Chapitre 8 - La fête
- T'es prête, rouquine ?
- Ouaip.
Je sors de ma chambre. James est là, adossé contre le mur de l'autre côté du battant. J'ouvre grand les yeux. D'ordinaire, s'il n'est pas en compagnie de John, il est quasiment impossible de deviner que James est gay. Ce soir, c'est tout le contraire. Il est vêtu d'un pantalon noir super moulant, de baskets blanches ainsi que d'un haut en dentelle très élégant qui laisse apercevoir son torse. Et, pour couronner le tout, il porte du rouge à lèvres sombre et ses yeux sont soutenus de mascara et d'eye-liner.
Oh, pitié. Faites qu'il ne m'emmène pas dans un bar gay.
- Qu'est-ce que c'est que cette tenue ? je m'exclame.
- C'est exactement la question que je me pose, rétorque-t-il en me dévisageant.
Je hausse un sourcil en observant ma propre tenue. Un jean, un tee-shirt simple, une veste en cuir et des baskets. Je ne vois pas où est le problème. Je retourne à lui et, à son regard légèrement baissé, je me rends compte que j'y suis peut-être allée fort. J'esquisse un sourire.
- T'es canon avec du maquillage.
James est du genre tout le temps canon. Mais c'est vrai que, ainsi, il l'est encore plus. Il me fait un large sourire.
- Je sais. Par contre, désolée de te dire ça, mais toi, ça va pas du tout.
Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il me pousse dans ma chambre et m'emmène jusqu'à mon armoire en fermant la porte d'un coup de pied. Il me place devant le miroir en m'observant d'un œil critique.
- Y'a pas quelque chose qui te dérange ?
J'observe nos reflets. À l'exception du fait que nous semblons venir de deux mondes différents, je ne vois rien de choquant.
- J'ai une tâche quelque part ?
- Sacrebleu ! C'est tout ça, la tache !
Il désigne tout mon corps d'un grand geste. Je grimace. Sérieux, qui dit encore sacrebleu dans la vie ? Je le dévisage fixement et il reprend :
- Ce que je veux dire, c'est qu'on va pas faire les courses, on ne va pas en cours et on ne va pas voir tes parents ! On va faire la fête ! Où sont les belles robes, les collants troués, le maquillage, les cheveux laqués ? Pff, heureusement que je suis là, moi !
D'un geste, il me pousse sur mon lit, puis ouvre en grand mon armoire et se met à fouiller dedans. Je m'assois sur le matelas et émets un long soupir.
- Est-ce qu'on va vraiment tomber dans le cliché de l'ami gay qui trouve la tenue idéale à sa pauvre amie hétérosexuelle qui n'y connait rien à la mode et au style ?
James sort la tête de mon armoire. Il tient une robe noire à la main qu'il place devant moi, avant de la jeter dans un coin de la pièce en secouant la tête. Il reporte son attention sur moi.
- Rouquine, ta vie entière est un cliché, il faut que tu t'en rendes compte. Rousse avec des yeux verts : cliché. Le meilleur ami gay ? Cliché. Les études de médecine ? Cliché. L'amnésie ? Cliché. Le père alcoolique ? Cliché. Je t'assure que tu n'es plus à ça près.
Touché. J'avais jamais vu les choses sous cet angle là, mais il n'a pas vraiment tort. Je pousse un soupir résigné et il m'adresse un sourire en replongeant au cœur de mon armoire. Quelques instants plus tard – et quelques tenues éjectées- il ressort en poussant une exclamation ravie :
- J'ai trouvé !
Je tressaille, presque apeurée. Les robes, ce n'est plus trop mon truc depuis des années. Certaines sont restées dans mon armoire depuis si longtemps que je m'étonne que James ne ressorte pas avec des toiles d'araignées dans les cheveux. Il me jette un morceau de tissu.
- Enfile ça !
- Je peux pas rester en jean ? Je suis bien plus...
- Tout de suite ! me coupe-t-il d'un ton qui n'attend pas de refus.
J'obéis aussitôt et attrape le vêtement. Je reconnais la robe que j'ai mise une seule et unique fois, lors de la remise de diplômes du bac. Elle est d'un rouge pétant, avec un bustier élégant et légèrement évasé en bas. J'arque un sourcil en direction de James, mais, les mains sur les hanches, il ne me permet aucune contestation. Je me lève en soupirant et, tournant le dos à James, j'enlève mon jean. J'entends un ricanement derrière moi :
- Tu sais, ce que tu as entre les jambes m'intéresse assez peu pour que tu ne sois pas obligée de te tourner.
- On appelle communément ça la pudeur. Tu devrais essayer un jour.
J'ôte également mon haut, puis enfile la robe. Je me tourne vers James.
- Alors ?
- Y'a de l'amélioration. Allez, viens par là.
Il me désigne la salle de bain adjacente à ma chambre. Et là, pendant près de vingt minutes, il se prend pour un vrai esthéticien et maquille mon visage, coiffe mes cheveux et vernit mes ongles. Je dois avouer en avoir vite marre, mais, une fois devant le miroir, je ne peux m'empêcher de sourire. James a fait des merveilles. Mes cheveux semblent soyeux, mon visage est savamment maquillé et je me sens dix fois plus belle que d'habitude. Quant à mes ongles rouges, ils se marient parfaitement avec ma robe.
- Je vais travailler sur quel trottoir ce soir ? Je demande d'une voix pleine de sarcasme en souriant. En forêt, il parait qu'il y a plein de vieux pervers...
- T-t-t-t, me coupe-t-il en riant. L'avantage d'avoir des potes gays, c'est bien de pouvoir jouer tes gardes du corps.
- Tu feras peur à personne habillé comme ça.
- C'est ce qu'on verra.
Il me donne un petit coup d'épaule et je sors de la chambre à ses côtés. John, qui doit nous attendre depuis bien une demi-heure, est à demi affalé sur le canapé. Il se redresse en nous voyant et je pousse une exclamation furieuse en le dévisageant.
- Hé ! Pourquoi lui il a le droit de rester en jean lui ?
- C'est mon mec, dit James en souriant comme si ça expliquait tout. Il fait ce qu'il veut.
Je roule des yeux et m'apprête à rétorquer, mais John nous rejoint et je me tais. Il me dévisage de haut en bas en souriant, puis hausse les sourcils.
- Remise des diplômes ?
- Remise des diplômes.
- Tu es sublime.
Je pousse un soupir qui en dit long sur mon ravissement et James m'attrape par le bras puis me tire vers la sortie.
- Allons-y avant que tu changes d'avis et que tu ne déchires ta robe.
- C'est pas exclu que ça arrive.
John nous rejoint et nous descendons de notre immeuble. De là, nous embarquons dans la rue adjacente. James et John se tiennent la main tandis que je suis agrippée au deuxième bras de mon meilleur ami. Je suis soulagée que James m'ait permis de garder mes baskets — Dieu sait qu'il n'y avait rien de plus dangereux que moi sur des talons. Nous marchons en discutant et en riant et j'en arrive presque à oublier mes misères de la journée.
Juste avant quinze heures, nous avions envoyé la vidéo en coupant soigneusement la partie où l'on me voyait rendre les bonbons et qui nous serait utile seulement si la vidéo finissait dans les mains des flics. En attendant, James ferait ses recherches dans les jours qui suivent et il était convenu que j'irais chez la police la prochaine fois que cette personne me contactera, si tant est qu'elle le fasse.
Nous marchons pendant une bonne dizaine de minutes en nous faisant dévisager par les passants. J'ignore s'il s'agit de ma tenue légère, de celle (encore plus légère) de James ou le fait que les deux hommes se tiennent la main et se roulent des pelles dès que l'envie se présente. Dans tous les cas, nous les ignorons tous les trois. Les gens peuvent bien aller se faire voir, nous sommes heureux. Et c'est bien connu, c'est souvent le bonheur des autres qui attire le plus de haine.
J'ai ma propre théorie sur le sujet. La plupart des gens, et j'entends par là au minima 90 % de la population, sont incapable d'être heureux. Ils ont beau passer une vie à chercher le bonheur, ils ne le trouveront jamais. Car le bonheur ne réside pas dans un tout, mais bien dans des petites choses du quotidien. Alors, quand les gens croisent des brides de ce bonheur qu'ils cherchent tant, ils crèvent de jalousie. Et alors, opère le plus vieux mécanisme dans l'esprit de l'homme : l'attaque. Attaque pour ne pas être blessé. Attaquer pour que l'autre te soit inférieur. Dans ce cas, attaquer pour atteindre le bonheur des autres. Après tout, si tu ne peux pas être heureux, pourquoi l'autre le serait ? Et bien nombreux sont ceux qui se laissent atteindre et qui voient disparaître leur bonheur, effacé par la haine de l'autre. Alors que le meilleur moyen de sortir de la spirale infernale, c'est de l'ignorer tout simplement. Ne pas se laisser atteindre par ce qui te blesse.
- C'est là !
Je suis sortie de mes pensées par le cri de James. Nous sommes arrêtés devant une boîte de nuit très colorée, à côté d'une longue file de gens. Je vois quelques couples hétérosexuels s'embrasser et je suis rassurée. James aurait été tellement capable de nous emmener dans une boîte gay ! L'intéressé m'adresse un sourire rayonnant, dépose un baiser sur la bouche de son copain puis s'éloigne.
- Attendez-moi là.
Il avance au-devant de la file et approche du videur. Quelques mots s'échangent, James bouge légèrement et je crois voir quelques billets glisser de sa main. Puis il revient vers nous, aussi guilleret que s'il en était déjà à son troisième verre. Il nous attrapa chacun par un bras.
- Les enfants, nous prenons l'entrée VIP.
Il nous fait dépasser la file et, arrivés vers l'avant, l'homme tire la ficelle pour nous laisser entrer. En quelques secondes, nous sommes à l'intérieur de la boîte de nuit, qui n'a rien de très différent de toutes les autres. De la musique à vous en bousiller les oreilles, des lumières clignotantes de toutes les couleurs, des gens qui échangent leur transpiration dans un rythme effréné au milieu de la piste, un bar devant lequel sont assises une trentaine de personnes déjà bien éméchées.
- Tout s'achète, hein ? je crie en me penchant vers James.
- Absolument tout et surtout, tout le monde, darling.
Il me fait un clin d'œil puis nous entraine vers le bar. En moins de temps qu'il ne m'en faut pour protester et crier que je ne veux pas d'alcool, je me retrouve avec une bière entre les mains. James trinque avec moi en souriant comme un enfant le jour de son anniversaire.
- Une seule bière, ça n'a jamais tué personne !
J'esquisse un sourire. Tous ceux qui ont déjà fait des soirées savent que c'est en général avec une simple phrase de ce genre qu'on se retrouve, des heures plus tard, à vomir dans un caniveau sans même se rappeler son propre nom et encore moins son adresse. Cependant, moi, je n'en ai aucune idée et accepte la bière. Et tout s'enchaîne. Une bière, puis une autre. Je suis entrainée sur la piste de danse par les deux amoureux, je me détends, je me laisse aller au rythme des basses qui résonnent. Je chante, je danse, demande de l'argent à James et vais nous chercher trois cocktails. Je perds la notion du temps, trop occupée à rire, à discuter, à danser et à chanter à tue-tête.
Quelques heures plus tard, ou ce qui semble l'être, je suis encore sur la piste. James et John dansent à côté de moi un collé serré torride qui attire de nombreux regards sur eux. Je les observe de loin tout en me déhanchant sur un rythme absolument opposé à celui de la musique. Alors que je tourne sur moi-même, je suis brusquement interrompue par une vibration qui résonne dans tout mon corps. Je m'immobilise aussitôt et il faut quelques secondes à mon cerveau embrumé pour comprendre de quoi il s'agit. Je me trémousse sur moi-même, glisse ma main dans mon soutien-gorge et en ressors mon portable. Quelqu'un est en train de m'appeler.
Je crie à James et à John que je reviens sans même me rendre compte qu'ils sont à bien dix mètres de moi et qu'avec la musique, il est bien impossible qu'ils m'entendent. Je me dirige rapidement vers la sortie en manquant de tomber plusieurs fois. En passant la porte, un type me met un bracelet en m'indiquant que je pourrais rentrer aussitôt avec ça. Je sors dans la ruelle et dessoule presque aussitôt. Il fait un froid glacial, la nuit est noire et presque aucun bruit ne retentis. Rien à voir avec l'ambiance à l'intérieur.
Je dégaine mon portable. Le temps que je sorte, l'appel à dû se finir au moins trois fois, mais mon portable sonne toujours, signe que mon interlocuteur doit vraiment avoir envie de me parler. Je décroche en poussant un long sifflement.
- Quoi ?
- Bonsoir, Lolita.
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