Partie 21 - Chapitre 4 : La transition (7/9)


RÉUNION DE FAMILLE


Je pris grand plaisir à jouer au guide touristique pour mes sœurs qui découvraient l'île pour la première fois. Elles adoraient se faire accoster et courtiser à chaque coin de rue par la gente masculine locale avide de chair blanche fraîchement débarquée de l'aéroport. En revanche, elles aimaient moins leur similaire popularité avec les moustiques. Elles ont tout de suite adoré Chris et Feliz avec qui nous sortions en ville et sur les plages laissant mon père et ma mère à la maison avec Alegria et Pedro. Mon père ne parlait pas bien l'espagnol, mais son français lui permettait de se faire comprendre des autres tout en les comprenant. Il trouvait beaucoup de satisfaction à s'affairer tout autour, ainsi qu'à l'intérieur de la maison de sa belle-mère. Pour tout homme qui se sent mal aimé, il peut toujours trouver quelque chose à faire quelque part pour quelqu'un d'autre. En effet, se sentir utile parvient à compenser.


***

Je ne m'étais pas demandé pourquoi mon père avait finalement décidé de venir nous rendre visite à Cuba avec toute la famille et pourquoi à ce moment-là. La réponse à ces questions me vint la deuxième semaine après leur arrivée. Nous étions attablés dehors sur le balcon quand il s'exclama en français entre deux bouchées :

« Alors Borys, ça te dirait de retourner avec nous en Pologne ? »

Au choc de ces mots, je fis tomber ma fourchette et restai longuement sans voix, mon regard allant nerveusement d'Alegria, à mon père, puis à Pedro, ma mère et mes sœurs, et encore à Alegria. Pourquoi fallait-il toujours choisir un côté ? Et qu'adviendrait-il de moi si je n'avais pas le droit de choisir ?

« Vous voulez reprendre mon fils ? » rétorqua cette dernière d'un ton sévère en espagnol. Elle posa doucement sa fourchette sur le rebord de son assiette.

« Je n'ai pas besoin de parler le français pour comprendre ça, » elle s'arrêta un instant pour le dévisager avant d'ajouter : « C'est pour ça que vous êtes venus après si longtemps ? Pour le reprendre sans même m'avertir ? »

« C'est mon fils, » se défendit-il en espagnol sans hausser le ton. Il n'haussait jamais le ton. Il n'en avait jamais eu besoin dans sa vie d'adulte, car les gens autour de lui l'écoutaient toujours.

« Et je suis la mère de sa mère. Sans moi elle ne serait pas là et 'ton fils' non plus. J'ai largement contribué moi-aussi à la conception de cet enfant, » fit-elle en levant le ton.

L'autorité paternelle se tut replongeant la face dans son assiette. Il n'en avait pas terminé, mais visiblement ce n'était pas le bon moment. Alegria, quant à elle, n'en avait pas fini avec lui.

« Ton fils est arrivé chez moi seul à l'âge de cinq ans avec son passeport et son nom autour du cou comme s'il avait été abandonné, » continua-t-elle en me pointant du doigt. « Aujourd'hui, plus de dix ans plus tard, tu veux le reprendre à l'improviste ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce que tu vas encore lui faire voir à ce petit pour le façonner à ton image ? » questionna-t-elle avec insistance.

Iwona et Ania tournèrent un regard compassionné et triste vers moi. Elles ne réalisaient qu'à cet instant l'amplitude de l'humiliation du frère qu'elles avaient laissé partir. Un silence lourd et triste envahit le balcon malgré le soleil et le beau paysage autour de nous. Mon père se redressa sur sa chaise pour regarder sa belle-mère dans les yeux. Le visage rouge, mais le ton calme, il lui répondit en français :

« Il a seize ans, il peut apprendre un métier et s'engager chez les militaires après, s'il veut. »

Alegria fronça les sourcils en secouant la tête.

« Si c'est ce qu'il veut pour lui, je ne l'empêcherai pas, mais si c'est une autre de tes punitions pour une raison ou pour une autre, il n'ira nulle part, » dit-elle en reprenant sa fourchette.

Elle resta plusieurs secondes immobile la figure baissée sur son assiette telle une statue de pierre.




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