Épilogue...

- Détenu 7342, contre le mur, bras dans le dos.

Avec un soupir, j'obéis et me plaçai contre le mur du fond comme je le faisais tous les matins depuis bientôt six mois. Six putains de mois enfermé, qui n'étaient que les premiers d'une longue série. Le jugement n'était pas encore tombé, mais je ne pouvais que savoir qu'il allait être douloureux. Très douloureux. J'avais discuté avec un avocat. J'avais plaidé coupable. J'avais fait des aveux. En réalité, je m'étais moi-même enterré.

L'avantage était que presque personne ne m'attendait dehors. Il y avait James, bien sûr, mais il menait une belle vie avec son copain. Il était la seule personne que j'avais, avant Morgane. Morgane... Rien qu'à cette pensée, mon cur se serra.

Ses cheveux roux. Son rire. Ses injures. Son corps. Ses yeux. Tout me manquait tellement chez elle. Ça c'était passé très vite entre nous, que ni l'un ni l'autre n'y étions prêts. Mais je savais qu'il ne pouvait en être autrement. Quelque part en dessous de notre peau, au cur de nos entrailles, nous étions reliés. Il ne pouvait en être autrement. Tout avait toujours sonné comme une évidence. Notre amour était pur. Vrai. Mais hélas, impossible.

Cela faisait six mois que je ne ressentais plus ce lien entre nous. Six mois que, je le savais, elle n'avait pas ouvert les yeux. Six mois qu'elle n'avait pas bougé le moindre orteil. Six moi qu'elle était dans le coma, enfermée dans sa tête comme elle ne l'avait jamais été. J'avais tout fait pour la sauver. Pour l'empêcher d'aller droit dans le mur où je l'avais conduite. Au final, je n'ai fait qu'accélérer sa chute.

- Tu as de la visite, m'informa le garde en fermant les menottes sur mes poignets. Tu as le droit à dix minutes.

Je fronçai les sourcils. Qui pouvait donc bien me rendre visite ? James, sans aucun doute. Ou alors est-ce que.... Mon cur loupa un battement. Morgane s'était-elle réveillée ? On lui avait appris où j'étais, et elle venait me voir ? L'excitation me pris. À chaque fois que je recevais de la visite, je ne pouvais m'empêcher d'espérer. D'espérer qu'elle allait mieux. Qu'elle était sauvée. Qu'elle pensait à moi. Que sa première réaction soit de venir me voir.

Je suivis le garde avec empressement, et rabattis mes cheveux derrière mon crâne d'un mouvement de la tête. J'étais dans un sale état. Si c'était bien elle, et qu'elle me trouvait trop différent ? La prison change un homme, c'est bien connu. Si elle venait couper les ponts avec moi ?

Mon excitation était à son comble quand nous arrivâmes devant la porte. J'avais l'impression d'avoir retrouvé toute la vivacité perdue ces six derniers mois. Un garde ouvrit la porte et je m'empressai de chercher une masse de cheveux roux derrière la vitre de protection. Mais il n'y en avait aucune. Ma tension retomba immédiatement. Le garde me désigna un siège, et je fronçai les sourcils. Quelle ne fut pas ma déception quand je reconnus Jonathan, de l'autre côté. Que faisait-il là ? Toute ma tension retomba et je m'affalai sur le siège en face de lui.

Il me lança un regard qui exprimait toute sa pitié avant de décrocher le téléphone pour pouvoir me parler. Roulant des yeux, je fis de même :

- Salut Tyron. Ou Thomas si tu préfères.

- Jonathan. Qu'est-ce que tu fais là ? C'est mon frère qui t'envoie ?

- Je viens prendre des nouvelles. Tu survis ? Et James n'a rien à voir avec ça.

Je soupirai. Tous ces faux espoirs pour seulement prendre des nouvelles ? Je n'avais jamais aimé Jonathan. Aujourd'hui, je le détestais pour ne pas être Morgane. Je passai une main dans mes cheveux :

- Je survis, mais je ne sais plus bien grâce à quoi. Est-ce que... Elle va bien ... ?

S'il venait m'annoncer une mauvaise nouvelle, il était certain que je ne tiendrais pas le coup. S'il venait m'apprendre que Morgane ne se réveillerait jamais, je ne le supporterais pas. La prison avait détruit quelque chose en moi. Ce qui me faisait avancer. Aimer. Vivre. J'avais l'impression d'avoir un trou béant à la place du cur, que seule une personne pourrait reboucher. Une personne qui n'était pas là. Je le vis pincer les lèvres, hésiter, et mon cur ne fit qu'un tour :

- Jonathan, grognai-je. Dis-moi tout. Immédiatement.

- Elle s'est réveillée.

Je m'immobilisai, la bouche grande ouverte, et clignai plusieurs fois des yeux. J'étais plus ébahis que si l'on m'avait annoncé que la terre était plate. J'attendais cette phrase depuis six mois. Six mois. Et vu son air sérieux, John ne rigolais pas. Je m'agrippai au téléphone comme à une bouée de sauvetage, perdant tous mes moyens :

- Quoi ... ? Que... Quand ? Elle va bien ? Où est-elle ? La police ne l'a pas...

- Calme-toi, souffla le jeune homme. Elle... Elle est en bonne santé. Elle s'est réveillée il y a une semaine déjà.

- Quoi ? hurlais-je à travers le combiné.

Je n'en revenais pas. Une semaine qu'elle était sortie du coma sans que je ne le sache. Une semaine où je priais chaque minute pour qu'elle s'en sorte. Une longue et dure semaine supplémentaire, où chaque jour était un supplice. Une semaine de plus à rêver d'elle. Très vite, la joie et le soulagement furent remplacés par une pique de déception. Si elle était réveillée depuis une semaine, pourquoi diable n'était-elle pas encore venue me voir ?! John secoua la tête :

- Je sais. Je n'ai pas pu réussir à te rendre visite avant aujourd'hui. Morgane... Elle va quitter l'hôpital demain. Ne me demande pas comment, mais j'ai pu t'obtenir une sortie de prison. Accompagné par les flics bien sûr, et très courte. Tu pourras la voir à la sortie de l'hôpital. Vas-y... doucement avec elle d'accord ?

Je restai bouche bée, le moindre son incapable de sortir de mes lèvres. Un torrent d'ondes positives sembla s'abattre sur moi. Morgane allait bien. J'allais sortir quelques minutes hors de ce trou. Et j'allais la voir. Je clignai plusieurs fois des yeux, hébété.

- Pourquoi ? réussi-je à formuler.

- Je le fais pour elle, pas pour toi. Rien n'effacera tout ce que tu lui as fait subir. Je continue à penser que tu as ta place dans cette prison. Rien qu'une ordure parmi les ordures.

Sans un mot de plus, il raccrocha et s'en alla. Je restai immobile sur ma chaise, parcourut par un torrent d'émotions indéchiffrables. J'ignorais comment le jeune homme avait fais pour m'obtenir une sortie de prison, aussi courte soit-elle. J'ignorais comment allait être Morgane face à moi. Voudrait-elle en finir avec moi ? Au contraire continuer à se voir à travers les barreaux ? Une seule chose était sûre : je me sentais plus vivant que jamais.

Le lendemain midi, je me retrouvais ainsi dans un camion blindé, entouré de flics armés, les mains accrochées dans le dos. Pourtant, tout ça était dérisoire. Ce n'était rien à côté de ce qui allai arriver. J'allais la revoir. Je n'avais pas fermé l'il de la nuit. Mon cur allait exploser. J'étais à un niveau d'excitation extrême, de même que mon niveau d'anxiété. Le camion s'arrêta et je bondis presque sur mes pieds.

Je sortis, les flics m'entourant. Je regardais autour de moi, profitant du soleil resplendissant. Alors que dans ma cellule, l'hiver ne s'était jamais fini ; ici nous étions en plein été. Nous étions devant l'hôpital, sur le parking presque désert. Mais ma joie de voir l'extérieur fut bien vite troublée. Où était Morgane ?

Ce ne fut que près de l'entrée que j'aperçus une masse de cheveux flamboyants au soleil, revoyant des éclats orangés sur le sol. Elle était seule, avançant dans le parking sur des béquilles. Je jetais un regard implorant aux policiers et l'un d'eux me fit un signe de tête.

- Vas-y. Tu es en joue. Si tu l'approches à moins de dix mètres, on tire sans hésiter.

J'hochai vivement la tête et me précipitai vers elle. Je courais, comme si elle risquais de s'évaporer si je prenais un peu trop de temps. Comme tout bon rêve quand il disparaît.

- Morgane ! hurlais-je avec la folie du désespoir.

Je la vis se retourner vers moi et m'arrêtai dans les dix mètres nous séparant. Je ne sais pas à quoi je m'attendais. À ce qu'elle veuille me sauter dans les bras. À ce qu'elle pleure. Qu'elle parte en courant. Qu'elle me hurle qu'elle me détestait. Tout aurait été mieux que cette absence de réaction.

Elle resta parfaitement immobile en me toisant, sourcils froncés et bouche entrouverte. Je fus frappée par sa beauté que j'avais oublié, perdu au fond de mon trou. Ses yeux verts brillaient avec vivacité, sa bouche appelait à l'excès indécent. Ses cheveux roux étaient pour une fois soigneusement coiffés, et avaient repoussés. Les bandages entourant son crâne et sa béquille ne faisait n'élevaient rien à son charme. Elle était parfaite. Sublime. Magnifique. Et aussi...

- On se connait ? finit-elle par lâcher d'une voix perplexe.

Vous connaissez cette sensation quand, dans un rêve, vous loupez une marche et tombez à la renverse ? Cette sensation de vide, de néant, de peur et de souffrance mêlée, jusqu'à ce que vous en vous réveilliez en sursaut ? C'est exactement ce que je ressentais en ce moment. Seulement, je savais que je tombais, et que plus rien ne m'aiderait à me relever. C'est comme si, avec trois simples mots, elle venait de m'achever. Je n'arrivais plus à respirer. Aucune particule d'air n'arrivait plus à parvenir à mes poumons. Morgane se frotta le visage devant moi, et eut un sourire désolé qui acheva de me détruire :

- Je suis navrée, reprit-elle en souriant naïvement. J'ai eu un accident un soir en revenant de mon université. Les médecins m'ont dit qu'il est possible que j'aie oublié quelques détails de ma vie récente. Ce qui est marrant, puisque je suis hypermnésie. Je n'avais jamais rien oublié.

Elle eu un éclat de rire cristallin en se frottant les mains, de toute évidence gênée. Chaque note de sa voix et de son rire était un pas de plus vers ma chute. Un coup de plus dans mes blessures. Je n'allais pas me relever. Je priais pour qu'elle soit en train de blaguer. Pour que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve. Elle ne pouvait pas m'avoir oublié. Ce qu'on avait vécu, c'était loin d'être un détail, merde ! Ils lui avaient mentis. Elle ne se rappelait rien. Rien de moi. De James. De ce qu'elle avait appris sur sa famille. Elle avait tout oublié.

- Je... répondis-je en essayant de ne pas la secouer pour qu'elle se souvienne de tout. Je suis une vague connaissance. Je venais prendre de.. tes nouvelles.

Ma voix se serra dans ma gorge tandis que je devais lutter pour ne pas fondre en larmes. J'avais envie de hurler au désespoir. De la prendre dans mes bras pour la réveiller. Mais après tout, me murmura une petite voix, c'était mieux ainsi non ? Elle pourrait reprendre une vie normale. Tranquille. En paix. Elle ne souffrira même pas.

- Je vais mieux ! s'exclama-t-elle avec un de ces sourires que je rêvais de retrouver. C'est gentil de t'en inquiéter. Comment tu t'appelles ?

- Je.. heu... Thomas. Enfin tu me connais sous le nom de Tyron.

- Je suis désolé, les médecins disent que je retrouverais peut-être mes souvenirs petit à petit. Je te tiendrais au courant si c'est le cas, Thomas.

J'hochai lentement la tête avec l'impression que mon crâne allait se décrocher de mon corps. Soudain, un détail attira mon attention et je désignai son poignet :

- Qu'est-ce que c'est ?

Je la vis suivre mon regard, et poser les yeux sur le bracelet tissé à son poignet, sur le médaillon en bois. Je cherchais quoi que ce soit à quoi me raccrocher. Morgane caressa le bracelet du bout du doigt puis plissa les yeux avec un air que je lui reconnaissais bien : elle fouillais dans ses souvenirs. Sauf que cette fois, elle ne sembla pas trouvée. Elle papillona des yeux, et finit par hausser les épaules.

- Je ne me rappelle plus bien où il vient mais... je n'ai pas voulu l'enlever. Je le trouve beau, il résonne en moi. Enfin, tu dois trouver ça stupide ... !

Je restais bouche bée, incapable de prononcer un mot. J'aurais tellement aimé tout lui dire. La cruauté de notre mode. La beauté de notre histoire. La pureté de notre amour. Mais rien n'arrivait à sortir d'entre mes lèvres. Aussi, Morgane finit par m'adresser un sourire gêné.

- Il faut que j'y aille, mon meilleur ami m'attends. Heu... Je te recontacte si jamais... je me rappelle de toi, Tyron.

Elle n'avait jamais prononcé mon surnom ainsi. Dénué de toute émotions. Sous mon regard qui devait exprimer toute la détresse de l'enfer, elle tourna les talons et s'en alla en clampinant. Mon visage se figea d'effrois, tandis que ma respiration s'accélérait. Non. Elle ne pouvait pas juste partir comme ça !

- « C'est plus facile de tomber dans la drogue que d'affronter la vie, citais-je d'une voix brisée. Plus facile de piquer ce dont vous avez envie que d'essayer de le gagner, plus facile de battre un enfant que de l'élever. L'amour par contre, ça demande des efforts, du courage. » Tu... tu te souviens de ça ?

Elle s'immobilisa et tout mon corps tendu transpirait l'espoir. Le scénario se déroulait déjà dans ma tête. Elle allait se retourner, tous ses souvenirs remonteront et elle me sautera dans les bras.

Quand elle se retourna, j'arrêtai de respirer. Ses yeux fouillèrent les miens, perplexes, et elle ouvrit la bouche comme si elle venait de se souvenir de quelque chose. Elle cligna plusieurs fois des yeux, hésitante. Puis elle secoua la tête, sembla chasser la pensée qu'elle venait d'avoir. Elle sourit légèrement :

- C'est tiré de Seven non ? Un film avec Morgane Freeman je crois. C'est très drôle.

Il y eut un moment de silence où elle sembla rester perplexe, fouillant dans sa mémoire. Puis je la vis hausser les épaules et me faire un dernier sourire :

- Bonne journée Thomas.

- Bonne journée... j'espère que tu seras heureuse.

Cette fois-ci, elle partit pour de bon, sans que je ne puisse la retenir. Sans que je ne veuille le faire. Sa vie l'appelait. Sa vraie vie. J'espérais qu'elle y trouverait ce dont elle avait besoin. Ce que je n'avais pas pu lui donner. Les larmes coulèrent sur mes joues, silencieuses, tel autant de coups de couteaux dans mon cur, tandis que je ne pouvais lâcher sa silhouette du regard.

- Bonne journée, répétais-je à mi-voix avec le peu de force qu'il me restait.

Les policiers arrivèrent. L'un d'eux m'attrapa par le bras et m'emmena jusqu'au camion. Je n'eus même pas la force de résister, noyé dans ma détresse, et me laissai embarquer vers le sort funeste qui m'étais réservé. Après tout, je ne méritais pas plus.

Ce jour-là, le monde s'était arrêté de tourner. Tout avait perdu son sens et son intérêt. J'aurais voulu mourir. Ou simplement, cesser de vivre. Éteindre le film, et partir me coucher. Je n'avais eu que ce que je méritais. Et elle, la vie qu'elle méritait. Chacun à sa place. Seul notre amour restais perdu dans l'univers, brisé par une vie trop dure pour nous deux.

J'avais tout perdu. Chaque miette de mon corps s'était retrouvée piétiné par cette fille. Cette fille, hypermnésique, exceptionnelle drôle, colérique, brisée. Je n'avais pas réussi à la réparer. Et elle m'avait laissé brisé, encore plus que je ne l'étais avant. Mais la lumière nous avait tous les deux brulé les yeux. Rien ne sera plus jamais comme avant. Je le savais. Sa mémoire était partie. Elle qui n'avait jamais rien oublié, elle m'avait oublié, moi. Alors que jamais je ne l'oublierais, elle.

Sa mémoire était partie en cavale, et la mienne la pourchasserait à jamais.

FIN

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