Je viens de me disputer avec mon père.

Je suis en colère, je crois, de voir que je pleure encore pour des choses idiotes. J'en ai marre de pleurer quand quelqu'un hausse la voix. J'en ai marre de pleurer quand quelqu'un est un peu méchant avec moi. Mais c'est le cas.

Il vient de me crier au visage que je dois voir une psy. Il me le dit souvent et sa phrase résonne encore plus dans ma tête. Je trouve ça injuste de me le dire, alors que ce n'est pas moi qui pique des crises en plein repas, pas moi qui claque la porte à chaque problème, pas moi qui fugue, pas moi qui ment à ma mère pour fumer des cigarettes en cachette sur le balcon. Moi j'attends juste que la tempête passe pour manger mon foutu gratin, je couvre Louise quand elle enjambe la fenêtre à 23h et je lui invente des excuses et je passe même à mon père des chewing-gums pour couvrir son odeur de tabac.

Alors me dire que c'est moi qui déraille et qui doit voir un psy, c'est un peu facile. Forcément que ça passe mieux de me le dire à moi qu'à Louise. Louise elle n'a pas besoin de voir un psy, elle est juste un peu compliquée. C'est une ado en crise. Bin tiens.

Et moi, je ne suis pas complexe ? Je n'ai pas de raisons de me plaindre, de me révolter, je n'ai que le temps de m'aplatir, de ne pas faire de vagues et de calmer celles tempêtueuses de ma soeur. C'est vrai que ça prend du temps de se battre contre des ouragans. C'est vrai que ça m'occupe tellement que je n'ai pas le temps d'en devenir un.

Pourquoi c'est moi qui devrait voir un psy ? Pourquoi moi, plutôt qu'eux ? Pourquoi c'est moi qui devrait m'asseoir sur une chaise et raconter ma pauvre vie ? Qu'est-ce que je dirais, d'abord ? "Bonjour, moi c'est Jeanne, mais vous pouvez m'appeler Louise, parce que c'est ce que tout le monde fait. Si si, même mes parents, une fois sur deux. Pas trop l'inverse."