Partie 24 - Chapitre 5 : Retour à la terre natale (1/5)


LA FORMATION


Mis à part des retrouvailles très émotionnelles avec ma mamie, mon retour en Pologne se passa sans fanfare ni trompette. Ania retourna au collège et Iwona à l'université tandis que je commençai à apprendre les métiers de menuisier, verrier et ouvrier métallurgiste au collège professionnel. Mon père avait déjà effectué les démarches pour m'inscrire avant le départ de la famille pour Cuba. Alegria et moi avions pris l'habitude depuis mon arrivée sur l'île, d'envoyer à mes parents une copie de mes relevés de notes et mon cahier scolaire. Il possédait alors tout le nécessaire pour préparer mon inscription. Je correspondais par courrier en polonais avec mes sœurs, donc il pouvait facilement évaluer mon niveau de compréhension et de production écrite. J'avais vu juste. Son intention n'avait jamais été de m'exiler pour toujours, mais de m'écarter temporairement de son entourage.


« Ton père a bien choisi ta maman, » s'exclama ma grand-mère en coupant une part de mon gâteau préféré qu'elle avait préparé pour célébrer mon retour.

« Quel beau jeune homme tu es devenu. Au moins, tu n'es pas né laid et tout noir comme la nuit, » poursuivit-elle en posant délicatement une part généreuse sur mon assiette.

« Merci mamie, » fis-je en lui souriant avant de regarder alternativement mes parents et mes sœurs pour examiner leur réaction.

Ils se tenaient tous assis avec moi autour de la table en attendant sagement que ma grand-mère leur fasse offrande à eux-aussi d'une part de mon entremet. Comme à son habitude, ma mère accueillit la remarque avec un silence religieux et un visage serein. Malgré son joli masque, je sentis qu'elle non plus n'avait pas apprécié le commentaire même enrobé dans un compliment ; 

À qui ce compliment s'adressait-il ? Assurément, ni à elle, ni à moi, ni à Alegria. Puisque ma mère avait grandi à Cuba, elle connaissait parfaitement la hiérarchie de la peau, mais on parlait d'elle, ainsi que de sa mère.

Quant à mes sœurs et mon père, ils ne bronchèrent pas du tout. Ce dernier sourit fièrement à sa mère tandis que mes sœurs jetèrent un œil furtif sur leur téléphone portable posé sur la table auprès de leur assiette vide. Visiblement, elles se fichaient de la hiérarchie de la peau qui les plaçait au-dessus de toutes les femmes à la peau sombre de la planète entière, y compris leur propre mère et grand-mère maternelle. Il n'y avait là aucun mal ; la remarque constituait la norme de ce côté du monde. La triste vérité était qu'elle la représentait aussi aux Antilles. C'est incroyable ce que les hommes peuvent faire avaler aux hommes avec le temps et beaucoup d'imagination. Je saisis ma cuillère, la gorge serrée, l'estomac noué et je coupai un petit bout de ma friandise préférée avant d'ouvrir lentement la bouche. J'approchai la cuillère de mes lèvres humant l'odeur douce et familière, puis j'engloutis d'un seul coup le morceau sur la cuillère.

« Mmmm, c'est super bon, mamie ! » m'exclamai-je en levant les yeux vers ma grand-mère qui me regardait intensément et fièrement avec un large sourire. Ce tendre visage ridé m'avait tant souri et diverti en me gardant dans ma petite enfance lorsque mes parents allaient au travail.

J'étais retourné chez moi, mais par un jeu du sort j'avais atterri en terre étrangère. Je devrais tout désapprendre pour tout réapprendre, ou presque.


En plus de ma formation au collège professionnel, mon père avait décidé de m'entraîner physiquement lui-même. La première fois qu'il me réveilla de petits coups sur l'épaule, je me retournai vers mon réveil surpris de voir inscrit 4 h 00. Il me jeta mon t-shirt à la figure avant de me dire :

« Habille-toi, on va courir. »

Je frottai mes yeux avant de sortir du lit pour m'habiller en vitesse. Après deux jours, je compris que ce serait désormais notre routine matinale pour lui et moi. Alors, je me mis à me réveiller à 3 h 30 chaque matin pour aérer ma chambre, faire mon lit et m'habiller avant qu'il n'apparaisse à l'entrebâillement de la porte de ma chambre. Après notre footing d'une heure, il m'apprenait la boxe, le levé de poids et nous faisions des abdominaux aussi. Après ma douche, je prenais le petit-déjeuner avec ma mère et mes sœurs. Mon père ne mangeait jamais le matin, donc il partait immédiatement pour son travail. Il commençait à 6 h. Passer les premières heures de la journée à ses côtés dans la fraîcheur du matin et la pénombre de l'aube consistait un grand moment privilégié pour moi, d'autant plus que nous n'étions que tous les deux. Pour un adolescent qui avait passé la plupart de son temps libre à travailler la terre, s'occuper des bêtes sous un soleil de plomb, nager à la mer et danser avec les filles à en perdre la tête, l'effort physique ne m'effrayait pas du tout.


***

« Tu te débrouilles bien en langue à ce que je vois, » déclara mon père en observant s'éloigner le touriste Américain qui nous avait interpellés dans la rue pour demander son chemin.

« Ça va, » fis-je simplement.

« Tu devrais en apprendre d'autres, » ajouta-t-il avec enthousiasme.

« Lesquelles ? » demandai-je sans trop d'intérêt, mais ravi de constater que ma performance l'avait impressionné.

« Toutes, » répondit-il sèchement en se retournant pour me fixer droit dans les yeux. « Toutes les langues d'Europe de l'Est, si tu le peux, » ajouta-t-il très sérieusement.




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