Partie 47 - Chapitre 9 : La survie (2/7)
LE SOLEIL DE LA COLÈRE
Fin de l'année 2047
***
Sur une plage de mon enfance, ...
Iwona, âgée de neuf ans, est assise à même le sable. Elle fait un château avec Ania qui a trois ans. Je m'approche lentement d'elles tout souriant. Je réalise que je n'ai que cinq ans moi aussi. Me voyant approcher, Iwona se lève pour courir vers moi. Elle me prend par la main et m'entraîne avec elle auprès d'Ania qui rigole et se lève pour nous rejoindre. La main d'Iwona, ferme et chaude dans la mienne me rassure. J'avais peur d'être seul au monde, mais je ne le suis plus maintenant. Ania s'accroche à ma jambe en me faisant un grand sourire. Je tortille mes orteils dans le sable chaud.
***
Mon père me porte dans ses bras. Il pointe du doigt l'horizon devant nous. Un vent doux me caresse le visage tandis que je plisse les yeux face au lever de soleil au-dessus de la mer devant nous. Le vent me parle, ou c'est peut-être mon père. Il me murmure quelque chose à l'oreille, ma joue chaude contre la sienne, je me penche davantage tout contre lui pour mieux sentir sa chaleur. Bientôt, une main douce et chaude vient se poser sur ma jambe nue. Ma mère debout à côté de mon père me regarde tendrement en souriant. Comme elle est tranquille ; sa force se cache dans les profondeurs de son être. Elle me dit quelque chose elle aussi, ou peut-être que c'est la mer. Elle me berce avec ses roulements réguliers et m'enlace de ses longs bras. Je me laisse aller.
***
Debout face au vent et au coucher de soleil, Chris et moi adolescents observons l'horizon un large sourire aux lèvres, le cœur plein d'espoir en l'avenir, la tête pleine de rêves, le corps plein de désirs brûlants. On a la certitude et l'arrogance de la jeunesse. On sent la puberté à plein nez. Et alors ?!
***
Alegria, mes parents, mes sœurs et Chris adultes se tiennent debout en ligne, élégamment vêtus dans leur costume du dimanche ; ils arborent un large sourire aux lèvres ; ils frappent tous des mains et se mirent à lancer des confettis au-dessus de ma tête et celle de Feliz à notre passage. Elle porte une robe de mariée et tient entre ses mains un bouquet qu'elle lance dans la mer avant de me sauter sur le dos pour me monter comme un cheval. J'éclate de rire ; elle aussi ; c'est bien là ma Feliz.
***
« Comment te sens-tu ? » questionna une voix féminine à côté de moi.
« Mieux, » fis-je dans un soupir en me tournant vers la voix.
La pièce était toujours sombre, mais la lueur du dehors qui passait par la vitre et les rideaux fermés me permettait d'apprécier l'environnement autour de moi. Fatou assise sur un fauteuil à côté de mon lit me regardait tendrement, le sourire aux lèvres et le regard triste.
« Et toi ? » demandai-je inquiet.
« Ça peut aller, » répondit-elle d'une voix à peine audible.
Mon regard scanna un long moment ma chambre comme si je la voyais pour la première fois. L'air de la pièce était très chaud, voir même suffoquant. Deux ventilateurs brassaient l'air chaud de chaque angle de la pièce avec le ronronnement de vieux réfrigérateurs.
« Quelle heure est-il ? » demandai-je curieux.
« 10 h du matin, » fit Fatou simplement.
« Tu peux ouvrir les rideaux maintenant si tu veux, » dis-je avec assurance.
« Crois-moi Borys, tu ne veux pas ouvrir les rideaux, » fit-elle tandis que de grosses larmes lui montèrent aux yeux.
À ses mots, je fronçai les sourcils, puis je me dressai sur un coude pour fixer la fenêtre devant moi. J'avalai ma salive, alternant mon regard de Fatou à la fenêtre. Je me décidai à sortir du lit.
« Quoi que tu fasses Borys, ne touche pas à la vitre, » continua-t-elle d'un ton toujours faible, mais ferme. Je me retournai vers elle, intrigué et inquiet. Je me tournai à nouveau vers la fenêtre et les rideaux fermés pour m'avancer un pas après l'autre. Plus je m'approchai, plus la chaleur devenait intense. Mon cœur commença à tambouriner dans ma poitrine tandis que mes jambes et mes bras se mirent à trembler. Quelque chose de terrible s'était produit et je n'avais pas été là pour l'observer. Je saisis les rideaux de chaque main avant de tirer fort dessus d'un seul coup comme pour déchirer ma peur.
Je fus d'abord ébloui par une lumière rouge et intense. Je fermai les yeux, puis battis des paupières plusieurs fois avant que mes pupilles ne comprissent les couleurs de ce nouveau soleil. Une fois ma vue habituée à cette lumière étrange, j'observai tel un nouveau-né, la bouche grande ouverte, les yeux tout écarquillés, le monde auquel mon espèce et moi avions donné le jour : uniforme, conforme, fade, superficiel, pauvre en couleur et en variété, dominant, envahissant, ravageur, rigide, austère, impitoyable et avare. L'espèce humaine des temps modernes était parvenue à refaçonner le monde à sa propre image.
Je me retournai vers Fatou qui regardait pensivement ses pieds.
« Quand est-ce que c'est arrivé ? » demandai-je la gorge serrée en la dévisageant comme un spectre.
Elle leva subitement la tête avant de la pivoter vers moi le regard évasif. Son visage brillant de sueur paraissait plus mince que dans mon souvenir. Elle avait l'air éreinté. Je me sentis soudain coupable ; je n'avais pas été là pour la mère de mon fils et la femme qui avait pris soin de moi lorsque je ne valais plus rien de bon. Elle avait dû vivre cet événement sans moi, jouer seule à la femme forte tandis qu'elle aussi aurait aimé un appui, d'une main douce, d'une épaule large, de mots compassionnés. À cet instant, je réalisai que comme la plupart des gens de mon espèce, j'avais négligé ce qui se trouvait de plus précieux autour de moi, rêvant d'une autre compagne qui ressemblerait plus à ce que ce que je voulais. Il fallait toujours que le monde et les Hommes se soumettent à nos moindres souhaits et désirs, comme si l'univers nous devait une faveur.
Fatou me lança un soupir avant de répondre doucement :
« Progressivement, il y a quelques semaines, puis les choses ont empiré la semaine dernière. »
« Comment les gens font pour sortir ? » l'interrogeai-je sans bouger.
« Il y a des moments de la journée où c'est moins pire, mais ils pensent construire des habitations et des véhicules adaptés. »
« Ils ne peuvent pas renverser ça ? » fis-je tristement. La silhouette de Fatou devint toute floue alors que mon regard se brouilla.
« Ils cherchent encore, » dit-elle en feignant un sourire. Elle rebaissa aussitôt les yeux sur ses sandales.
Jusque là les hommes finissaient toujours par trouver tout ce qu'ils cherchaient au final. C'est que l'espèce humaine sait démontrer sa résilience. Elle n'abandonne jamais aussi facilement, sauf les autres. Quarante ans plus tard, les hommes n'ont pas encore découvert comment défaire leur crime. La planète est tout aussi en piteux état et elle ne montre aucun signe de guérison. Quant au soleil, il continue de nous en vouloir et il nous tape constamment dessus depuis une quarantaine d'années maintenant.
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