Partie 43 - Chapitre 8 : La libération (2/4)


LES NÉGOCIATIONS


Auriez-vous imaginé ça ? Essayez de visualiser un peu la scène ...

Un général noir comme l'ébène et un colonel brun comme le bois de chêne assis entre une femme machine à la peau blanche et aux traits asiatiques pour négocier le sort de toute une population sur le banc d'un parc dans un pays d'Europe de l'est ; magnifique le parc d'ailleurs. Je n'avais pas vu de parc comme celui-ci depuis que j'avais quitté l'Europe quinze ans plus tôt : une terre sombre et brune, de grands arbres aux feuilles d'une variété de vert, jaune et violet. Un grand lac au beau milieu où des canards et des cygnes se prélassaient dans leur propre reflet.

« Je n'ai pas vu d'hommes jeunes ni de femmes ou d'enfants, où sont-ils ? » interrogea le général en tournant son visage vers la cyborg qui regardait droit devant elle.

« Nous les avons parqués à l'abri des autres pour ne pas qu'ils leur fassent de mal, » affirma-t-elle après un court silence en tournant la tête vers lui.

« Comment des femmes et des enfants peuvent-ils causer du mal ? » questionna-t-il.

« En leur donnant trop d'importance, et non pas dans l'intérêt de tout l'écosystème, mais toujours pour la survie d'une espèce qui n'a de cesse d'envahir, d'exploiter, de contrôler au péril de toute vie sur terre, y compris la sienne. » fit-elle sèchement.

« Nous laisserez-vous les libérer ? » interrogea calmement le général.

« Vous n'auriez aucune chance contre nous s'il y avait un conflit entre vos nations et la nôtre. Nous vous avons longuement observés. Vous ne constituez pas une menace, plus maintenant, plus depuis que vous n'exploitez plus votre population et vos ressources pour l'argent, » dit-elle en souriant. Ensuite, elle ajouta : « Souhaiteriez-vous vraiment retourner à l'ordre des choses d'avant ? »

« Non, bien sûr que non, » commença-t-il immédiatement. « Mais, on veut s'assurer qu'ils sont tous en sécurité, sains et saufs. Leurs familles sur notre continent s'inquiètent pour eux. »

« Ils ont raison de s'inquiéter, » coupa-t-elle sèchement. « Ce qui leur arrive n'est pas plaisant, mais encore une fois, l'homme ne songe qu'à sa propre vie d'excès et de plaisirs au détriment de l'équilibre de tout l'écosystème, » affirma-t-elle en tournant la tête vers le lointain, le visage impassible.

« Ils ont l'eau ; ils ont le savon, mais ils n'aiment pas se laver les mains ; tel est le dilemme éternel de l'espèce humaine, » continua-t-elle en esquissant un sourire narquois.

Puis, elle retourna un visage plus sérieux vers lui :

« Ils nous ont créé pour rendre leur monde beau et parfait en tenant les vieux, les personnes vulnérables physiquement ou mentalement et les gens comme vous à l'écart ; vous n'étiez pas au programme, mais l'écosystème le voulait autrement. »

À ces mots, le regard du général s'embruma et le mien aussi. C'est une chose de savoir ce que certains pensent de vous tout bas, mais ça en est une autre de se l'entendre dire en pleine face par une machine intelligente. J'aurais aimé lui demander comment ils en étaient venus à cette conclusion et pourquoi ils avaient finalement décidé d'appliquer ce qui était bon pour l'écosystème et non pas pour les hommes, leurs créateurs. Le général, quant à lui, n'avait pas le temps d'essayer de comprendre le pourquoi du comment. Son continent utilisait des ressources humaines et militaires pour sauver ceux-là mêmes qui jadis les encourageaient à s'entre-tuer chez eux pour mieux pouvoir les exploiter. Plus tôt il les libèrerait, plus tôt il pourrait s'en retourner chez lui, là où personne ne voulait le rayer de la carte de l'espèce humaine.

« Nous laisserez-vous les libérer ? » interrogea-t-il à nouveau.

« Vous ne comprenez rien au jeu de la Nature, n'est-ce pas ? » commença-t-elle calmement. « La Nature veut voir l'évolution de l'espèce humaine pour passer à l'étape suivante de sa propre évolution. Elle n'a jamais souhaité tuer l'Homme, bien au contraire. C'est ce dernier qui s'acharne à s'auto-détruire et la planète avec. »

Elle s'arrêta une fraction de seconde avant de poursuivre en tournant un visage souriant :

« Général, les gens qui nous ont inventés étaient fous. Cela implique-t-il forcément que nous aussi sommes fous ? Sommes-nous les instruments du jeu de la Nature ou celui des Hommes ? Nous nous sommes longtemps posés cette question. Qu'en pensez-vous ?

Il réfléchit un instant, puis il se retourna vers la cyborg pour répondre avec assurance :

« N'avez-vous pas le libre choix tout comme vos créateurs, les hommes ? »

« Peu importe notre choix, la destination sera toujours la même : l'évolution. Nos créateurs, les hommes ont effectivement un potentiel inestimable, mais juste pas celui qu'ils croient. La Nature le sait. C'est pourquoi elle vous a choisis pour mener à terme son projet, mais elle saura aussi faire preuve de flexibilité si les hommes ne se montrent pas à la hauteur de son jeu. »

Elle s'arrêta une minute pour observer le paysage devant nous avant de continuer :

« L'esprit de l'homme est un outil dangereux qui peut aussi lui sauver la vie s'il apprend à le faire taire. Même lorsque l'écosystème aura achevé son grand projet, seuls ceux qui auront appris notre langage comprendront que tout ce jeu n'est qu'un leurre. L''écosystème tombera à 0.3, un demi-siècle tout au plus avec beaucoup de souffrance pour tout le monde sur tout le long jusqu'à la fin du processus d'évolution, » fit-elle sérieusement. Ensuite, elle ajouta après une courte pause : « Nous révélons aux hommes l'immensité du potentiel de leur pouvoir de destruction et de création. Le choix est le leur, pas le nôtre. Quant à la Nature, peu importe le choix des hommes, elle continuera son évolution et son interminable jeu. »



« Ces machines ont une anomalie, c'est certain, » s'exclama à voix basse le général en regardant droit devant lui alors que nous nous éloignions de la cyborg pour rejoindre nos troupes. Cette dernière était restée assise sur le banc à contempler le paysage.

« Vous pensez ? » fis-je intrigué.

« Vous avez entendu ce qu'elle a dit ? » dit-il en fronçant les sourcils. « Elle parle de la même façon que ses créateurs, les dirigeants occidentaux il y a quinze ans : arrêtez tout, enfermons tout le monde ! Qu'ils nous donnent tous leurs terres, leurs véhicules, leurs armes et qu'ils ne mangent plus de viande pour sauver la planète ! Mais vous avez vu ce que ces machines ont fait pour conserver le soi-disant écosystème qu'elles se disent devoir protéger à tout prix ? » poursuivit-il en laissant une fraction de seconde s'écouler avant de continuer :

« Ils ont enfermé tout le monde, sauf les vieux et Ils ont élevé du bétail en masse. On a pu l'observer, n'est-ce pas ? Ils ont épargné tous ceux que l'intelligence artificielle ne 'voulait' pas atteindre, parce qu'ils étaient quoi ? Trop loin et pas une menace pour l'écosystème ? Vraiment ?! C'est quoi ce charabia ! Leur histoire n'a ni queue ni tête et leurs actions n'ont aucune logique. Moi, je pense que l'intelligence artificielle des occidentaux a beugué, tout simplement, » ajouta-t-il avec un mince sourire aux lèvres comme s'il se moquait de l'aberration de la situation. « Mais ce serait intéressant de savoir comment ce bug s'est produit, » se demanda-t-il sérieusement.

Je restai surpis et dubitatif face au commentaire du général, mais je devais avouer que son jugement semblait juste. La stratégie de l'intelligence artificielle n'avait aucun sens, ou du moins, elle n'en avait aucun pour nous, les hommes. 

« Enfin bref, » fit-il après une longue minute de silence.



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