17 - Le petit prince

Il était dans les environs de quatre heures du matin quand je terminais de m'occuper de James. C'était le premier repère de temps que j'avais depuis plusieurs jours. Et nous étions le 7 décembre.Cela faisait trois jours que j'avais disparus de la civilisation. Trois jours qui me semblaient être les plus longs de ma vie. Trois jours que tout le monde devait être à ma recherche. Qu'est-ce que John me manquait ! J'avais l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité.

J'avais réussi à avoir ces informations grâce à une horloge et un calendrier accroché au mur. Je bénissais l'hôtel rien que pour ça. Désormais, j'étais par terre, les bras accrochés à un radiateur en fonte. La chambre était plongée dans le noir, les rideaux tirés. Tyron s'était couché à côté de son frère dans le lit il y a un bon moment. James, lui, était dans un état végétatif relativement stable. J'avais agis juste à temps avant qu'il ne se vide complètement de son sang. Désormais il dormait profondément, ses légers ronflements résonnant dans la chambre.

J'avais essayé de dormir. Vraiment. Je sentais la fatigue peser sur chaque millimètre de mon corps, et j'étais réellement épuisée. Pourtant, je ne pouvais pas. A chaque fois que je fermais les yeux, que je me sentais sombrer dans le sommeil, l'image de l'homme agonisant dans le parking me réveillait en sursaut. J'avais l'impression de retourner toutes les dix minutes dans cet enfer, et c'était plus que je ne pouvais le supporter.

Après une autre tentative de sommeil désastreuse, je me redressai vivement, le souffle court et les larmes coulant sur mes joues. Je reniflai doucement en gémissant et parcourut la chambre sombre du regard, ayant cru apercevoir un mouvement.

- Tu ne dors pas ?

Je sursautais en entendant le chuchotement de Tyron. J'aperçus sa silhouette, assis sur son lit. Il me regardait, ses yeux brillants dans l'obscurité. Je fronçai les sourcils. Cela devait bien faire deux heures qu'il s'était couché, alors pourquoi ne dormait-il pas, lui ? Il reprit à voix basse, sans bouger :

- Tu n'arrives pas à dormir ?

Il en avait d'autres, des questions stupides ? J'étais prise en otage depuis trois jours et j'étais par terre, accrochée à un radiateur. J'étais blessée, sale, affamée. Aucune personne normalement constituée n'arriverait à dormir dans ces conditions. Je secouai lentement la tête, ignorant même s'il me voyait. J'étais perplexe. Je le vis se redresser et il chuchota à nouveau :

- Pourquoi ?

Il ne s'inquiétait quand même pas pour mon sommeil ? Il n'y avait qu'une seule réponse possible : il était bipolaire. Quoi d'autre ? Il avait passé la journée à me menacer, me blesser, me foudroyer du regard, et il s'inquiétait pour moi ?

- Tu veux vraiment que je te fasse un dessin ?

Mon ton clairement cynique ne sembla pas l'atteindre puisqu'il ne bougea pas. Le silence se prolongea et, cette fois-ci, ce fut à mon tour de le rompre :

- Pourquoi tu ne dors pas, toi ?

- Tu veux vraiment que je te fasse un dessin ? répliqua t-il en reprenant mes mots.

Je fronçai les sourcils. Que voulait-il dire par là ? Si j'avais dit ça, c'était parce que je revoyais sans cesse les morts qu'il avait causé. Que j'avais mal partout, et que je n'avais rarement été aussi effrayée de toute ma vie que ces derniers jours.
S'il me disait que c'était aussi son cas, j'étais prête à lui rire au nez.

Le bandit se leva et je reculai vivement contre le mur dans un mouvement de pur réflexe. Tyron approcha près de moi et tout mon corps se crispa. Pourtant, il se contenta de s'asseoir en face, adossé contre le pied du lit. Je ne voyais pas clairement son visage, mais il me semblait... fatigué. Il replia ses jambes contre lui, ses pieds touchant presque les miens :

- Parle-moi de toi, Freeman. De choses joyeuses. De ta vie.

Ma respiration se relâcha. J'avais l'impression d'être en plein rêve. Ce qui était peut-être le cas, vu l'irréalité de la situation. Je me pinçai la main, mais rien ne changea si ce n'est que cette nouvelle douleur supplémentaire me fit grimacer. Je secouai alors la tête en murmurant :

- Non. Ma vie n'a rien de joyeux.

C'était faux, il y avait bien sûr eu des bons moments. Mais j'étais bien décidé à ne pas en faire part à quelqu'un comme Tyron. Je le vis plisser les yeux, me scrutant du regard. Il finit par hocher la tête.

- Je vais te raconter une histoire, clama-t-il.

- Non.

J'ignorais quel genre d'histoire pouvait bien raconter quelqu'un d'aussi tordu que lui, mais j'étais quasiment certaine qu'elle m'empêcherait encore plus de dormir. M'ignorant, il reprit :

- C'est l'histoire d'un jeune garçon d'à peine huit ans. Il est le fils unique d'un roi craint et respecté dans tout le royaume. Ce garçon n'est pas heureux. Son père ne lui accorde jamais de temps, c'est comme s'il n'existait pas à ses yeux. Il a pourtant tous les cadeaux possibles qu'un enfant de son âge voudrait, sauf le plus précieux : une présence parentale. Sa mère était partie quand il n'était qu'un bambin, et son père ne le voit jamais plus de quelques minutes par jour.Il était seul, cherchait à attirer l'attention de son père sur lui, mais rien n'y faisait.

Je me retrouvais vite prise dans son récit. Il m'était facile de me mettre dans la peau de ce jeune prince en manque d'amour parental. J'avais beau ne pas vouloir l'écouter, je voulais savoir la suite. Je scrutais le bandit dont je ne voyais que les ombres.

- Le seul ami de ce garçon est un vieux chien qui n'a plus que trois pattes et qui semble profiter pleinement de ce qu'il lui reste à vivre. Un jour, le garçon, en écoutant à la porte, apprends que son père a des ennemis puissants qui vont détruire le royaume, sauf si le roi accepte d'offrir en sacrifice son seul héritier. A sa grande surprise, son père refuse. Plus qu'un héritier, c'était son fils. Son unique fils, à qui il ne donnait pas de temps, mais plus d'amour qu'il ne le pensait. A qui il refusait du temps pour s'occuper de son royaume et éviter ainsi que le garçon ne doive vivre dans un avenir misérable.Tout ce qu'il faisait, il le faisait pour son enfant, la chair de sa chair.

J'avais du mal à voir où Tyron voulait en venir, mais j'étais bizarrement pendue à ses lèvres. Qu'allait-il arriver à cet enfant ? Et surtout, pourquoi me raconter ça ? Je ne pus m'empêcher de faire la parallèle avec un livre que j'avais un jour lu. J'espérais que le roi n'allait pas tordre le cou du chien de son fis pour faute de l'avoir apprivoisé.

- Le garçon à été bouleversé par cette découverte, reprit Tyron dans un murmure rauque. Il avait passé sa vie à regretter quelque chose qu'il avait en réalité sans le savoir. Il aimait aussi son père plus qu'il ne le croyait. Alors, il s'en est allé.

- Quoi ? Pourquoi ?

- Il a réglé des affaires, puis est parti du château. Il est allé à l'encontre des ennemis de son père, d'une querelle pour laquelle il n'était en rien coupable. Il s'est sacrifié pour sauver tout un royaume et, plus que ça, un père aimant. Il ignorait que sa mort causerait plus de chagrin au roi que la perte de tout un royaume. Le roi en est mort de chagrin. Avant d'être égorgé, le jeune garçon a prononcé une seule phrase : « Et potentia amori est in morte ». La force de l'amour est dans la mort.

J'étais pétrifiée. Je crois que je préférais les contes de fées. Mais un détail m'avait retenue, et je murmurai :

- Et le chien ?

- Le chien ? répéta-t-il en encrant son regard dans le mien. Le garçon lui a planté une dague dans le cur avant de partir.

Mes yeux s'écarquillèrent et mes larmes recommencèrent à couler malgré moi. Ma voix s'étrangla dans ma gorge et je prononçai :

- Pourquoi ... ?

- Il aurait souffert du départ du garçon. Il aurait perdu l'amour qu'il lui portait. Il était vieux, son départ l'aurait tué petit à petit. L'amour est une faiblesse. Et potentia amori est in morte.

- Ça n'a pas de sens, lâchai-je en reniflant. L'amour n'est pas une faiblesse. Ça lui a permis de sauver tout un royaume...

- Oui, mais il est mort en entrainant avec lui tous ceux qu'il aimait. La vraie force aurait été de vivre. La vraie force aurait été de ne pas aimer, et ainsi de protéger tous ses proches. L'amour est une faiblesse qui emmène invariablement à la mort. Et c'est dans cette mort qu'on peut en constater toute la puissance.

J'étais pétrifiée. Que répondre à ça ? La question que je me posais à présent était si Tyron m'avait raconté cette histoire en connaissance de cause. La vraie force aurait été de vivre et de ne pas aimer... Dieu sait que j'avais pensé à mourir, et ce pas plus tard qu'hier. Mais seulement...

- C'est égoïste. Et puis...sans amour, tentais-je de répliquer à voix basse, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. L'amour est omniprésent, il est partout et le fuir serait bien plus mortel que de l'accueillir. Et quand bien même, nous mourrons dans tous les cas, nous n'aurions pas été ici pour rien. L'amour nous donne un but, un sens a notre existence.

J'avais réellement l'impression de rêver cette discussion. J'étais en train de parler de l'amour et de ses conséquences avec quelqu'un comme Tyron, vraiment ? Voyant qu'il ne disait rien, je repris :

- De toute manière, tu le sais. Tu aimes ton frère, je me trompe ?

- Non, souffla-t-il à voix presque inaudible. Et tu as bien vu qu'il est mon unique faiblesse. Il me rend faible et m'empêche de faire ce que je devrais.

En effet, je l'avais remarqué. Et je doutais que quoi que ce soit soit plus fort que l'amour fraternel. Seulement, j'étais prête à parier que sans cet amour, Tyron n'en serait pas à là. Il aurait craqué depuis longtemps. Sans un bruit, Tyron se leva.

- Dors, Freeman. Tu en auras besoin.

En silence, il repartit se coucher. Encore plus perplexe qu'avant, je posai la tête contre le mur, ses paroles résonnant encore dans mon crâne. J'ignorais comment mais, dix minutes plus tard, je réussissais enfin à m'endormir.

Bonjooooour. Comment ça va ? 😊😉

J'ai trooop aimé écrire ce chapitre, je vous jure. J'adore le personnage de Tyron quand il est un peu plus... vulnérable😍. Et vous ? 😘

Qu'avez vous pensé de ce récit ? La morale transcrite ? Pour ou contre l'amour ? ❤💓

Et comment imaginez-vous que leur relation à tout deux va évoluer ?

Bon, je vous en dit pas trop maaais... dans le prochain chapitre, il va se passer... quelque chose que plusieurs d'entre vous attendaient et qui va être assez décisif quand à la suite😏. Um... 🤨

Imaginez maintenant la tête de Hagrid " Je n'aurais pas dû dire ça..." et c'est un peu moi actuellement x) Enfin bon. Ensuite, ça va pas tarder à bouger un peu, pour ceux qui sont en manque d'action ;) 😋😄

Bonne journée à vous, biiz.😘😍

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