Chapitre 10 : Vérité
Je passe le reste de la nuit dans la salle d'attente, à patienter pour avoir des nouvelles. James est assis en face de moi mais je n'échange pas le moindre mot avec lui et il respecte mon silence. Parfois, il se redresse et ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais se ravise aussitôt. Vers neuf heures du matin, un médecin arrive. Il a l'air fatigué - je suppose qu'il n'a pas dormi de la nuit non plus- mais son visage serein me rassure.
- Son état est stable. Il a quelques gros hématomes, le nez a été pas mal touché et il a une légère contusion pulmonaire. Vous avez bien fait de venir. Il doit passer encore quelques examens, mais il pourra sortir dans la journée s'ils n'indiquent rien d'inquiétant. Vous voulez le voir ?
Pour moi, rien que les mots « contusion pulmonaire » indiquent quelque chose d'inquiétant, mais je me retiens de le lui dire. J'acquiesce et nous lui emboitons le pas jusque dans la chambre d'hôpital, où il nous laisse. John est allongé sur un lit, couvert d'un drap blanc. Il a un bel œil au beurre noir, un énorme bleu sur la joue et je vois la trace d'un autre coup sur son épaule. Pourtant, quand il nous voit, il nous adresse un large sourire. Je veux me précipiter vers lui mais je suis devancée par James, qui est déjà à son chevet. Je reste en retrait tandis qu'ils échangent des mots bas et un baiser. Puis, après quelques minutes, James se redresse pour me laisser passer. Je pince les lèvres.
- Je peux lui parler en privé ?
Je vois la tristesse dans son regard. Pourtant, il hoche la tête et n'essaie pas de m'en empêcher. Il serre la main de John puis va attendre dans le couloir. Dès que la porte est fermée, j'accours vers mon meilleur ami et m'assois sur le bord de son lit. Je touche l'hématome sur sa joue du bout des doigts.
- Comment tu te sens ?
- Physiquement, ça va.
Je vois la douleur dans ses yeux, une douleur qui n'a rien à voir avec des blessures physiques. Ses agresseurs ne lui ont pas seulement fait quelques bleus, ils l'ont atteint jusqu'au plus profond de son cœur. Il semble au bord des larmes. Je secoue la tête en caressant sa joue.
- Ses types étaient des sales cons. Ne te laisse pas...
- Pourquoi ? m'interrompt-il dans un sanglot. Pourquoi, Morgane ? Tout ce que j'ai fait c'est... c'est aimer quelqu'un. Pourquoi ils ont fait ça... ? Tout ça parce que je...
Il lâche quelques larmes et mon cœur se serre. Je n'ai que rarement vu John dans un tel état. D'ordinaire, rien ne l'atteint et c'est d'ailleurs ce qui ferait de lui un si bon flic. Je souffle un long coup. J'aimerais lui donner une explication rationnelle, mais je n'en trouve aucune. Parce que non, malgré tout ce qu'on dit, il n'y a aucune excuse à une telle haine gratuite. Rien ne pardonne ça.
- Hé, tu n'as rien fait de mal, je proteste d'une voix forte, bien qu'hésitante. Ce genre de type a... ils ont besoin de la violence pour se sentir bien. Un jour... un jour, les mentalités finiront par évoluer. Tout le monde apprendra que l'amour, c'est l'amour. Peu importe avec qui, comment et où. C'est ce qu'il y a de plus beau, de plus pur et sous prétexte que c'est entre deux hommes, ça en devient sale ? C'est faux. Cet amour que vous partagez tous les deux... c'est magnifique. Vous ne devez perdre ça pour rien au monde. Un jour... Un jour, le monde évoluera.
- Quand... ?
Je secoue la tête en lâchant quelques larmes à mon tour. Nous restons ainsi quelques minutes, à pleurer sur la déchéance de notre monde. Puis, au bout d'un moment, je sèche ses larmes du bout des doigts et lui lance un regard grave. Je ne peux pas éviter le sujet plus longtemps.
- John, tu te rappelles ce jour où j'étais à l'hôpital suite à mon accident d'escalade ? Où tu as essayé de me convaincre de ne plus approcher Ryder ? Qu'il était dangereux ?
Il acquiesce, l'air de ne pas vraiment savoir où je veux en venir. Je serre sa main très fort. Aujourd'hui, les rôles sont inversés.
- Alors tu vas comprendre ce que je te dis. Il faut... Il faut que tu me fasses confiance. James n'est pas celui qu'il laisse paraitre. Il est dangereux.
John ouvre de grands yeux surpris en me fixant. Je prends une longue inspiration et hoche la tête.
- Je sais que tu vas trouver ça dingue, mais c'est... c'est un criminel. Hier soir il... il avait une arme à feu dans son sac. Il a failli tuer des gens ! Et il a kidnappé quelqu'un il y a un an, il a volé et a vandalisé un commissariat ! Tu ne sais pas tout de lui il est... il est activement recherché par les flics.
Il me dévisage avec de grands yeux. Puis il ferme un instant les paupières avant de reporter son attention sur moi.
- Comment tu sais ça ?
- Hier... hier soir, j'ai reçu un appel. De Ryder. Il m'a montré une vidéo de James au commissariat. Je sais que c'est lui, il l'a avoué ! Et il a une arme à feu putain ! Il est dangereux !
John me saisit les deux mains en se redressant.
- Hé, Morgane. Calme-toi. Je t'en prie, il faut que tu te calmes
Quelque chose cloche. Pourquoi est-il si serein ? Pourquoi me dit-il de me calmer alors qu'il devrait être encore plus inquiet que moi ? Soudain, je comprends l'évidence. J'écarquille les yeux et enlève mes mains des siennes en me redressant.
- Tu savais, chuchoté-je. Tu étais au courant.
- Écoute Morgane, c'est un peu compliqué...
- Tu étais au courant ! C'est un criminel ! Tu... tu refuses de voler des bonbons avec moi pour pas compromettre ta carrière chez les flics, alors que tu es complice avec un criminel ! J'hallucine !
Il penche la tête en arrière et souffle un long coup. Je me lève, incapable de rester immobile plus longtemps. Je marche de long en large dans la pièce, avant de m'arrêter et de le fusiller du regard.
- Et tu ne m'as rien dit ! Tout ce temps, tu m'as fais vivre chez un criminel avec... tout ce qu'il a payé, c'est avec de l'argent volé ! Tu m'as rendue complice sans le vouloir ! Tu...
- Morgane, me coupe-t-il. Va chercher James.
Je me stoppe dans ma lancée et lui adresse un regard outré. Pourtant, il soutient mon regard et hoche la tête.
- Va le chercher. S'il te plaît.
Énervée, j'avance vers la porte et l'ouvre d'un coup sec. L'intéressé est juste derrière, adossé contre le mur l'air soucieux. D'un geste de la tête, je lui fais signe d'entrer. John se redresse en position assise.
- James, appelle un taxi. On rentre.
- Non, protesta-t-il. Tu dois encore passer des examens et...
- On rentre. Je vais bien. Il... Il faut tout lui dire.
« Tout » ? Il y adonc tant de choses que ça que je ne sais pas ? James semble comprendre la gravité de la situation puisqu'il aide John à se lever, débranche une aiguille plantée dans son bras et l'aide à se rhabiller. Moi je reste dans un coin, figée. Je n'ai aucune envie de rentrer. Mais d'un autre côté, je veux savoir dans quoi John s'est embarqué et surtout, comment le sortir de là.
Je n'oublierais jamais que, à l'époque, il avait tout fait pour me protéger de Ryder. Pendant près de cinq ans, il n'a pas arrêté de m'avertir, d'essayer de me remettre les pieds sur terre et de me séparer de lui. Je ne l'avais pas écouté, follement amoureuse de Ryder comme je l'étais. Je ne le laisserais pas faire la même erreur que moi et tomber dans les bras de la mauvaise personne. Je suis même prête à l'enfermer quelque part s'il le faut.
James appelle un taxi et je finis d'aider John.
- Tu peux marcher ?
- Ouais, ça va. J'ai juste un peu mal à la poitrine.
À en voir son visage, il a plus « qu'un peu mal ». Néanmoins, je ne dis rien et me glisse sous un de ses bras pour l'aider à avancer. Dès que James finit son coup de fil, il vient vers nous et se place sous l'autre bras de John. Ma poitrine se serre, mais je ne dis rien. Tandis que nous sortons de la chambre et avançons dans le couloir, James nous adresse un petit regard.
- Ils vont nous laisser sortir ?
- On ne va pas leur poser la question, rétorque John.
Et effectivement, nous n'attendons pas la permission. Nous nous engageons dans l'ascenseur puis traversons le hall d'entrée sans ralentir. Et, bizarrement, personne ne nous retient. Après ça, le trajet en taxi se fait dans un silence des plus total. Un silence plein de non-dits et de mensonges. Pendant un instant, je songe à appeler la police pour dénoncer James mais, en le regardant main dans la main avec John, j'oublie vite cette idée. Avant que je ne pense qu'il est un dangereux criminel, j'appréciais beaucoup James. Il mérite que je le laisse au moins s'expliquer. Car au fond, je sais qu'il n'a rien à voir avec Ryder.
Une dizaine de minutes plus tard, nous sommes dans l'appartement. Je m'assieds sur une chaise, épuisée. Je n'ai quasiment pas dormi de la nuit et les récents évènements ont fini de détruire mes stocks d'énergie. John se tourne vers moi.
- Tu veux à boire ? Un café, un thé...
- Abrège, John. Je ne veux pas rester plus de temps que nécessaire dans l'appartement d'un criminel. Dis-moi, James, tu volé combien de personnes afin de te l'acheter ?
James baisse les yeux comme un petit garçon fautif tandis que le regard de John se durcit. Pendant une seconde, j'ai l'impression qu'il est en colère contre moi. James finit par croiser mon regard :
- S'il te plaît, ne me juge pas trop vite. Tu es loin de tout savoir... tu as tant oublié !
- Oublié ? Oublié quoi ?
Les deux garçons s'assoient de l'autre côté de la table en échangeant un petit regard. Je me redresse vivement, le cœur battant.
- Vous parlez de mon amnésie ? Il s'est passé des évènements importants que j'ai oubliés ?
Depuis que je me suis réveillée, on ne cesse de me dire que les mois avant mon accident étaient d'une banalité affligeante. Mon médecin, ma psy, mes amis, mon père... tous s'accordaient à dire que je n'avais rien oublié d'exceptionnel. Et pourtant, John m'adresse un petit sourire triste.
- Tu as oublié tellement de choses, Annie. Tu as oublié beaucoup de douleur, de tristesse, de colère... mais aussi tellement de joie et d'amour. La vérité, c'est que ce qui s'est passé avant ton accident aurait dû changer ta vie à jamais.
- Quoi ? Mais qu'est-ce que vous racontez ? Qu'est-ce qui a bien pus se passer de si important ?
Les deux amants échangent un nouveau regard plein de sens. Finalement, John fait un signe de tête et c'est James qui commence, d'un ton prudent, comme s'il est sur le point de dégoupiller une grenade :
- Tu te souviens de mon frère, Morgane ?
- Celui qui est en prison ? Hum... Thomas, c'est ça ?
- C'est ça. Tu sais pourquoi il est en prison ?
Je fouille une seconde dans mes souvenirs. J'essaie de me rappeler s'il l'a déjà évoqué mais, la seule fois où il m'a parlé de son frère, c'était pour m'apprendre qu'il était enfermé. Excepté cette fois aussi où, bien sûr, il est venu me voir en personne à la sortie de l'hôpital. Ce type m'a paru sacrément étrange et un peu au bord du trou. Quand James m'a appris, quelques mois plus tard, qu'il était en prison, j'en ai déduit qu'il a fini par sombrer dans le trou.
Je secoue la tête en caressant machinalement le bracelet qui ne quitte plus mon poignet depuis des mois, orné d'un petit soleil taillé dans le bois. Ce jour-là, Thomas m'avait interrogée sur ce bracelet et aujourd'hui encore, je ne sais pas pourquoi j'y attache autant d'importance. Petit juste pour son côté esthétique.
- Non, je finis par dire. Je ne sais pas.
- Pour meurtre. Pour vol, braquage et surtout, pour kidnapping.
Je me rappelle l'article que j'ai lu la veille et je pousse une exclamation de stupeur :
- Thomas M ! C'est lui ! Tu étais le complice de ton frère ! Vous avez fait tout ça ensemble !
Je m'en veux de ne pas avoir fait le lien plus tôt. Tout ça est bien trop logique pour ne pas y avoir pensé ! Pour ma défense, j'étais alcoolisée hier. Je lance un regard grave à James en essayant de respirer calmement, tandis que l'horrible évidence jaillis dans mon crâne.
- Tu es en train de me dire droit dans les yeux que toi et ton frère avez cambriolé une banque, tué des gens et kidnappé une fille ?
- Non, Morgane.
J'aurais aimé ma satisfaire de cette réponse. Peut-être que je l'aurais fait, si James n'avait pas continué dans sa lancée :
- On n'a pas kidnappé une fille. On t'a kidnappée, toi.
***
Tint-tin-tin ! (imaginez moi comme le petit singe dans les Croods... Quoi, vous n'avez jamais vu les Croods ? Faîtes le immédiatement !)
Que de révélations pour Morgane, et c'est loin d'être finis ! Quand la vérité se dévoile, c'est jamais agréable. Qu'avez-vous pensé du chapitre ?
A bientôt pour la suite !
Biz.
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