Partie 2 - Chapitre 1 : Chez soi (2/3)


L'ENFANT DE LA HONTE


Je devais avoir à peu près cinq ans. La récréation se déroulait pendant que nous étions tous là à courir, jouer et crier dans la cour tandis que les instituteurs et institutrices veillaient sur nous en bavardant. L'un de mes camarades interrompit notre jeu pour nous inviter à rejoindre le sien un peu plus loin. La règle était simple : choisir parmi les participantes la plus jolie et voter pour elle en allant lui poser un baiser sur la joue. 

Mes yeux de petit garçon scrutèrent intensément chaque visage avec l'air sévère des jurés. C'est quoi d'abord être jolie ? Me demandai-je intérieurement.

Mon regard s'arrêta sur le visage d'un de mes copains. Il était arrivé dans ma classe au début de l'année, mais ce n'était que récemment qu'on s'amusait souvent ensemble. Contrairement aux autres et même à moi, il ne portait pas son sexe sur son visage ; un visage poupin aux traits typiques des beautés de l'Est du début du siècle. Voilà ! J'avais décidé ! J'avais choisi la plus jolie à mes yeux !

Alors, d'un pas déterminé je me dirigeai vers lui pour aller poser un doux baiser sur sa joue. Il sursauta surpris et à la fois apaisé par mon choix. J'esquissai un sourire qu'il me rendit. Les autres enfants restèrent figés par la scène, leurs questions suspendues au-dessus de leurs têtes.

« Borys ! » s'écria l'une des institutrices en m'agrippant fermement par le bras. « Qu'est-ce que tu viens de faire ? »

Au même instant, mes camarades commencèrent à pouffer de rire en me montrant du doigt. Debout devant moi, mon plus joli visage se métamorphosait peu à peu alors que les rires allaient de plus belle.


***

Quelques heures plus tard, je me tenais debout entre mon père et ma mère, tous les deux assis devant le bureau de la directrice de l'école.

« Ce comportement est inacceptable, » commença-t-elle d'un ton sévère.

Ma mère saisit ma main dans la sienne pour me transmettre la force d'écouter silencieusement. Mon père, quant à lui, ne cessait de s'excuser à chacun des commentaires de la directrice. Visiblement mon comportement inacceptable l'avait lui aussi blessé au plus haut point. Je savais déjà ce qui m'attendait de retour à la maison : tout d'abord, une ou deux claques sur les fesses ou le visage suivies d'un exil forcé dans un coin sombre d'une pièce de la maison où il n'y aurait personne. Puis, l'invisibilité totale pendant plusieurs jours. Pas un regard ni un seul mot, pas même un « pousse-toi ! »

Je serais toujours le petit garçon de la famille, mais je n'existerais plus aux yeux de mon père.



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