Chapitre 4 - Tyclopidine

- Vous avez trois heures. Aucune pose ne sera autorisée durant ce laps de temps. Si vous avez finit plus tôt, vous pouvez partir au bout de deux heures minimum. Cet examen compte pour près de dix pourcents dans votre moyenne du trimestre, alors donnez tout ce que vous avez.

Je débouche mon stylo tandis que notre professeur s'installe derrière son bureau, à l'autre bout de la pièce. Nous sommes une cinquantaine, suffisamment loin les uns des autres dans la salle pour éviter toute triche. Je tripote le sujet posé sur ma table. 36 pages à remplir. Ça ne va pas être une partie de plaisir. Je bois un coup puis commence à répondre aux questions.

Le sujet a beau porter principalement sur les médicaments, on y trouve également de nombreuses questions sur des thèmes que nous avons étudiés plus tôt ou l'année précédente. Heureusement pour moi, je prépare cet examen depuis des semaine et je ne suis pas vraiment à plaindre niveau mémoire. Seulement, il est bien connu que je ne maitrise rien de ce qu'il se passe dans ma tête. Si certains cours sont ancrés à jamais dans ma mémoire, d'autres ont été totalement occultés par mon manque d'attention.

Plus d'une heure s'écoule. J'en suis à la page dix-sept quand une question me saute aux yeux.

52 // QUELLE VA ÊTRE L'UTILISATION PRINCIPALE DU TICLOPIDINE ? DANS QUELLE SITUATION PRÉCISE L'UTILISER ? DÉCRIVEZ SES EFFETS NÉGATIFS ET POSITIFS.

« - Ne fais pas ça ! je m'écrie en ouvrant lentement les yeux, avant de continuer d'une voix rapide : le ticlopidine est indiqué pour prévenir à la formation des caillots comme pour une embolie ou un accident vasculaire cérébral. Ça permet la diminution de la coagulation sanguine.

Un homme est devant moi, je ne vois que son dos et non son visage. Puis il ramène ses cheveux en arrière et vrille un regard vert sur moi.

- Et en français, ça veut dire quoi ?

Je lâche un soupir. Je suis contrariée. J'ai peur. J'avance d'un pas tremblant.

- Le sang ne va pas coaguler. Autrement dit, il sera plus fluide. Ton ami va se vider de son sang dans les heures qui suivent.

J'indique le blessé d'un signe de tête. Puis, sans lui laisser le temps de réagir, je m'agenouille près des médicaments et fouille un instant dedans, avant d'en ressortir un flacon. Je le lance à l'homme, tout en faisant taire cette petite voix qui me dit que je vais le regretter :

- Du Tramadol. C'est un antalgique, il agit au niveau du cerveau sur des récepteurs spécifiques responsables de l'abolition de la douleur. Donne-lui-en deux, puis deux autres dans huit heures.

Il réceptionne adroitement les cachets. Il plisse les yeux sans me quitter du regard, cherchant sans doute à savoir si je bluffe ou pas. Je soutiens son regard du mieux que je peux.

- Pourquoi je te ferais confiance ? questionne-t-il. Ta seule envie est de tirer d'ici. Pourquoi nous aider? »

Je cligne plusieurs fois des yeux en revenant à la réalité. Je me rends compte que je retenais ma respiration seulement quand ma poitrine commence à me faire mal. Je prends une longue inspiration, parcourue par un frisson. C'est venu si brutalement ! D'ordinaire, je sais à peu près quand je vais me faire happer dans un de mes souvenirs. Là, c'était si subit que j'ai du mal à m'en remettre. Le pire étant que je n'ai pas la moindre idée d'où ça vient. J'étais dans une sorte de cabane en bois avec un homme et un deuxième, blessé, dont je n'ai pas pû voir le visage. Le premier homme était comme flou, seul son regard d'un vert perçant me revient parfaitement. Le plus frappant dans ce souvenir est cette sensation de peur intense, d'horreur, d'incrédulité, de peine... qu'est-ce qui a bien pû me mettre dans un état comme ça ? Et pourquoi diable étais-je dans cette cabane, avec un homme de toute évidence blessé ?

- Mademoiselle Freeman ? lance une voix. Tout va bien ?

Mon prof, qui patrouille autour des tables, les bras dans le dos et le regard perçant, s'est arrêté devant moi. Il me fixe, les sourcils froncés et l'air inquiet. J'en déduis que je dois avoir l'air encore plus perdue que je ne le suis réellement. Je passe un main dans mes cheveux en frissonnant et acquiesce.

- Je... Oui, ça va. C'est juste la fatigue.

Ça ne doit pas être la première fois qu'il voit des étudiants être épuisés pendant un examen. Il hoche la tête, l'air de celui qui comprends parfaitement tout à la vie et continue son chemin. Moi, je suis clairement encore déboussolée par ce brusque voyage dans un passé dont j'ai presque tout oublié. Cependant, ce n'est pas le moment ni l'endroit pour trop y penser. Je me promet d'en toucher deux mots à John dès que je le pourrais. Je me reconcentre sur ma feuille. C'est maintenant une évidence même que de répondre à cette question.

Je sors de la salle une dizaine de minutes avant la fin. J'ai relu mon devoir deux fois et j'estime avoir très peu de fautes. Sur ce coup-là, je m'en sors bien. Je remets ma feuille au professeur, lui adresse un sourire puis sors. Une dizaine d'étudiants de ma classe qui ont finis avant moi sont regroupés dehors, assis dans le couloir en plaisantant, riant et acclamant tous ceux qui sortent. Je pouffe quand on m'applaudit et me félicite comme si je viens de survivre à un acte de torture intense. Une fille m'apostrophe :

- Alors, c'est allé ?

- Comme sur des roulettes. Et toi ?

- C'était l'horreur.

De nombreux étudiants surenchérissent sur la dureté du test. Ils ne savent pas pour mon hypermnésie. Au début, je ne m'en cachais jamais. Puis, au lycée, j'en avais eu marre que tout le monde ne cesse d'attribuer mes bonnes notes et mon niveau à mes capacités mémorielles et qu'on me prenne pour une bête de foire. Arrivée à l'école de médecine, je n'en avais plus touché mot à personne.

- Hé, Morgane, appelle un type assis avec les autres. On se fait une soirée demain chez Rita pour fêter l'examen. Toute la classe sera là, tu viendras ?

Je souris. Ici, toutes les excuses sont bonnes pour faire la fête. Quand ce n'est pas pour un examen, c'est pour célébrer la fin de la semaine, l'anniversaire de quelqu'un, la mort d'une idole ou tout simplement pour fêter le fait d'avoir survécu quelques jours de plus en études de médecine. Je n'y vais jamais. Je préfère milles fois passer une soirée avec John devant Star Wars en se goinfrant de chips et de popcorn. Je secoue la tête.

- Désolé, j'ai quelque chose de prévu demain. Mais la prochaine fois.

- La prochaine fois, ouais.

Ils savent bien que je dis toujours la prochaine fois et qu'il n'y en a rarement une. Mais pour une fois, mon excuse est vraie. James a déjà des plans pour moi. Je leur adresse un signe de la main et reprends mon chemin dans le couloir. En partant, j'entends la première fille s'adresser à ses potes :

- Laissez-la un peu tranquille. Ça ne doit pas être facile à cette période de l'année.

- Si j'avais vécu tout ce qu'elle a vécu, reprit un autre, moi j'aurais envie de passer le reste de ma vie à faire la fête pour oublier.

Peut-être qu'il est temps que quelqu'un leur dise que, s'ils veulent parler sans que l'objet de leur propos ne les entende, ils doivent attendre qu'il se soit éloigné d'au moins dix mètres. Pourtant, je ne relève pas et continue mon chemin. Je pousse un soupir. C'est vrai que j'ai failli mourir dans cet accident de voiture, mais je ne comprends pas pourquoi ça les touche autant.

Je sors du bâtiment et me dirige vers le parking. John doit m'attendre là pour ensuite me conduire en bordure de la ville. Seulement, ce n'est pas lui qui m'attends, adossé à sa voiture.

- Papa !

Fraichement rasé, les yeux pétillants et les vêtements parfaitement repassés, mon père m'adresse un large sourire. Il n'a plus rien à voir avec l'homme que j'ai connu avant mon accident et ressemble de plus en plus à celui qu'il avait était quand, jeune père, tout allait encore au mieux dans sa vie. Depuis mon coma, il a radicalement changé. Il m'a dit avoué avoir eu tellement peur de me perdre que ça l'a remis dans le droit chemin. Adieu, les journées enfermées, les bouteilles cachées, les jeux d'argent en ligne et, surtout, les coups contre moi. Il s'est repris en main.

Je vais l'étreindre et hume un instant sa douce odeur de menthe fraiche. Qu'est-ce que j'aime le voir comme ça !

- Salut ma puce. John m'a dit que tu voulais venir me voir cet après-midi alors j'ai décidé de venir directement te chercher.

- Je croyais que tu avais une réunion cet après-midi ?

- Ça vient de se finir.

Je lui adresse un sourire fier et grimpe dans la voiture côté passager. Il prend le volant et s'engage dans le trafic. Depuis mon réveil, il suit régulièrement des réunions des alcooliques anonymes. Petit à petit, il a recommencé à sortir, à conduire, à voir du monde et chercher du boulot. Enfin, il a réussi à tourner la page sur ma mère. Sur ma mère et toute la misère qui a suivi. Il l'a vraiment aimée, malgré tout ce qu'elle a fait. Et il a fallu attendre neuf ans après qu'elle ai était mise en prison pour qu'il arrête de l'aimer et reconstruise sa vie.

- J'ai quelque chose à t'annoncer.

Je lui lance un regard interrogateur et ses lèvres s'étirent dans un grand sourire.

- J'ai trouvé un boulot.

- Quoi ?

- Oui, acquiesce-t-il. Comme informaticien dans une boite au centre-ville. Il est temps que mon diplôme serve à quelque chose ! Je commence lundi. C'est assez bien payé et je... hum...

J'arque un sourcil en lui faisant signe de continuer. Il jette un rapide coup d'œil vers moi.

- Je me demandais si tu voudrais revenir vivre chez moi ?

J'écarquille les yeux de surprise. J'avoue que celle-là, je m'y attendais pas. Revivre chez mon père ? Quand j'ai pris mon appartement en ville, deux ans plus tôt, c'était bien pour ne plus avoir à vivre chez lui. Lui, de son côté, avait eu l'air plus qu'heureux de se débarrasser de moi. Et là, aujourd'hui, ma vie prends un nouveau tournant. Je repars du bon pied et aller vivre chez lui serait... ce serait comme un retour en arrière.

- Ne réponds pas tout de suite, reprends-il devant mon mutisme. Je sais que... que c'est compliqué. Dire que j'ai été un père minable, c'est en-dessous de la réalité. La vérité, c'est que tu devrais me détester. Ta mère as disjoncté il y a des années. Et quand elle est partie en prison... c'est moi qui ai disjoncté. Je l'aimais vraiment, tu sais ? Je savais que tout n'allait pas bien dans sa tête, mais je croyais vraiment qu'on pourrait fonder la famille dont nous avions toujours rêvée. Quand elle est rentrée couverte de sang, ce jour-là... tout est parti à l'eau. Nos rêves, nos plans pour l'avenir, notre famille... notre amour. Et ça a été très dur. J'ai pas su encaisser comme j'aurais dû le faire et il ne passe pas un jour sans que je le regrette.

Il ne me regarde pas, ses yeux concentrées sur la route devant lui. J'ouvre la bouche pour dire quelque chose mais il m'interrompt d'un geste. Il reprends :

- Quand tu as eu ton... accident, j'ai réalisé subitement tout ce que je risquais de perdre si tu disparaissais. Et je ne voulais pas de ça. Je devais arrêter de vivre pour cet avenir déjà mort et me concentrer sur un autre futur. Avec ma fille. Alors rien ne pardonnera tout ce qu'il c'est passé. Mais maintenant que je vais mieux... que j'ai du travail... je me disais qu'il était peut-être temps de rattraper tout ce qu'on a perdu. Prends ton temps pour répondre. Et... et je ne t'en voudrais pas si tu refuses. Après tout tu es grande à présent. Tu n'as plus besoin de ton vieux père. Je veux au moins que tu saches qu'il y aura toujours une place pour toi dans ma maison.

Il me jette un rapide regard et je peux remarquer une unique larme couler le long de sa joue. Moi-même, j'ai les yeux embués. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas entendu parler autant. Et surtout, ça fait des années que j'attends qu'il prononce ces phrases. Trop d'années. Je ne sais pas quoi répondre à ça, alors je lui adresse un léger sourire.

- Ok.

De prime abord, ça peut sembler froid. Mais au sourire qu'il me renvoie, je vois qu'il a compris. Je ne peux pas lui dire oui ou non. Mais j'y réfléchirais.

...

Hey Hey 😉

Comment vous allez ?
Alors je crois qu'il est bien temps de faire un petit débrief sur ce début. Qu'en avez vous pensé ? Je sais, vous allez me dire que ça manque d'action, ce à quoi je répondrais : Vrai, mais c'est le temps de tout mettre en place. Je vous rassure, ça va très vite s'améliorer 😜😋

Bises à vous, merci de me soutenir sur ce deuxième tome. Vous êtes géniaux 🤩❤

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