62 - Les choses changent

- Arrêtez, ça n'a rien de drôle ! Ce type était précoce, il ne lui a fallut que deux minutes avant d'en avoir finis. Bien sûr que j'ai disparus dès le matin, c'était trop gênant ! Vous auriez fait quoi à ma place ?

La tablée éclata de rire et je me cachais le visage dans mes mains, les joues rouges et un sourire idiot aux lèvres. À mes côtés, James me donna un coup de coude dans les côtes, et je poussai un gémissement de douleur.

- Je serais toi, lança t-il, je lui aurais au moins laissé un mot pour lui dire qu'il était le pire coup de toute ma vie.

Je pouffais de rire en secouant la tête. Tout le monde était plié en deux par le récit de mes aventures sexuelles, et ça en devenait plus que gênant. James était assis à ma droite, m'aidant à faire tous les mouvements que je n'étais pas capable de faire moi-même. Trois semaines s'étaient écoulées depuis Ryder. Trois des meilleures semaines de ma vie. Mais comment dire ça ? Les choses avaient changé. Beaucoup changé.

John se trouvais aux côtés de James, un bras placé autour des épaules de ce dernier, le couvant d'un regard mielleux. J'avais oublié de dire que les choses ont changées ? Je savais déjà que John était bisexuel, depuis presque dix ans. Il me racontait toutes ses aventures, à l'époque. Mais de là à relier cette soirée où il a couché avec un mec dans une boîte de nuit à la seule et unique aventure de James, il y avait un pas. Un grand pas, qui m'avait pris du temps à faire.

Ce soir-là, John et James couchaient ensemble. Trois ans plus tard, James et son frère me prenaient en otage. Quelques jours plus tard, John me trahissait et décidais de s'en aller, et encore plus tard, James partais également. Ils se retrouvaient dans le bus. Couchaient à nouveau ensemble sur une aire d'autoroute, avant de découvrir à quel point ils avaient des choses en communs. Moi, par exemple. Comme quoi, le monde était petit. J'ignorais le pourcentage de chance qu'il fallait avoir pour autant de coïncidences. Les deux tourtereaux mettaient ça sur le compte du destin. Deux âmes surs finissent toujours par se retrouver, disent-ils.

John, mon ex-meilleur ami, sortais donc avec James, le frère de mon copain. Ce qui faisait de lui un genre de beau-frère. Or, j'en étais toujours à une étape un peu floue avec lui. Il essayait de se racheter par tous les moyens possible, je le voyais bien. Et je commençais lentement à lui pardonner. Mais, au fond, quand j'étais dans l'incapacité de lever le bras sans hurler de douleur, quand j'étais obligée de demander à ce qu'on ramasse quelque chose pour moi, quand je devais me lever sur mes béquilles et faire du deux à l'heure, je ne pouvais m'empêcher de penser que tout était la faute de John.

Et, quand je voyais la chaise de Tyron à ma gauche qui restais inoccupée, je ne pouvais m'empêcher de le détester.

Le reste de la grande table était occupée par les amis de James et Tyron. Bien qu'ils m'avaient semblés beaucoup plus quand ils étaient venus nous sauver la vie, ils étaient huit. Cinq hommes et trois femmes, entre vingt-cinq et cinquante ans, qui nous avaient sauvés de Ryder. Et ils étaient tous des gens adorables. Je m'étais liée d'amitié avec Lynne, une belle métisse de quarante ans un peu barge, recherchée par la police pour de nombreux vols. Oui, tous étaient des criminels. Voleurs, tueurs, rien de bien glorieux mais pourtant ils faisaient partis des personnes les plus gentilles que je ne connaisse. Nous étions tous recherchés, embarqués dans le même bateau. Et nous formions à présent une grande famille, solide et inarrêtable.

Nous vivions dans une grande bâtisse à la sortie de la ville, perdue au milieu de nulle part. L'endroit était paisible, isolé et agréable à vivre. Et de ces trois semaines passées ici en ressortais que de bonnes choses. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais bien. En sécurité. Entourée de gens superbes. D'amis, qui ne te jugeaient pas mais se contentaient de t'aimer comme telle. Et ça faisait un bien fou.

Bien sûr, ce n'étais pas parfait. J'étais blessée, tout mon corps me faisait encore souffrir le martyr. Il faut dire que Ryder ne m'avais pas loupée, ce jour-là. Le plus douloureux était ce coup de couteau dans le ventre, qui m'avait remuée jusque dans les entrailles. Puis la chute, qui m'avais paru durer un siècle. J'ai vraiment cru mourir. Et, pendant un moment, j'en étais heureuse. Je me sentais enfin libre. Comme un oiseau prenant son envol. Avant, bien sûr, que je ne m'écrase dans les arbres jouxtant l'immeuble. Arbres qui avaient, au passage, ralentis ma chute de près de vingt mètres et ainsi sauvé ma vie.

Je m'étais écrasée sur le sol aux côtés de Ryder. Enfin, de ce qu'il restait de lui. Je lui avais littéralement explosé le crâne. Et je n'en éprouvais aucun remord. Ensuite, je n'avais été que très peu consciente de la suite. On m'avait ramené, en même temps que Tyron jusque-là maison. On nous avait amenés dans une salle chirurgicale. Lynne, une ancienne médecin de guerre, avait essayé de me rafistoler.

Aujourd'hui, j'étais vivante en partie grâce à elle. Je lui devais une fière chandelle. Je me rendis compte que je la fixais seulement quand elle me lança une miette de pain à la figure en me faisant de grands yeux.

- Hé, l'éléphant, tu veux ma photo peut-être ?

- Tu rigoles ? m'exclamais-je. Je préfère encore me casser l'autre jambe que de me taper ta tête !

- Vas-y donne ta jambe, ça peut s'arranger !

Elle pouffa de rire, et je lui renvoyais une miette de pain dessus. Lynne était... elle-même, à deux cents pourcents. Directe, franche, drôle et assez... particulière. C'est ce qui faisait tout son charme. Je grignotais la fin des petit-pois pataugeant dans mon assiette, avant de me lever. Enfin, d'essayer. A peine avais-je esquissé un mouvement que James, John et Lynne sautèrent de leur chaise pour venir m'aider. Je les remerciais d'un sourire et récupérais mes béquilles, avant de saluer l'assemblée d'un signe de tête.

- Je vais aller me reposer. Merci pour le repas mais, pour notre survie à tous, ne laissez plus jamais Jeremy cuisiner.

- Hé oh ma petite ! se défendis l'intéressé, un homme d'une trentaine d'année composé à quatre-vingt-dix-neuf pourcents de muscles. On te demandera ton avis sur ma cuisine quand tu arriveras à faire deux pas toute seule, ok ?

- J'ai hâte de pouvoir te lancer une béquille dans la tête ! répliquais-je sans me retourner.

Je les entendis rire. Je déclinais d'un mouvement de tête la proposition d'aide de John, et clopinais jusque-là sortie de la cuisine, puis le long d'un couloir. J'avançai difficilement et m'arrêtais devant la porte de ma chambre puis la poussais du bout du pied. À l'intérieur, les rideaux étaient encore tirés et tout était sombre. Je posais mes yeux sur le lit, sur le corps allongé dessus, et esquissais un sourire béat en me rapprochant de lui. Rien que d'apercevoir sa silhouette faisait frémir tout mon être.

Il dormait encore. Je savais qu'il en avait besoin, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'aller le réveiller. Si Tyron était convaincu que, à présent, nous avions tout notre temps pour profiter de la vie, j'étais persuadée que c'était faux. Un sixième sens qui me criait de profiter de chaque instant, car le temps passe trop vite. Et que le temps est le plus efficace des meurtriers.

Je posais mes béquilles à terre et grimpai lentement sur le lit. J'avançai jusqu'au bout et me posais à côté de Tyron, prenant un instant pour l'observer dans l'obscurité. Une mèche de cheveux châtains lui tombait devant les yeux et cachais une partie de son visage. Sa bouche était entrouverte, laissant couler un filet de bave le long de son menton. Je souris. Il était loin de ressembler à ces types sur les couvertures des magazines. Mais il était parfait.

Son bras était tendu devant lui, laissant apparaître les nombreuses cicatrices le parcourant. La plupart étaient presque invisibles à présent, certaines étaient plus visibles. La plus récente contrastais avec les autres. Je laissais mon doigts glisser dessus avec délicatesse. Il ne les cachait pas. Il n'en avait pas honte, et c'est ce qui me plaisait.

- Tyron... soufflais-je en le secouant doucement. Tyron... réveille toi.

Il poussa un léger grognement bestial en se retournant, avant de battre plusieurs fois des paupières. Il ouvrit les yeux, et posa ses prunelles sur moi. Je souris de plus belle. Cela faisait près de trois semaines que nous dormions ensemble, dans la même chambre et le même lit. C'était la première fois qu'il n'avais pas comme premier réflexe d'attraper son arme sur sa table de nuit.

- Qu'est-ce qu'il y a ? grogna-t-il encore à moitié dans les vapes.

- Tu bavais sur mon lit.

Il roula des yeux, sa bouche esquissant néanmoins un léger sourire en coin. Le genre de sourire qui aurait fait craquer n'importe qui. Il se redressa légèrement et poussa un petit grognement de douleur. Je grimaçai et indiquai son ventre d'un signe de tête.

- Je peux ?

Il hocha la tête et je me penchai au-dessus de lui. Son torse était nu, seulement couvert d'un bandage entourant ses côtes. Mes doigts glissèrent doucement, redessinant ses muscles, ses abdos, sa carrure. Même au bout de trois semaines, je n'arrivais pas à me lasser de ce que j'avais sous les yeux. Ce beau mâle, rien que pour moi. Et dire que, à cause de nos blessures, j'avais du retenir mes ardeurs pendant trois semaines !
Je m'arrêtais au bord du bandage, et le défis lentement. Je grimaçai en inspectant les dégâts. Ses côtes étaient encore parcourues de bleus, ayant majoritairement tournés au noir sur une grande partie de son ventre.

Sans le quitter des yeux, j'attrapais la pommade sur ma table de nuit et en appliquai du bout des doigts sur son ventre. Je voyais qu'il se retenait de gémir de douleur, les lèvres serrées. Ryder ne l'avais pas loupé non plus. Il lui avait fracturé quatre côtes, et Tyron avait failli subir une perforation des poumons. Heureusement, nous avions pu limiter les dégâts.

- Tyron ? questionnais-je sans lever les yeux. J'aimerais que tu me racontes. Je veux savoir.

- Savoir quoi ?

- La fin de ton histoire.

J'avais essayé jusque là de ne pas le brusquer avec trop de questions. Mais la phrase de Ryder tournait dans ma tête. « Tu as tué tes parents ». Je savais qu'il avait tué son père. Mais il m'avait raconté que sa mère était une personne merveilleuse. Pourquoi l'aurait-il tué dans ce cas là ?

Tyron poussa un long soupir las et glissa une main dans mes cheveux, caressant ma joue du bout du doigt.

- Tu t'étais arrêtée où ?

- Vous venez en France en bateau. Votre mère saute dans l'eau pour sauver James, elle remonte à bord. Vous vivez dans le pays. Ton père est un enfoiré qui obligeait James à vivre autre part. James, qui n'est légalement pas reconnu. Mais qui a apparemment enduré bien moins que toi.

Je le vis fermer les yeux un moment, transporté dans ses souvenirs. Je continuai calmement à appliquer la pommade, le laissant prendre son temps. Il finit par rouvrir les yeux, et fit une légère moue.

- Mon... géniteur n'en avait rien à faire de personne. Il ne vivait que pour lui-même. Ma mère était un trophée pour lui. En soirée, au restaurant, devant ses amis, ses collègues, il la déclarait comme l'amour de sa vie, la plus belle femme au monde, qu'il ne pouvait vivre sans elle. À la maison, c'était tout l'inverse. Il la battait, lui hurlais dessus, lui ordonnait de faire le ménage, la cuisine, et tout le reste. Moi, je n'étais qu'un gosse. Il voulait que je sois parfait pour faire de moi son prochain trophée. Il voulait des bonnes notes, une bonne conduite, que je n'ai aucun sentiments, aucune peur, aucun amour. James a pu échapper à tout ça.

Je ne m'étais même pas rendu compte que j'avais arrêté d'appliquer la pommade, captivée par son histoire, et horrifiée en même temps. Lentement, Tyron se redressa en position assise, et se retourna à moitié dos à moi. Je fronçai les sourcils.

- Tu as bien vu les cicatrices sur mes bras, mais tu as loupé celles-là. Elles sont presque invisibles, maintenant.

Je vis ce qu'il me désignait. De longue boursoufflures blanches parcouraient son dos de long en large. Il y en avait au moins une vingtaine, créant une uvre d'art horrifique sur son dos. Tétanisée, j'approchais ma main mais n'osais pas la poser sur son dos. Tyron tourna la tête vers moi.

- Elles me viennent de mon père. C'est tout ce que j'ai hérité de lui. La plupart viennent de mes mauvaises notes. Quand je me battais à l'école. Quand je désobéissais, ou prenais le risque de m'interposer quand il frappait ma mère. Il me frappait avec sa ceinture. Et puis... nous étions dans un quartier qui craignait un peu. Il faisait parti d'un genre de gang. Il en était même le chef, et il voulait que je sois son remplaçant plus tard. Une fois par semaine depuis mes quatre ans, il m'emmenait dans leur entrepôt. Il m'apprenait à me battre. À résister à la douleur. À résister aux sentiments. J'avais six ans la première fois qu'il à tué quelqu'un devant moi. Huit ans, la première fois que j'ai dû tuer quelqu'un.

- Tu... tu as...

Il hocha la tête en se tournant à nouveau vers moi, me cachant son dos. Il avait les yeux humides, et sa main tremblais légèrement. Je la pris entre les miennes, et il me lança un regard reconnaissant. Il continua d'une voix brisée.

- Oui. J'ai tué un homme d'une quarantaine d'année. C'était un violeur. Il le méritait. Mon père m'a appris que c'est comme ça qu'il fallait gérer l'injustice. En frappant fort, et bien. Je ne l'ai jamais oublié. Malgré moi, cette leçon est restée ancrée dans mon crâne. L'homme était attaché. Sans défense. Mon père... M'a forcé à appuyer sur la défense. Puis il m'a fait nettoyer le sang au sol. Et... j'ai failli devenir exactement comme lui. En fait, sans James, je serais devenu le même.

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

- James ? Je le voyais presque tous les soirs en cachette. Mon géniteur ne voulait pas que je sois en contact avec lui. Mais lui, c'était ma mère et un prof particulier qui s'occupaient de son éducation. De notre mère, il avait reçu tous les bons conseils et valeurs qu'elle n'avait jamais pu me donner. Alors quand je voyais James, que je lui racontais tout, il me disait à quel point c'était mal. Que je ne devais pas obéir. Que ça, ce n'était pas la vie. Il passait des nuits entières à me parler, à me convaincre de rester moi-même, de résister à l'emprise de mon père.

Je souris légèrement. J'imaginais à quel point l'aide de James avait dû souder leur relation. À quel point ils avaient dû être proches. Je l'encourageais à continuer d'une légère pression sur la main.

- Un jour... mon père m'a frappé parce que je refusais de tuer une femme pour lui. Très fort. Ma mère s'est interposée, et c'est elle qui a pris les coups. J'avais quinze ans. Et j'avais largement eu le temps d'assimiler des tas de choses. À ce moment-là, tandis que ma mère ne bougeait plus et qu'il continuait de frapper, je savais qu'il fallait que j'agisse. Je savais exactement où il rangeait son arme. Comment la charger. Comment viser. Et surtout, comment tirer sans aucun scrupules. Il m'avait appris tout ça. Je lui ai mis une balle dans le crâne. Une autre en plein cur. Mais c'était trop tard, le cur de ma mère avait lui aussi arrêté de battre. Elle est morte en partie à cause de moi. J'aurais dû faire ça bien plus tôt. La peur et l'inaction m'avaient couté ma mère. Je me suis alors juré de ne plus jamais rester immobile face à la misère. L'injustice. La haine.

Il pleurait à présent. Les larmes coulaient le long de ses joues, mais il ne cherchait pas à les essuyer. Je me penchais au-dessus de lui et les essuyais pour lui du bout du doigt. Je plantais mon regard dans le sien d'un air grave.

- Ce n'est en rien ta faute. Tu n'avais que quinze ans, tu ne pouvais rien faire de plus. Il est le seul responsable de tout ça, d'accord ?

Il hocha lentement la tête en se mordant la lèvre. Je m'en voulais à présent de l'avoir mis dans un tel état, mais je me devais de savoir tout cela.

- Et ces cicatrices sur tes bras... pourquoi ?

- Je ne trouvais plus de sens à ma vie. Nous étions recherchés par la police, nous devions voler pour manger, je me sentais moins que rien. Et un jour... j'ai vainement cherché à me tuer. Je n'ai pas réussi. Mais ces coupures m'ont permis de me sentir... vivant. De savoir que j'étais là, présentement. Que j'existais. Que la douleur n'était pas seulement dans ma tête. Ça m'a toujours aidé à... réfléchir.

Je passais le pouce le long de ses cicatrices puis sur la dernière, la plus récente, la plus vive. Je fronçai les sourcils et refermai vivement ma main dessus. Je redressai les yeux vers son visage et secouai la tête en le regardant sévèrement.

- Tyron. Promets-moi de ne plus jamais faire ça. Je ne supporterais pas que tu utilise à nouveau une arme contre toi-même. S'il te plaît, fait ça pour moi. J'ai horreur du sang à présent. On a trop souffert pour continuer à se blesser nous-même.

- Je t'aime trop pour te faire ça, Morgane, souffla Tyron en plantant son regard brillant dans le mien. Je te le promets.

- Tu vas voir, repris-je avec un léger sourire en coin accompagné d'un clin d'il coquin. Je vais te montrer une autre activité qui permet de se sentir vraiment vivant.





Bonjour tout le monde ! Comment-allez vous ?

Je m'excuse, j'ai été vraiment très prise ces derniers jours mais je ne vous ai pas oublié 😙😘

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? De ces trois semaines écoulées ?

Des gens avec qui vis Morgane ? De sa relation avec les autres ? Avec Titi ?😏😏

Que présagez-vous pour la suite ?

Si tout va bien, la fin arrive dans un truc comme quatre chapitres... Accrochez-vous ! 😎😎

Biz, j'essaie de me dépêcher à poster tout ça 😆😍😘

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