Partie 51 - Chapitre 9 : La survie (6/7)
LE COURAGE
À plus de cinquante ans, Charlene me fit redécouvrir les leçons de sagesse d'Alegria que cette dernière m'avait apprise alors que je n'étais qu'un adolescent : piétiner sa peine, emmerder le monde et faire ses choix. Charlene m'emmena dans les clubs où les gens que la société aimait torturer allaient se défouler, piétiner leur peine, emmerder le monde et faire leurs choix. Au milieu du 21ème siècle, les mentalités n'avaient pas beaucoup changé, ou du moins elles faisaient des petits pas en avant et plusieurs pas en arrière dépendamment des priorités du moment.
Quand il y avait assez de nourriture pour tout le monde, on pouvait être ou accomplir ce qu'il nous chantait ouvertement, mais dès que la nourriture ou tout autre ressource venait à manquer, seuls ceux qui pouvaient reproduire le monde à leur image idéale avait le droit d'être. L'homme s'adaptait, mais n'apprenait toujours rien. Selon lui, la survie de l'espèce humaine devait forcément passer par l'oppression et la conformité.
Dame nature, quant à elle, avait une tout autre opinion sur la chose et elle en avait décidé autrement. Elle voulait d'un monde aussi vaste et mystérieux que l'univers ; un environnement où toute forme, toute couleur, toute combinaison possible pouvait être, avoir et créer. Nous étions bien le fruit des entrailles de Dame nature. Cette dernière voulait nous voir vivre, non pas juste survivre. Elle nous poussait à sortir de ses entrailles, de nos cages ou de nos caves pour exister dans le même monde qui ne voulait pas de nous, de lui.
***
« Je dois t'annoncer quelque chose, » commençai-je sérieusement en m'adressant à Ousmane dans le véhicule en arrêt juste avant qu'il n'en sorte. Le regard las mais curieux, il se tourna vers moi.
« Je vais me remarier, » dis-je d'un trait.
Ousmane ouvrit grand les yeux histoire de dire : Et alors ? Qu'est-ce que j'en ai à foutre ! Mais, au lieu de sortir ces mots de sa bouche, il me répondit d'un ton interrogateur :
« Félicitation papa ! C'est une bonne nouvelle, non ? »
« Oui, mais il y a aussi autre chose... » continuai-je timidement. Je regardai droit devant moi pour prendre mon souffle. Puis, je me retournai vers lui pour lui dire d'une voix faible, mais claire :
« Ma fiancée est transsexuelle, »
Ousmane ouvrit à nouveau grand les yeux, secouant la tête avec un petit sourire narquois. Il regarda devant lui comme pour consulter l'avis d'un compagnon imaginaire, puis il réouvrit la bouche pour me dire ce qu'il avait vraiment sur le cœur :
« Papa ! C'est toi l'ancêtre avec les idées du siècle passé, » s'exclama-t-il sans masquer l'irritation dans sa voix. « Tu crois pas que j'ai mes propres histoires de fesses à gérer ! Je me fiche pas mal de qui tu baises ou maris ; tes fesses c'est ton business. Tu pourrais te remarier à un arbre, si tu veux, je m'en ficherais complètement... mais attends un ti peu ! » ajouta-t-il en feignant de se retourner vers son compagnon imaginaire.
« Des arbres, y en a plus un seul sur terre ! » fit-il sèchement en pivotant vers moi pour me dévisager. « Les vieux les ont tous fait tomber parce que la seule chose à laquelle ils n'ont jamais pensé depuis la nuit des temps c'est leurs fesses. Tout le reste et tous les autres, ils s'en fichent pas mal ! »
Je restai un long moment bête et silencieux face aux jugements de mon fils pour toute l'espèce humaine. Il secoua la tête à nouveau, puis il reprit plus calmement :
« On est les deux seuls Leszczyński, papa ! Y a plus que toi et moi. On n'va pas se battre parce que tu n'veux pas mourir seul, »
Il fit un geste de la main et la porte du véhicule s'ouvrit ; il sortit un pied du véhicule avant d'ajouter :
« Elle est la bienvenue ! »
Une fois à l'extérieur, il fit volteface pour me lancer un clin d'œil tandis que la portière se refermait derrière lui.
Ousmane ne m'avait même pas laissé le courage de lui dire que Charlene résidait aux États-Unis et que je voulais aller m'installer là-bas avec elle et lui aussi, s'il voulait bien venir vivre avec nous. Il finissait sa dernière année au lycée et n'avait toujours pas d'idée occuper sa jeunesse. Je n'étais toujours pas l'homme courageux que j'aspirais à être, mais je m'en approchais. Pourtant, ce fut cette conversation avec lui ce jour-là qui m'inspira à m'intéresser à la politique pour devenir un de ces leaders qui avaient le pouvoir de décisions et d'apporter le changement.
Les paroles du cyborg avec qui le général avait négocié la libération des pays riches revinrent hanter mon esprit. Encore une fois, j'avais été tellement absorbé par ma propre souffrance, confiné dans la chaleur et le confort de mes fesses que je n'avais pas vu les signes précurseurs de la douleur grandissante de tout et tous autour de moi.
Est-ce qu'un homme ordinaire et pas assez courageux comme moi pouvait encore faire quelque chose pour changer tout ça ?
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