Chapitre 12 : Vérité (2)
- On n'a pas kidnappé une fille. On t'a kidnappée, toi.
Minute, quoi ? J'en reste bouche bée. Je dévisage John en attendant qu'il me dise que tout est faux, que c'est une bonne blague et que je suis trop naïve. Pourtant, il secoue la tête.
- C'est la vérité, Annie. Ça a duré bien un mois. Tu es allé dans la supérette en bas de chez toi pour faire des courses pour ta mère. Tu devais lui rendre visite l'après-midi. Puis Tyron est arrivé. Il...
- On peut pas commencer par le début ? L'interrompt James.
Je revois défiler dans ma tête les bribes de souvenirs que j'avais eues en entrant dans la supérette. Le sang, la peur, les cris... ça s'était réellement passé. John se tourne vers lui en fronçant les sourcils.
- C'est le début.
- Non, je veux dire, le début pour mon frère et moi. Notre vie, notre enfance, nos parents... ce qui nous a amenés là.
- Je m'en fous de ça, je le coupe un peu brutalement. Je veux savoir ce qui s'est passé.
James se frotte le visage. Ses yeux sont embués et il semble vraiment vivre très mal mon ton sec et dur. Il me regarde.
- Je dois absolument commencer par là. Tu as... avec le temps, tu as réussi à nous voir autrement que les bandits que tu voyais en nous au départ. Tu as réussi à m'apprécier et à... à aimer mon frère. Tu l'aimais, Morgane. Je ne veux pas que tout ça tombe à l'eau.
Je voudrais lui dire que c'est trop tard et que tout est déjà parti à l'eau. Néanmoins, je me tais, trop confuse. Alors j'ai été prise en otage ? Et je suis tombée amoureuse de mon kidnappeur. #syndromedeStockholmbonjour. Je n'en reviens pas. Comment j'ai pu vivre tout ça ? Et surtout, comment tout le monde a pu me dire qu'il ne s'était rien passé ?
- Mais... ma psy... les docteurs... mes profs... personne n'a jamais évoqué ça...
- Ta psy a donné l'ordre de ne rien dire devant toi, de faire comme s'il ne s'était rien passé, explique John. Elle a estimé que ce qui était arrivé était particulièrement traumatisant et qu'il serait plus facile d'aller de l'avant sans avoir ces souvenirs. Le mot a été donné à toutes tes connaissances.
Jamais je n'aurais pu imaginer que tous mes proches m'ont menti ces six derniers mois, encore moins sur quelque chose d'aussi important que ça. Je frotte mon visage, incapable de réfléchir correctement. Alors, plutôt que d'essayer d'analyser tout ça, je reporte mon attention sur James.
- OK, vas-y. Raconte-moi ton histoire.
La tête entre les mains, je l'écoute commencer. Il me raconte d'où il vient, il me parle de sa mère irlandaise, de son père criminel puis de la mort de ce dernier. Ensuite, il me raconte la naissance de Thomas avec son bâtard de père, puis leur départ en France et toutes les péripéties qui ont suivi. Il enchaîne sur leur enfance plus que particulière et ce qui a finalement entrainé Thomas à tuer son père après que ce dernier ait assassiné leur mère.
J'écoute avec attention. Tout ça est digne d'un film, mais je ne savais pas que des gens vivent ce genre de choses dans la vie réelle. Au final, le but de James est atteint puisque, quand il en arrive au kidnapping, j'éprouve plus de compassion que de colère envers eux deux.
- J'ai pris un coup de couteau dans le ventre pendant un petit vol. Nous n'avions plus rien à manger et j'avais impérativement besoin de médicaments. Tyron est parti alors que j'étais inconscient, sans aucune préparation. La vérité est qu'il était terrifié de devoir faire ça seul sans le moindre plan. Le hasard a voulu qu'il déboule dans la supérette où tu étais à ce moment-là. Et il y a eu un accident il a...
- Il a tué la caissière, je souffle.
Les deux garçons me fixent avec un regard surpris. Je me rappelle d'où venait ce sang. Et je crois que je préfères ne pas le savoir.
- Donc je suis tombée amoureuse d'un meurtrier ? C'est ça ? Comment c'est possible, putain ?
- Oui, c'est ça. Quant au pourquoi, c'est simplement parce que tu as compris. Tu as compris qu'il n'a jamais voulu tuer personne. Il a tué son père pour défendre notre mère. Il a tiré sur cette vendeuse pour me sauver, car sinon, je serais mort dans cette cabane. Et crois-moi bien quand je te dis qu'il est hanté par ce qu'il a dû faire pour survivre. Il n'est pas fier de tout ça. Seulement... il fallait le faire, il n'avait pas le choix
John détourne les yeux. J'imagine qu'il doit se dire que si, il y avait d'autres moyens de faire qui n'impliquait ni violence ni meurtre et sans doute la police. Cependant, il ne dit rien et James continue :
- Il est revenu à notre plaque avec toi en bagage. Tu m'as sauvé la vie. Plusieurs fois. Il a fallu qu'on se montre agressifs, violents, indifférents à ton sort. Tu étais... juste terrifiée. Nous aussi, mais nous ne devions pas te le montrer. On ne savait pas quoi faire de toi. On ne savait pas comment notre futur allait être... on ne savait même pas si on avait le moindre futur.
Et il enchaine la suite de notre histoire. La cabane, le parking puis l'hôtel. Il me raconte toutes mes tentatives de fuites, tout ce qu'ils m'ont fait subir, tout ce que j'ai fait pour eux. Plus il parle, plus je vois le visage de John se décomposer. J'en déduis vite que ça en cache quelque chose. J'interrompis James alors qu'il raconte le repérage de la bijouterie :
- Alors je suis allée te laisser un message dans la bijouterie, je conclus. Qu'est-ce que tu as fait ?
Je reporte mon attention sur lui. Il lève les yeux, souffle puis lâche :
- Sans doute la plus grosse erreur de ma vie
- Qu'est-ce que tu as fait... ? Je répète d'une voix inquiète.
Son visage est pâle et son regard fuyant quand il m'annonce d'un ton tremblant :
- J'ai demandé à Ryder de te retrouver.
Je cligne plusieurs fois des yeux en cherchant à savoir s'il a bien dit ce que j'ai cru entendre. Son regard triste ne me trompe pas. Il dit vrai. J'accuse difficilement le coup. Ma gorge se serre et mes mains tremblent légèrement. Je le dévisage d'un œil nouveau.
- Tu as demandé...
- Mais comprends-moi, merde !
Il se lève d'un coup en envoyant valser sa chaise, ses poings tapants sur la table. Je me fige devant ce subit éclat de colère. C'est moi qui devrais être furieuse, pas lui ! Pourtant, il m'en laisse pas le temps et pointe un doigt accusateur vers moi.
- Tu m'en as déjà tellement voulu ! Tu m'en as voulu pendant tout ça, et après alors que j'ai tout fait pour me faire pardonner... et puis tu as eu ton accident... Tu imagines ? J'étais hanté par cette idée que tu allais peut-être mourir en me détestant ! Les six mois que tu as passés dans le coma, je les ai passés à regretter et à me haïr. J'en ai assez. Tu as oublié et c'était tellement bien, tu m'as tout pardonné sans même le savoir. Je ne veux pas que tu me haïsses à nouveau.
Mon cœur se serre. À la fois parce que je sais qu'il est sincère et qu'il s'en ai vraiment voulu tout ce temps et parce que, malgré tout, ça ne pardonne pas cette simple phrase : « J'ai demandé à Ryder de te retrouver ». Et aussi car je comprends que ses motivations ne sont pas aussi bonnes qu'il le disait. Devant le silence qui s'éternise, je finis par relever les yeux vers lui.
- Pourquoi ?
J'ai beau tourner et retourner le problème dans ma tête, je ne vois pas comment il a pu en arriver à une telle solution. Il est le mieux placé pour savoir que tout est préférable que de relancer ce prédateur sur mes pas. Il baisse les yeux.
- Tu as disparu du jour au lendemain. La police est venue me voir en me disant que tu avais été prise en otage par de dangereux criminels, que tu étais peut-être déjà morte et qu'ils n'avaient pas la moindre foutue idée d'où tu te trouvais ! Il fallait que je fasse quelque chose.
- Mais pourquoi lui ? Pourquoi Ryder ?
- Parce que c'était un flic. Et ça me coûte de le dire, mais c'était même un putain de bon flic, un des meilleurs. Et je savais qu'il ferait tout pour... pour te sortir des mains de ces criminels. Je ne pensais pas que...
Il frémit et laisse sa phrase en suspens. Alors que je suis en train de réfléchir à tout ce qui a bien pu se passer après, une évidence me saute à l'esprit et me donne un coup à la poitrine. J'en ai le souffle coupé quelques secondes puis dévisage John d'un air ahuri.
- Est-ce que... est-ce que c'est moi qui ai tué Ryder ?
Il hésite une seconde puis acquiesce d'un mouvement de tête. Oh, mon dieu. J'expire un long coup en fermant les yeux. Sous mes rétines s'imprime une unique image : j'appuie sur la gachette d'une arme à feu, une horrible douleur dans le ventre. Bordel. Je ne comprends plus rien. J'ai besoin d'avoir la suite logique des choses. Mettant tout de côté, je me recentre sur James.
- Continue. Il s'est passé quoi après ?
Et il enchaine avec l'arrivée de John et Ryder à l'hôtel, la scène sur ce parking où j'en ai été réduite à jouer leur complice, puis le bunker et notre vie là-bas. Au fur et à mesure qu'il parle, c'est comme si un barrage cède dans mon esprit en libérant un flot de souvenirs. Pas encore la totale et pas assez pour tout comprendre, mais suffisamment pour savoir que James ne me ment pas. Les minutes passent sans que plus personne ne coupe le bandit. La tête entre les mains et les yeux fermés, je l'écoute en essayant d'assimiler tout ce qui me tombe dessus d'un coup.
Dix minutes passent. Puis vingt. C'est presque une heure qui s'écoule quand James en arrive à la fin.
- On vivait là-bas avec notre bande d'amis. C'était un endroit vraiment plaisant, à l'abri, mais... tu n'étais pas à ta place. Tu étais sur le point d'exploser. Nous le savions tous. Tyron aussi, même s'il refusait de l'admettre. Quand c'est finalement arrivé, ça l'a détruit. Il se voilait la face et il a pris la vérité de plein fouet. Alors il... Il t'a conduit loin de la maison. Là, il a appelé les flics pour se rendre. Il était sur le point d'être emmené en prison quand... quand tu as été percutée par une voiture de police en voulant le rejoindre. Tu es allée à l'hôpital, Tyron est allé en prison et John et moi avons emménagé ici. La suite, tu la connais.
Il finit son verre d'une traite. Depuis qu'on a évoqué Ryder, la seule participation de John a été de nous servir à boire et notamment à James, qui parle beaucoup. Je reste silencieuse une longue minute sans quitter ma position. J'ai l'impression que ma tête va exploser. Nul doute que, si ma psy était là, elle m'aurait dit d'entendre la vérité petit à petit afin de ne pas surcharger mon esprit. Mais là, j'ai tout pris d'un coup et j'en reste assommée. Presque quatre minutes de silence total s'écoulent avant que je ne redresse la tête.
- Quelle histoire de dingue...
James hausse les épaules, l'air de dire que dans sa vie, c'est juste normal. Les deux garçons ne parlent plus, me laissant prendre le temps dont j'ai besoin.
- J'ai vraiment tué Ryder. Il est mort.
- Oui, confirme James. Ce qui nous amène à notre problème actuel. Je suppose qu'il t'a recontactée hier soir, c'est ça ? Il t'a tout raconté sur moi...
Je secoue la tête. Essayant de reprendre pied dans la réalité, j'attrape mon portable posé sur la table. Je fouille une seconde dedans et ressors la vidéo envoyée, puis lance l'appareil à James. Il le réceptionne et démarre la vidéo. Deux secondes plus tard, il pousse un juron.
- Les caméras de surveillance ! Je croyais les avoir toutes coupées.
- Pas toutes apparemment, je constate.
Il acquiesce, visiblement ébranlé. À mon avis, il pensait que toute cette histoire était derrière lui. Hélas, le passé nous rattrape toujours, aujourd'hui en estla preuve.
- Qu'est-ce qu'on fait alors ? questionné-je.
Je ne vais pas laisser James aller en prison. Il a tant insisté dans son récit sur leur bonne volonté, leur réticence à être violent, leurs regrets que je ne peux pas me permettre ça. Sans parler des souvenirs qui me reviennent en tête et qui m'incitent sur cette voix. Les garçons échangent un regard et le silence s'installe à nouveau tandis que chacun cherche une solution. Seulement, personne ne semble en trouver. Au bout d'un moment, James relève la tête.
- Je ne vois qu'une chose à faire.
D'un mouvement de tête, je lui fais signe de développer.
- Qui que ce soit derrière ces lettres, il a forcément un rapport avec Ryder. Il y a trop d'indices pour nous mener à lui. Donc d'une manière ou d'une autre, cette enflure a donné des consignes à quelqu'un avant sa mort. Il avait calculé un coup de plus dans le jeu.
- Et ta solution miracle, c'est quoi ?
- Aller voir le seul qui a jamais réussi à avoir un coup d'avance sur Ryder. Aller en prison... voir Tyron.
Un frisson me parcourt l'échine. Aller revoir celui que j'ai aimé pendant quelques semaines avant de l'oublier complètement. Est-ce qu'il éprouve encore des choses pour moi ? Est-ce que moi... j'ai encore des restes d'amour pour lui ? Pour le moment, son nom ne m'évoque rien. Aucun papillon dans le ventre. Aucune excitation. Aucun palpitement. Quand je pense à lui, je ne ressens qu'un certain malaise et pas mal de compassion. Il faut être claire : je n'éprouve rien pour lui. Et peut-être est-ce mieux ainsi. Si j'avais réellement le syndrome de Stockholm, il vaut mieux que j'en sois débarrassée.
Néanmoins, je sais que James a raison. Il faut aller le voir en prison et, avec un peu de chance, il trouvera une solution. Et puis, j'avoue que je suis assez curieuse de le revoir en face. Alors j'acquiesce en jetant un coup d'œil à ma montre.
- Les visites ferment à quelle heure aujourd'hui ?
- Dix-sept heures, répond James du tac au tac.
- Tu pourrais nous trouver des permis de visites d'ici là ?
Il réfléchit une seconde, mais je sais qu'il est plein de ressources. Il trouvera. Entre son permis de visite permanent à lui, le job de John à la police, ma psy qui pourrait bien décréter que c'est essentiel à mon rétablissement et les billets qu'il pouvait sortir à tout moment pour accélérer le processus, il trouvera. Comme s'il en vient à la même conclusion, il hoche la tête.
- Je vais faire mon possible.
- Merci. Je vais me reposer un peu, préviens-moi dès que tu as quelque chose.
Je me lève, chancèle légèrement en vue de mon état de fatigue et me dirige vers ma chambre. Mais je suis vite interrompue par John qui, malgré ses blessures, se précipite vers moi.
- Attends !
Je me tourne vers lui et arque un sourcil.
- Est-ce que... tu m'en veux ? gémit-il.
- De quoi pourrais-je bien t'en vouloir ? Ce n'est pas comme si tu m'avais trahie, détruite, que tu avais appelé mon pire cauchemar et que j'ai vécu l'enfer à cause de lui, que tu as refusé de faire des choses illégales pour moi, mais que tu as accepté pour un mec que tu connaissais à peine ou encore que tu m'eusses menti ces derniers mois en me cachant tout ça.
Son visage se décompose devant moi et j'en éprouve une seconde de la pitié. C'est avant qu'il ne s'exclame :
- Tous ces souvenirs sont trop douloureux. C'est pour ton bien que...
- Faux ! hurlé-je en lui lançant un regard furieux. C'était purement égoïste, pour ne pas que je te haïsse à nouveau ! Et tu sais quoi ? Tu avais raison. Je te déteste !
...
Hey hey ! Voilà un nouveau chapitre lourd en révélation pour Morgane... et un prochain chapitre qui promet une discussion intéressante.😏
Qu'en avez-vous pensé ? De la réaction face à John ?
Du fait qu'ils lui avouent (enfin) la vérité ?
De la suite ?
Grosses bizes à vous !😘
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