréable.

— Votre majesté m'a surpris, je ne l'ai pas entendu venir, bredouilla Bravonarol comme sortie d'une rêverie. Cette salle grandiose, l'heure, l'absence de monde, tout me fait penser au Kao des origines. Magnificence, ténèbres et silence.

— Pémès ! se contenta de répondre Véra en le saluant d'un léger inclinement de la tête.

Puis elle se tourna vers Harion et ajouta avec un regard qui avait fait céder bon nombre de déterminations.

— Nous devons discuter de choses qui ne sont pas encore vos affaires.

Le jeune prince se renferma dans son mutisme et, après avoir jeté un regard désolé à Bravonarol, se dirigea vers la large porte d'or et de chêne. Après avoir signalé sa présence par un toquement, les battants s'ouvrirent et il s'engouffra dans l'espace créé avant qu'il ne se referme aussitôt.

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