J'ai commencé à voler les pilules de papa. Il ne les prend plus, j'ai remarqué. Elles sont juste là au cas où, en train de regarder mon père aller mieux. Il sourit, il va au travail, il beurre ses tartines, il emmène sa femme au restaurant et il n'oublie que très peu ses enfants.

J'ai essayé par curiosité, la main un peu tremblante. Et puis je me suis sentie ailleurs. Un peu comme si je n'appartenais plus à mon corps, comme si j'étais partie plutôt loin. J'ai eu l'impression que ma tristesse partait enfin. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais l'impression de ne plus être envahie par cette imminente envie de pleurer. Je ne me sentais pas heureuse non plus, juste ailleurs, hors de ce monde.

Je ne me suis pas sentie réelle, alors je me suis mise sous la douche, et j'ai senti l'eau couler sur ma peau sans pour autant avoir l'impression d'exister. C'était comme un immense flou, comme si je ne ressentais pas la douleur, la peine, le bonheur. C'était comme une pause dans mon espace temps. Comme si, enfin, j'avais le droit de souffler.