Partie 39 - Chapitre 7 : La coupure (5/7)


LE PETIT PARADIS

L'année 2030


Je ne me souviens normalement pas de mes rêves, mais celui-ci je m'en souviendrai toujours. Les images et les personnes dans ce rêve me paraissaient tellement réelles que je pouvais presque sentir leur présence à mes côtés, y compris celle du cyborg. Bien que j'eusse l'occasion de voir des cyborgs en vrai au travail lorsque j'étais dans les forces militaires polonaises, je n'eus jamais l'opportunité de les côtoyer de près, ni de travailler avec eux. Tant mieux, car leur visage inexpressif me rendait mal à l'aise. N'y avait-il pas déjà assez d'indifférence humaine ici-bas ? Fallait-il vraiment apporter l'indifférence de la technologie dans un monde si pauvre en humanité et en compassion ?

Ça me soulageait de vivre sur un continent qui n'avait pas adhéré à la ruée vers la technologie faute de ressources financières. Ils pouvaient toujours acquérir ces dernières alors que l'humanité et la compassion allaient malheureusement en déclin en Afrique aussi. En occident et en Asie en revanche, les algorithmes, les cyborgs, les caméras de surveillance, les appareils intelligents et l'intelligence artificielle se répandaient partout : dans les rues, les routes, les écoles, les hôpitaux, les banques, les bureaux, les maisons de retraite, les collèges et universités, les magasins, les centres commerciaux, sportifs et de divertissement ; partout ...


Dans un paysage tropical, sur une plage que je ne connaissais pas, je me tenais debout portant mon uniforme militaire. Plus loin, ma mère se tenait assise sur une chaise roulante, le regard perdu dans le lointain, un petit sourire aux lèvres. Elle semblait sereine et heureuse. Un jeune homme aux cheveux bruns, vêtue tout de blanc, se tenait debout à ses côtés, le visage pâle et souriant.

Je m'approchai d'eux, mes pas alourdis par le sable. Le jeune homme fut le premier à remarquer ma présence et il se tourna vers moi pour me saluer d'un petit geste de la tête. Son regard donnait une impression étrange, un peu comme les gens qui souffrent de strabisme.

« Mme Leszczyński, regardez qui vient vous rendre visite ? » déclara-t-il en espagnol se penchant vers ma mère pour poser une main légère sur son épaule.

Ma mère leva la tête d'abord vers lui comme tirer de ses rêvasseries avant de se tourner vers moi.

« Borys, » fit-elle avec un large sourire sur son beau visage ridé. « Comment vas-tu ? » continua-t-elle en espagnol.

« Je vais bien, » répondis-je dans la même langue en m'accroupissant auprès d'elle pour lui saisir la main. Elle était aussi douce et frêle que la dernière fois que je l'avais touchée deux ans plus tôt.

« Tu prendras soins de tes sœurs, promis ? » me dit-elle.

Iwona vivait aux États-Unis et Ania en Chine. La Pologne a toujours donné généreusement ses enfants aux autres nations de ce monde. Mes sœurs s'étaient toutes les deux mariées et elles avait deux enfants chacune. On communiquait par vidéoconférence, téléphone, ou e-mails. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, dans mon rêve, je demandai à mère :

« Oui, maman, mais où sont-elles ? »

À ma question, le visage de ma mère s'assombrit d'un voile de tristesse avant de lever sa main lentement pour pointer du doigt quelque chose derrière moi. Intrigué, je me relevai afin de me retourner pour voir ce qu'elle me montrait.

Un grand frisson parcourut tout mon corps lorsque je reconnus le bâtiment. Je n'avais jamais connu cet endroit-là moi, mais j'en avais entendu parler et j'avais vu les photos en noirs et blancs dans les livres d'histoires. Les hommes et les femmes totalement nus, si maigres que les os de leurs omoplates sortaient de leurs petits corps telles des scarifications. Leurs regards sombres et terrorisés semblaient défier l'oeil de caméra en disant : Vous avez vu ça ? Ils ont essayé de nous exterminer, mais nous sommes toujours là, debout, vivants.

Des larmes embuèrent ma vue tandis que je me mis à courir à toute allure en direction du lieu où se trouvaient mes sœurs et probablement leur famille aussi. Lorsque j'arrivai aux portails de la cruauté calculatrice humaine, au lieu de barbelé de fer je me trouvai face à une grande vitre. De l'autre côté, je vis Ania et Iwona vêtues de leur pyjama ; elles marchaient en ligne, tête baissée sur leur téléphone portable, complètement absorbées par leur petit écran. Elles se dirigeaient droit vers une chambre à gaz d'où s'échappait une fumée épaisse.

« Iwona, Ania ! » J'hurlai de toute mes forces en tapant du poing sur la vitre, mais elles ne m'entendaient pas ; elles ne pouvaient pas m'entendre ; elles étaient prisonnières et moi de l'autre côté, je devais continuer de vivre ; survivre comme le but originaire de ma naissance et le sacrifice de la vie de mon père.



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