Memento mori
Déjà à Poudlard, elle l' avait insupporté.
Ses cheveux étaient châtains clairs et ses yeux aussi bleus que sa cravate de Serdaigle. Aux pauses, on la voyait lire, à l'ombre d'un arbre du parc, le matin en buvant son verre de jus de citrouille, indifférente au tumulte de la Grande Salle, où encore dans le silence de la bibliothèque, la tête penchée sur la table de bois où était posé l'ouvrage, lire de gros livres dont les titres lui semblaient du charabia, dont les lignes lui étaient aussi incompréhensibles à lui, qu'elles semblaient limpides à elle, et dont les noms d'auteurs, moldus, lui insupportaient plus que tout.
Lorsque la fille était morte et qu'il avait fait renvoyer cet imbécile de Griffondor qui ne savait pas se défendre mais protégeait les grosses araignées, il l'avait croisée dans l'escalier.
- Electre Beggar. l'avait – il salué
Elle n'avait pas répondu. Elle l'avait regardé. En général d'abord, puis droit dans les yeux.
Tout son corps s'était alors glacé. Parce qu'alors il avait su. Il avait su qu'elle savait. Il ne savait pas comment elle avait fait et n'en avait pas la moindre idée. Elle n'avait pas forcé la barrière de son esprit, bon occulmens qu'il se savait être, il savait que si cela avait été le cas, il l'aurait su. Elle n'en avait pas eu besoin. Elle s'était contentée de le fixer droit dans les yeux pour avoir la confirmation de ce qu'elle savait déjà, il en était sûr.
C'était lui qui avait ouvert la chambre des secrets. C'était lui l'assassin. C'était lui qui avait menti au directeur. Et l'autre abruti de Griffondor n'y était pour rien.
Il aurait été soulagé de voir dans son regard de la haine, de la peur, du mépris, du dégout, de la colère, ou même la menace d'une dénonciation. Il aurait compris et su y répondre, su l'affronter, pu gagner. Ils se seraient battus sur le même terrain.
Mais il ne lu rien d'autre qu'un fait terrible : elle le lisait. Elle le lisait exactement comme elle lisait ses maudits livres de poésie et de philosophie moldus : en y voyant plus loin que ce qui était à l'œil visible, en y voyant plus loin que tous, en y voyant plus loin que lui. Ils n'avaient tous deux qu'à peine seize ans, mais elle n'avait eu besoin que de regarder un instant dans l'œil de Tom Jedusor pour y voir Voldemort.
Il n'avait même pas eu le loisir de s'essayer à pénétrer dans son esprit. Montant l'escalier que lui descendait, elle était partie comme elle était venue.
Voilà pourquoi elle lui insupportait. Il la haïssait comme il haïssait tout ce qui lui échappait.
Il l'avait revue quelques années plus tard.
Il était devenu un sorcier des plus puissants. Il était devenu un mage noir craint, haï et respecté. Il avait enterré son nom de naissance en même temps que son père, et le nouveau qui rayonnait d'obscurité inspirait tant de terreur que nul n'osait le prononcer à voix haute. Il était devenu chef et maître d'une troupe de sorciers des ténèbres qui en son nom tuaient, enlevaient, et torturaient, qui en son nom pourchassaient sanguinairement les sang-de-bourbes, cracmols et autres engeances moldues qu'il estimait indignes de vivre sous le même ciel que lui, qui en son nom et à son ordre faisaient régner terreur, désolation et mort.
Il était devenu Lord Voldemort. Il ignorait ce qu'elle était devenue.
Avec quelques uns de ses sbires, il avait attaqué à la tombée du jour - c'était pour ses victimes bien plus effrayant- un quartier résidentiel moldu où il savait de source sûre que vivaient plusieurs sang-de-bourbes et quelques traîtres à leur sang qui osaient se compromettre avec ce genre de vermine.
Rapidement pourtant, et avant qu'ils aient eu le temps de faire vraiment du carnage, des sortilèges de protection puissants s'étaient interposés entre eux et leurs victimes, attaquant les mangemorts et laissant aux habitants, sans doute avertis par le même sorcier mystérieux le temps de s'enfuir. Furieux qu'on leur retire leurs jouets et proies, qu'on leur résiste et plus encore de ne pas comprendre, les mangemorts et leur maître s'étaient dispersés, entrant dans les maisons, détruisant tout sur leur passage et massacrant ceux qui étaient restés en arrière, à la recherche de celui ou de ceux qui avaient l'imprudence de s'opposer à eux.
Un sourire machiavélique se peint sur son visage lorsqu'il entra et qu'il la vit, sa baguette dans la main gauche (1), crépitant des sorts qui protégeaient le quartier, un livre qu'elle finissait dans la main droite. Non seulement il se réjouissait de tenir celle qui avait osé s'opposer à lui, mais il était assez satisfait de la voir confondue avec la vieille ennemie de ses années d'études, dont il allait pouvoir se débarrasser, enfin. Néanmoins, ce sourire perdit rapidement de sa superbe. D'ordinaire, parce qu'il était si incontestablement puissant que les ennemis à sa mesure étaient rares, et parce qu'il n'était pas de ses fous qui vont volontairement au devant de la mort, il n'attaquait par lui-même qu'à coup sûr ou presque.
Il avait souhaité et désirait toujours en user avec elle comme il le faisait d'ordinaire avec ce qu'il ne pouvait comprendre, ce qu'il ne pouvait saisir, ce qui lui échappait et le dépassait, en le méprisant ou en le détruisant.
Il pouvait mépriser l'amour. Il pouvait regarder de haut l'amour des amants, qui avait tué Merope Gaunt. Il pouvait dans ce mépris englober toute forme d'amour, à l'exception, bien sûr, du sien pour le pouvoir. Il pouvait se moquer hautainement de la faiblesse de ceux parmi ses ennemis, parmi ceux qu'il avait vaincus, parmi ceux qu'il avait tués, qui se battaient par amour. Il pouvait affirmer haut et fort que pour se battre c'était une faiblesse, avec la mauvaise foi facile et coutumière de ceux qui parce que cela les arrange bien, confondent la raison des actes avec leurs moyens.
Il pouvait affirmer haut et fort son mépris pour légions de gens. Jusqu'à Dumbeldore lui-même, que même au plus fort de sa puissance, il redouterait d'affronter en face, il ne se gênait pas pour le qualifier de vieux fou ou de vieillard débile (2).
Mais elle avait en elle quelque chose de net et indéterminé tout à la fois, qui décourageait la bassesse.
Il était, et assez aisément, en mesure de la tuer. Pouvait-il la détruire, même la vaincre ? Il avait bien conscience que rien n'était moins sûr.
Lui revint en mémoire une phrase qu'il avait aperçue lorsqu'il lui arrivait de jeter discrètement par-dessus son épaule un coup d'œil à ses saletés de bouquins moldus qu'elle ne cessait de lire : « Personne ne connaît mieux un individu que son assassin. » ( 3 ) C'était la première fois qu'elle lui revenait à l'esprit, et il ne savait aucunement si elle contenait une vérité ou non. Il en avait tué, des gens, pourtant... Mais jamais il ne s'était posé la question et jamais il n'avait voulu connaître ceux qu'il tuait. Par ailleurs, il avait bien davantage massacré qu'assassiné.
S'il y avait du vrai dans cette phrase, en la tuant comme il allait le faire, peut être l'empêcherait-il de continuer à lui être un mystère. Peut être... se disait-il. Pourtant, il sentait obscurément que même s'il y avait du vrai dans ce qu'il avait vu écrit, et même s'il l'assassinait, véritablement, elle, elle lui demeurerait une étrangère. Il continuerait à avoir peur d'elle, car elle continuerait à lui échapper.
Au-dessus de la cheminée où crépitait un feu magique, étaient inscrits deux vers d'un poème en français :
« Vienne la nuit, sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure » (4)
Elle ne pouvait ignorer qu'il était entré : il avait littéralement fait exploser la porte. Néanmoins, elle ne se détacha pas de son livre avant d'en avoir lu la dernière ligne de la dernière page. Sur une table basse elle posa proprement le marque-page et son livre. Il eut le temps de lire un titre : Le chant du cygne. (5)
Elle se leva posément, comme on le fait à l'arrivée attendue d'une connaissance venue parler affaires. Et le regarda en face, dans ses yeux qui commençaient à prendre des allures de serpent.
- Tom Jedusor.
- On me connait désormais sous un autre nom.
- Oui. Voldemort. Je ne l'ignorais pas.
- Lord Voldemort.
Elle ne répondit pas, ce qui déjà était une réponse en soi, mais sur un coin de sa bouche apparut un sourire qui avait plus qu'un rien de moqueur.
Ses yeux étaient brillants, mais fait inhabituel au mage noir, ce n'était ni de larmes, ni de peur, ni de haine ou de colère. En y réfléchissant un peu, il se rendit compte qu'ils l'avaient toujours été. Le seigneur des ténèbres aurait t'il seulement été en mesure de comprendre que si ainsi ils brillaient, même face à l'obscurité, c'était parce qu'ils n'avaient qu'un phosphore, la vérité ? (6)
Elle lutta, ou plutôt ils luttèrent. Face à face et presque en silence. Elle était puissante. Il l'était davantage. Elle en était informée.
Elle se savait perdante. Elle se savait sur le point de mourir. Il ne l'ignorait pas.
Cela ne l'effrayait guère. Il ne le comprenait pas mais il ne pouvait pas ne pas s'en rendre compte.
Elle se battait, avec sa calme certitude. Par principe tout d'abord. Aussi parce que d'aucuns avaient besoin de temps, là dehors. Et puis, enfin, parce que l'on ne se bat pas toujours dans l'espoir du succès. Oui, c'est aussi très beau lorsque c'est inutile.(7)
Leur combat de sorts, au bout de plusieurs longues minutes pris fin. Ce combat là, certes il l'avait gagné.
Elle avait sur les lèvres un sourire et dans la voix un ton, ironiques, pas assez peu pour n'être pas une critique, dans tout ce que cela peut avoir d'impactant, mais trop calme pour être mordant. L'eussent t'ils été qu'il eut été mille fois plus rassuré : c'eut été une attaque et aux attaques il est aisé de par l'attaque répondre. Si elle ne chuchotait pas –c'était une vérité, pas un secret qu'elle disait là- elle ne parla pas beaucoup plus fort qu'un murmure mais ses mots semblèrent résonner autant, peut être d'avantage que si elle avait crié.
Elle planta ses yeux dans les siens, inspira pour la dernière fois et dit :
« Memento mori. »
NDA:
(1) : L'expression "passer l'arme à gauche" signifie mourir.
(2) : Débile n'est pas ici à entendre au sens de "stupide" mais à son sens premier étymologiquement, qui signifie "faible"
(3) : Le livre dont est tiré cette citation est Hygiène de l'assassin d'Amélie Nothomb. Un livre qui m'a énormément plu et que je vous recommande. (PS: oui, ce livre a été publié en 1992, oui, il y a un petit problème au niveau des dates... mais chut... on va faire comme si on avait pas remarqué....)
(4) : Extrait du poème "Le pont Mirabeau" de Guillaume Apollinaire
(5) : Le chant du cygne est le nom que l'on donne à un extrait du Phédon de Platon, un mythe qui aurait été raconté par Socrate juste avant sa mort. Le thème principal de ce texte est la représentation de la figure du philosophe face à la mort. L'une des autres idées très importantes du Phédon est aussi que en acceptant sa mort au lieu de s'enfuir, il l'aurait pu, mais cela aurait, entre autres, donné raison à ceux qui l'ont condamné, en fait Socrate a gagné face à ceux qui voulaient le tuer. Par extension le chant du cygne désigne la plus belle et dernière chose réalisée par quelqu'un avant de mourir.
(6) : Si vous avez lu le préambule, vous savez à quoi cette phrase est une référence .... ;)
(7) : Petite référence à la mort de Cyrano dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand: "Que dites-vous? ...C'est inutile?...Je le sais! / Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès!/ Non! non,c'est bien plus beau lorsque c'est inutile! "
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