Partie 56 - Chapitre 10 : Le gène de Babel (4/6)
TOUT LÀ-HAUT DANS LES ÉTOILES
Le début de l'année 2070
« Tu as entendu la nouvelle ? » m'exclamai-je à Charlene en entrant d'un pas lourd dans la pièce.
« Laisse-moi deviner ! Quelqu'un de très influent quelque part s'est payé quelque chose d'important, n'est-ce pas ? » fit-elle d'un ton moqueur en levant furtivement les yeux vers moi en continuant de brosser les cheveux de Lynne assise entre ses jambes à même le sol. Charlene n'aimait pas suivre les nouvelles et elle méprisait la politique. Elle avait connu les camps de concentration de l'intelligence artificielle dans sa trentaine et l'expérience de ces quinze années, ainsi que celles des années qui avaient précédé l'avait conduit à développer un grand dégoût pour tout ce qui touchait de près ou de loin aux médias. Selon elle, les nouvelles n'étaient qu'un outil de propagande pour ceux qui pouvaient se payer ce privilège.
« Presque. Ils s'en vont sur Mars, » dis-je sans cacher la tristesse dans ma voix.
« Et ça t'attriste ? » rétorqua-t-elle en secouant doucement la tête avant d'ajouter sèchement. « La Terre sera bien mieux sans eux. Qu'ils aillent faire des dégâts ailleurs ! » ajouta-t-elle dans un éclat de rire.
Je restai debout devant Charlene et Lynne à les regarder sans les voir, mon esprit perdu dans mes pensées de petit garçon abandonné. Les dirigeants des grandes multinationales américaines, chinoises et européennes travaillaient depuis plusieurs années déjà pour une grande expédition dans l'espace loin des problèmes du monde qui les avaient rendus riches et tout puissants. Donc, la nouvelle ne surprit personne. Le gène de Babel fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase de leur avarice. Leur corps s'adaptait très mal au nouvel environnement dont ils avaient été les principaux concepteurs. Il était grand temps qu'ils aillent s'exiler dans un endroit où ils pourraient reproduire à l'identique ce qu'ils avaient accompli sur Terre : conquérir, exploiter, ruiner, puis finalement abandonner.
Pour beaucoup d'hommes et de femmes qui ne possédaient ni la force physique ni les moyens de se payer le grand voyage interstellaire, ils se faisaient encore avoir par les tout puissants de ce monde. Je m'étonnais des fonds, de l'énergie et des ressources exorbitants déployés dans cet autre grand projet qui ne devait bénéficier qu'à une poignée de gens dans la population. L'homme n'apprenait décidément rien du tout de ses erreurs passées. Au moins là-bas, si jamais quelque chose de grave devait se passer, nous autres serions bel et bien épargnés cette fois-ci. Le silence et le vide de l'espace nous protègeraient du pire. Malgré cette pensée, je ne pouvais m'empêcher de ressentir la lame du poignard de l'abandon. La différence de couleur, de teint, de statut social, ou autre n'enlevait rien au fait que nous appartenions tous à une seule et grande famille : le clan humain. Nous avions beau ne pas nous entendre les uns avec les autres, nous restions tout de même parents. Une fois de plus, un membre proche me laissait de côté pour s'en aller vers un autre ou vice versa.
Tandis que les occidentaux coincés sur Terre regardaient partir avec envie tout là-haut là-bas dans les étoiles les dirigeants de multinationales avec leurs familles et leurs bons copains, le reste du monde, les anciens damnés de la terre s'en fichaient éperdument. Avec gène, sans gène, ou sans gêne ils ne voyaient pas d'intérêt à aller suivre tout là-haut là-bas dans les étoiles ceux qui les avaient trainés sur plusieurs siècles dans l'humiliation et la peine. Néanmoins, nous les hommes, nous sommes tous comme des étoiles : nous partageons le même immense espace où nous ne cessons de se croiser à plusieurs moments dans le temps. Je savais bien au fond de moi en les voyant partir que leur chemin prétentieux recroiserait le nôtre à l'endroit où ils nous avaient laissé pour indignes misérables survivants qui devraient en fait mourir. Nous n'étions plus leurs simples invités sur Terre, la planète et ses mystères nous avait officiellement déclarés aussi ses dignes héritiers.
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