Partie 26 - Chapitre 5 : Retour à la terre natale (3/5)


LE SERVICE MILITAIRE


Une fois ma qualification du collège professionnel obtenue, je m'enrôlai tout de suite dans les Forces comme l'avait suggéré mon père à Alegria deux ans plus tôt. La rigueur de la formation de base me sembla beaucoup plus douce que ce qu'il m'avait fait subir pendant mes années d'entraînement avec lui. Le bizutage, passage obligé des premières années de toute recrue, m'avait probablement dégoûté de certaines choses pendant quelque temps, mais n'avait été ni traumatisant ni humiliant pour moi. Qu'a-t-on de plus à perdre lorsqu'on a déjà tout perdu soit par défaut soit par mégarde ?

La routine du service militaire m'apporta rapidement l'assurance du lendemain que je n'avais jamais connu avant ça. Obéir aux ordres m'évitait de réfléchir trop et encore moins de prendre mes propres décisions. La camaraderie me donnait l'illusion d'appartenance. Mon père avait deviné juste : le service militaire m'allait comme un gant.

Mon teint encore moins basané depuis mon retour en Europe ne me posait aucun problème particulier du moment où je suivais l'ordre des choses préétablies par la société où je me trouvais. Il en va ainsi partout pour tout le monde dans la vie de tous les jours. Pour mes camarades, j'étais juste Borys, l'homme aux multiples langues et au visage étrange. Mes yeux bleus les rassuraient ; mes cheveux bruns bouclés et ma peau légèrement basanée les intriguaient, mais ne constituaient pas une menace.

Pour les femmes, jeunes et moins jeunes, j'étais comme un oiseau exotique perché sur sa branche, là uniquement pour leur donner le plaisir de le contempler, ou avec un peu d'audace de le toucher, de l'entendre chanter. C'est probablement l'expérience qui m'a le plus marqué lors de mes premières années en Europe en tant que jeune homme. À Cuba, je n'étais qu'un mulâtre parmi tant d'autres avec privilège et statut oui, mais sans mystère. Après tout, n'étions-nous tous pas les bâtards de l'histoire perdus dans la mer des Caraïbes, tous plus ou moins marqués au fer par la hiérarchie de la peau ? À ces moments-là, lorsque ces femmes me regardaient tel un objet de fantasme, Feliz me manquait terriblement, et avec son souvenir revenait ma culpabilité. Elle n'avait jamais répondu à mes courriers, ni à mes appels téléphoniques depuis mon départ, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. J'avais choisi. 


Mes compétences en langue m'ouvrirent très tôt dans les Forces des portes auxquelles mon parcours scolaire seul, même avec ma formation professionnelle, ne m'aurait pas donné accès. Je voyageais beaucoup et j'appris à piloter aussi. J'étais brillant, obéissant et vide, l'arme parfaite idéale. Il ne suffisait que d'y mettre les munitions, cibler, puis tirer.




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