Partie 52 - Chapitre 9 : La survie (7/7)


LYNNE IWONA-ANNE WILLIAMS LESZCZYNSKI

L'année 2054


À ma surprise et à mon grand bonheur, Ousmane accepta de partir avec moi rejoindre Charlene. Fatou n'y vit aucun inconvénient. Elle s'était occupée de lui seule avec sa famille dans les années les plus difficiles de sa vie de garçon et d'adolescent ; avec notre fils qui devenait un homme, il lui semblait naturel que je prenne le relai.


***

Savez-vous quelles sont les deux choses les plus chères sur Terre depuis la libération des pays riches du jonc de l'intelligence artificielle ? Un ovaire sain et de qualité et un sperme vivace et rapide. Le corps humain perdit le goût de la procréation lorsque la vie et le pain de ses jours commencèrent à beaucoup manquer. L'incertitude du lendemain, l'austérité climatique et l'indifférence humaine affectèrent la fertilité de l'espèce. La science des hommes vit une autre occasion fabuleuse pour faire plus de gens cracher plus d'argent. S'ils voulaient voir leur patrimoine génétique atteindre la ligne d'arrivée signant le point final de l'humanité, ils devraient payer encore et toujours plus.

À l'époque où Charlene voulait un enfant, la moitié de la population était infertile. Aujourd'hui, en 2082, plus de 70% de la population l'est. Les enfants abandonnées pour cause de maladies, d'handicaps et de la pauvreté n'existent plus dans un monde comme le nôtre. La science nous en avait débarrassé pour de bon, à moins bien sûr, d'un quelconque malencontreux accident. De nos jours, personne n'est vraiment pauvre ni vraiment malade, mais on manque tous plus d'argent et de médicaments.

Charlene avait une jeune cousine qui était fertile et ses ovaires étaient de qualité. Étant donné mon âge, je pensais devoir avoir recours à un donneur aussi, mais le docteur confirma que bien heureusement pour nous, je n'avais pas à m'en faire sur ce point-là ; vivaces et rapides, mes spermes l'étaient toujours.

Trouver une mère porteuse fut une autre aventure étant donné que la générosité de la cousine de Charlene s'arrêterait à la conception. Elle ne voulait surtout pas consacrer les neufs prochains mois de sa propre vie à notre désir de mettre un nouvel enfant dans un si vilain monde. Elle voulait encore moins voir son corps changer, s'étendre, s'arrondir, puis finalement se déchirer au nom du miracle de la vie ou de celui de la cupidité humaine.

Charlene et moi étions présents lors de l'accouchement. Tous les deux, plus effrayés l'un comme l'autre que notre mère porteuse. Je n'avais pas assisté à la naissance d'Ousmane. Ce n'était pas vraiment la coutume en Afrique pour un homme d'y assister. En Afrique, la conception consiste à une affaire de couple, la naissance correspond exclusivement aux femmes tandis que prendre soin d'un enfant est la responsabilité de tous. À dire vrai, je crois qu'ils ont probablement raison ; à quoi bon être là pour regarder lorsqu'on n'aurait pas la force de supporter la peine infligée de toute façon ; inimaginable. Eh oui, il faut bien être tout un village pour prendre soin d'un enfant mis au monde par une seule femme.

Notre mère porteuse se montra d'une force et d'une tranquillité remarquable. Une main dans celle de Charlene, l'autre dans la mienne, elle poussait notre fille hors de son ventre rond au portail de notre monde pourri sans les hurlements qu'on voit souvent dans les films et les documentaires. Seule la sueur ruisselante sur son visage grimaçant indiquait l'intensité de sa douleur.

« T'es qui toi ? Et moi, j'suis qui ? » sembla m'interroger le petit visage froissé de Lynne lorsqu'elle posa ses petits yeux curieux sur moi pour la première fois.

Cette fois-ci, je ne sais par quel miracle mon regard eut le courage de lui répondre tandis que mes lèvres esquissèrent simplement un large sourire.

« J'en ai aucune idée, mais on finira bien tous par le découvrir avant de mourir. »



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