Partie 28 - Chapitre 5 : Retour à la terre natale (5/5)


LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

Les années 2010


Mes dix premières années dans les Forces passèrent en un clin d'œil. Les gens de mon âge et plus jeunes commençaient tout juste à découvrir les merveilles des médias sociaux, l'univers des hommes au bout des doigts. C'est ainsi que je repris contact avec Chris. Il avait quitté Cuba lui aussi. Avant de retourner en Angleterre, il avait voyagé en Asie pendant deux ans. Il avait obtenu un Master en commerce international à l'une des universités de Cambridge et il travaillait dans une grande société à Londres. À lui aussi, ses compétences en langue avaient porté leurs fruits sur son arbre professionnel.

Comme un peu tout un chacun je ne questionnais pas les informations dont les médias m'affublaient à longueur de journée. Après tout, j'avais plus important à faire : ma carrière, mon quotidien d'homme troublé, mes blessures encore béantes et douloureuses. J'écoutais les nouvelles sans trop comprendre la trajectoire du gros navire sur lequel j'avais embarqué tel un esclave sur un négrier : abasourdi par la violence de ma capture, ignorant totalement ma nouvelle destination, la présence et la chaleur des corps de mes confrères et consœurs captifs me réconfortaient. Je restais attaché à ces derniers par la peur de reconnaître ce que je savais au plus profond de mon être : nous étions en train de traverser un océan de peine afin de surmonter notre plus grande hantise : le néant. Une fois qu'on a tout perdu, que nous reste-t-il de plus à craindre que d'oublier qui nous sommes ?

Je me retrouvais tellement noyé sous la marée d'informations et de scénarios catastrophes qui s'affalaient sur mes écrans plats petits et grands que je ne tentais même pas d'essayer de comprendre le véritable but d'autant d'images et de mots contre l'esprit humain. Avec le recul, je réalise maintenant que nous étions sous attaque. Nous étions endoctrinés jusqu'à ce que nous nous habituassions au malheur que de puissants dirigeants nous réservaient. Pourtant, dans leur course folle au succès vers le pouvoir incontesté, ils avaient signé leur propre arrêt de mort par l'outil sophistiqué qu'ils avaient créé. Leur arme parfaite épargnerait toute vie, excepté celle des Hommes, y compris celle de ses créateurs. Alors que les événements s'enchaînaient mois après mois, année par année, l'esclave docile que j'étais ne comprenait toujours pas que les vraies chaînes qui le retenaient à l'horreur de sa servitude et à son tragique destin n'avaient jamais été à ses poignets ou chevilles. En fait, les véritables chaînes étaient dans son esprit d'homme niais et lâche.

De réchauffement climatique les journalistes étaient passés au changement climatique générant beaucoup d'attention tout en agissant le moins possible. Les pays développés qui consistuaient la cause du problème réclamaient cependant aux pays en voie de développement d'arrêter leur classe de rattrapage économique pour donner un répit à la planète. Les hommes riches et influents du monde se mirent à culpabiliser les hommes et les femmes qui mangeaient la viande rouge. La tendance portait désormais au végétarisme et au végétalisme, car apparemment c'étaient les vaches avec leurs flatulences toxiques qui polluait notre eau et notre sol agricole ; les pesticides, les produits chimiques et génétiquement modifiés n'avaient plus rien à voir là-dedans. Au bout de quelques années la vache devînt l'ennemi numéro deux de la Terre après l'émission de carbone et avant les hommes ordinaires. 

Effectivement, Il y avait trop d'hommes au 21 ème siècle : des vieux, des jeunes, des moins jeunes, mais surtout des vieux, beaucoup trop de vieux et la planète ne le supportait plus. La vérité était plutôt que l'économie de consommation des hommes ne les tolérait plus. Il fallait agir pour remédier discrètement, mais sûrement à ce souci. 

Mais comment éliminer les vieux ? Et pourquoi pas aussi les autres (puisqu'il y en avait autant) tout en poussant l'avancée de la recherche médicale ? 

Facile ! Rendre malade par inadvertance, soigner avec négligence, puis rendre encore malade et continuer de faire tourner inlassablement le cycle infernal qui rendait complètement débile le corps humain tout en enrichissant l'industrie pharmaceutique. 

Le cancer et les maladies cardiaques devinrent rapidement l'ennemi numéro un et deux de l'homme moderne, pas de l'homme pauvre. Ce dernier quant à lui, se mourrait toujours de malnutrition, malaria, polio et toute autre maladie curable depuis des décennies. Heureusement pour la planète, elle ne mangeait pas de sucre, ni de glucide non plus. 

Il aura fallu une petite décennie aux hommes riches et influents pour trouver la grande idée qui n'arrangeait personne mis à part ceux qui l'avaient trouvée. Ils nous la présentèrent comme on présente un nouveau-né : Voici ! En résumé, on n'avait pas le choix. L'urgence et la peur deviendraient bientôt les armes redoutables préférées des dirigeants pour nous faire avaler un tout nouvel ordre de pensée : plus besoin de réfléchir, car les grands de ce monde le feraient pour nous, ou du moins leur technologie.

On parlait aussi de la Chine sur le point de devenir la prochaine puissance mondiale et l'occident blanc paniqua. Deviendraient-ils tous tout jaunes ? Le monde du début des années deux mille dix n'avait rien de différent de celui des années deux mille quatre-vingt : hypocrisie et performances théâtrales. Les hommes priviligés situés en haut de la pile humaine voyaient toujours aussi clairement les couleurs en prétendant ne pas les voir pour se donner bonne conscience. C'est un peu à cette époque-là aussi que les sociétés occidentales commencèrent à regrouper les gens dans de gros paniers en s'assurant d'en avoir assez pour chaque individu. Oui, il semblait que chacun devait en avoir un ou deux tout au plus. Chaque goût, chaque choix, chaque tendance représentait un panier bien défini.

Je suffoquais à l'idée de devoir en trouver à ma taille. Malgré les nouveaux débats passionnés qu'engendraient la classification catégorique de la diversité originelle de l'espèce humaine et l'ouverture d'esprit apparente quant à la sexualité de l'espèce, je voyais d'un très mauvais œil tous ces gros paniers exposés bien en ligne telle une armée. Selon moi, il n'y avait là qu'essence pour créer une idéologie bonne à juger et diviser les gens entre eux. Je ne voyais pas le monde en petits containers, mais plutôt en champ de fleurs sauvages, libre et merveilleux dans toute l'immensité de sa splendeur. Visiblement, ceux qui avaient lancé la mode ne voulaient pas nous voir libres. Au contraire, ils voulaient nous enfermer dans des définitions rigides pour ne plus nous en laisser sortir.

En raison de mon éducation cubano-polonaise, ainsi que des différentes langues que je comprenais et parlais couramment, ces mots fantaisistes, cette nouveauté linguistique, ces termes très soigneusement choisis qui appartenaient à l'esprit troublé d'autres hommes, ne changeaient rien à la banalité de ma condition humaine. Encore une fois, je me laissais téléguider sans broncher. Après tout, de quel droit pourrais-je remettre en question l'esprit avancé de mon espèce ?

Le monde d'est en ouest tournait autour de l'occident comme la Terre autour du soleil se laissant guider par leurs nouvelles idées ingénieuses, leur science et leur technologie. Les dirigeants occidentaux n'écoutaient personne d'autre qu'eux-mêmes, les énormes multinationales et les philanthropiques opportunistes qui les sponsorisaient à travers toute la planète. Cependant, tout prêtait à croire que la Chine mettrait bientôt la pagaille dans tout ça avec son miracle économique et ses valeurs étrangères. Avec un peu plus d'ingéniosité, de science et de technologie, peut-être l'occident parviendrait-il à la contrecarrer et maintenir son hégémonie ? Ah... mais ... Dans la course folle au succès des uns et des autres l'Homme semblait omettre une seule chose : comment s'arrêter s'il le fallait ? Il avait inventé une machine infernale sans bouton d'arrêt.



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