Chapitre 5.

Les festivités pour Pâques ont duré toute la journée. Toute une journée à assister à des cérémonies religieuses tout en faisant mine de ne pas mourir d'un ennui si profond que j'aurais pu m'y noyer. Selon mes souvenirs, les dieux grecs n'étaient pas si exigeants en matière de cérémonie... Quoique, certaines d'entre elles pouvaient durer des jours entiers. Mais au moins étaient-elles intéressantes et ne consistaient-elles pas à rester agenouiller devant une croix des heures durant.

Heureusement pour moi et ma santé mentale – et par conséquent pour la santé de tous les autres humains présents – la soirée est vite arrivée et avec elle, le bal.

En parfaite hôtesse que je suis, j'accueille les invités, nobles et riches, entre moult courbettes et sourires hypocrites. Tête haute, je me montre chaleureuse avec tous, même avec ceux que je reconnais comme faisant partie des conspirateurs. Un juge et un maréchal. Ainsi qu'une jeune dame, que j'ai déjà surprise plusieurs fois en train de faire de la gringue à mon époux ! Leurs parfums, capiteux et nauséabonds, ont été faciles à repérer et attribuer à ceux qui flottaient ce jour-là dans la maison close.

Lorsque Claude et Philibert arrivent à leur tour, j'ai droit à de nouvelles remarques gaillardes. La suffisance du premier me vaut également quelques regards si méprisants que je brûle d'envie de les lui faire ravaler... Ou bien de lui arracher son cœur pour m'en repaître. Cependant, celui que je vois d'un nouvel œil, c'est le second. Bien qu'il se contente de rire aux plaisanteries de son acolyte, je ne le prends plus pour le benêt qu'il était. Mais il n'en reste pas moins un idiot dénué de bon sens.

Enfin, le banquet est annoncé, me délivrant de mon odieuse tâche.

Quantité de mets s'étendent sur les tables, à la lueur des chandelles. Les convives s'y pressent dans un mélange de velours, de soies et de taffetas. J'observe cet étrange ballet, curieuse. Tous portent des couleurs vives, et quantité de joyaux là où je me suis contentée d'une robe d'un gris perle brodée de fils blancs. Mes cheveux sont à moitié relâchés à moitié tenus par quantité de tresses. Et je ne porte pas le moindre bijou. Cela ne m'empêche pas d'être, je le sais, la plus belle.

Raymondin se trouve face à moi. Je lui tends ma main qu'il enferme doucement entre ses doigts pour y déposer un baisemain avant de se pencher vers mon visage. Ses lèvres frôlent les miennes avec douceur, éveillant en moi quelques étincelles. Puis il se détache. Derrière lui se trouve une jeune femme, qui semble avoir son âge. Ses cheveux roux sont maintenus en un chignon bas et simple et ses petits yeux bruns me scrutent avec une certaine admiration sous ses longs cils noirs. Mon protecteur me glisse, de sa voix chaude, sa main ne quittant pas la mienne quelques secondes.

« Melusine, je vous présente Marianne, une amie d'enfance.

Je souris à la jeune femme qui plonge dans une gracieuse révérence face à moi.

— Enchantée de faire votre connaissance, ma Dame.

— De même.

Sûrement rassuré quant au fait que je ne m'en prenne pas à cette demoiselle, Raymondin s'éclipse. Cette fête est d'un ennui ! Je n'attends qu'une chose : que ces coqueberts de comploteurs passent à l'action. Même le festin sous mes yeux ne parvient pas à me dérider. J'ai faim de sang et non pas de viandes. Me tournant vers Marianne, je décide de tromper mon ennui comme je le peux.

— Dîtes-moi Marianne, je ne vous ai guère vu jusque-là.

— J'étais en voyage, ma Dame.

— Soit.

Je l'observe encore un instant. Elle est mignonne. Ses formes généreuses et ses joues colorées en font un joli petit bout de femme.

— Me permettez-vous d'être honnête avec vous ?

— Bien sûr, ma Dame.

— Laissez tomber le « ma Dame », appelez-moi Melusine, et dîtes moi plutôt quelle relation avez-vous avec mon mari.

Je vous jure n'avoir jamais vu quelqu'un devenir aussi rouge, si vite. Sous la gêne, la pauvre demoiselle est à deux doigts de s'étouffer.

— Nous avons toujours été des amis, ma Da... Melusine.

— Pourtant, vous avez déjà couché ensemble.

Je croyais cela impossible. Et pourtant, Marianne devient plus écarlate qu'elle ne l'était la seconde d'avant. D'une toute petite voix, elle murmure :

— C'est exact.

Un instant, je la scrute, avant de me détourner.

— D'accord. Profitez bien de votre soirée mademoiselle.

Elle se confond dans une profonde révérence avant de s'éloigner de moi à toute vitesse – ou du moins, aussi vite que ses chaussures peu confortables et sa robe le lui permettent.

Et je retourne à mon ennui mortel. Vraiment, à l'époque de la Rome Antique, les hommes savaient prévoir des assassinats. De nos jours, il faut attendre pour se voir trancher la gorge. C'est d'un pathétique...

Me tirant de ma torpeur, une bassedanse est annoncée. Je suis surprise de voir une main se tendre sous mes yeux. Je souris, reconnaissant là mon très cher époux. Je me relève avec grâce, posant ma main entre ses larges doigts qui se referment aussitôt dessus. Sa paume est chaude, ferme. Et tandis qu'il m'entraîne au milieu des autres couples de danseurs, je devine déjà ce qu'il s'apprête à me dire.

— Nous devons parler.

— Je suis du même avis.

L'avantage avec ses danses aristocrates lentes, c'est que l'on peut tout à fait causer tout en suivant les pas. En comparaison, les danses villageoises sont bien trop entraînantes pour cela. Mais bien plus amusantes également. Je suppose qu'il ne peut pas y avoir que des avantages... J'esquisse une parfaite révérence face à mon cavalier qui m'imite avant d'initier la danse, aussitôt imité par les autres membres de nos cours.

— Alors ? Que tenez-vous donc à me dire ?

L'espace d'une fraction de seconde il me scrute alors que mon pied droit glisse derrière ma cheville.

— Ne croyez pas que je sois idiot, murmure-t-il si bas que je peine à l'entendre à travers la mélodie des instruments de musique.

Concentrée sur mes pas, je penche la tête sur le côté avant de souffler :

— Si je pensais que vous l'étiez, vous seriez mort à cette fontaine et jamais je n'aurais fait de vous mon protecteur.

— Et si je ne m'abuse, être votre protecteur signifie vous aider à affronter de potentiels dangers. Si vous me tenez à l'écart de ces dangers, je ne peux rien.

— Certes...

Nous échangeons nos places, nos paumes l'une face à l'autre sans se toucher. Raymondin reprend, d'une voix plus basse et plus sévère encore :

— Que se passe-t-il Melusine ?

La voilà la question qui fâche ! Raconte à mon protecteur l'ampleur de la situation, c'est lui révéler que parmi les hommes qu'il aura à affronter pour assumer son rôle se trouve un de ses plus proches amis. Je ne suis pas connue pour ma délicatesse pourtant, croyez-le ou non, je me suis attaché à ce bougre de seigneur et à ses multiples talents – non je ne dirai pas lesquels. C'est pourquoi, je décide de prendre quelques pincettes et d'amener les choses en douceur, ce qui, en plus de préserver quelque peu Raymondin contribue à accentuer l'effet théâtral de la chose. Et la maîtresse des illusions et des apparences que je suis, apprécie ce petit jeu.

— Votre salle de bal, mon cher, est infestée de conspirateurs prêts à me tuer.

Ses beaux yeux clairs s'arrondissent de stupeur et je crois que son visage vient de perdre quelques couleurs.

— Pardon ?

— Ne grimacez-pas ! Cet air fâché nous trahirait trop vite, mon époux.

Un instant, je vois son pied buter au sol, preuve de sa stupéfaction. Mais il se reprend.

— Mais encore ?

— Ils ont tenté de m'empoisonner il y a peu.

Brièvement, je lui raconte les quelques événements ayant mené à cette fatidique soirée, où, à la lueur des chandelles, se prépare un complot qui faillira, foi de Melusine ! À la fin de mon récit, le visage de celui qui me tient lieu d'époux s'est totalement fermé et il me toise, suspicieux. Oups ! Le seigneur de Lusignan semble mécontent ! Quel dommage...

— Donnez-moi leurs noms, exige-t-il.

— Je n'avais pas connaissance de certains d'entre eux jusqu'à ce soir. Les voix me font peut-être défaut... mais pas les parfums.

Un pas sur la gauche. Je sens le regard de mon protecteur peser sur moi, brûlant, pressant.

— Donnez-moi leurs noms, répète l'homme.

Et tandis qu'un nouveau pas nous rapproche, je sens son souffle saccadé sur ma peau, aussi léger que le battement d'aile d'un papillon. Je me mords la lèvre et dans un tournoiement de velours gris, je lâche un premier nom. Celui de cette noble suffisante et envieuse. Puis celui du juge qui me regarde de travers, son verre de vin à la main. Ensuite un chevalier, un maréchal, et enfin, le dernier des noms, celui qui, je sais, blessera mon protecteur qui se tient face à moi, impatient. Le nom m'échappe en un souffle, pressé :

— Philibert. Et peut-être Claude.

Raymondin s'arrête violemment de danser. Je fronce des sourcils et l'attrapant par les mains, je lui intime de poursuivre. Qu'il ne gâche pas toute ma comédie.

— Soyez de glace, mon cher. Ou vous nous révélerez.

— Pourquoi cette hypothèse autour de Claude.

— Il y avait une autre voix que je n'ai pas reconnue. Mais comme vos deux anciens compagnons sont comme cul et chemise, je n'ai que très peu de doutes.

Pas sur la droite, pas sur la gauche. Un instant, nous nous éloignons avant de nous approcher à nouveau et les notes que produisent les instruments de musiques accélèrent la cadence, engageant la dernière partie de cette bassedanse.

— Comptiez-vous me le cacher et causer un massacre dans ma demeure ?

— Je dois avouer n'avoir pas pensé à cela.

Je ne pensais pas que son expression d'ordinaire si joviale et espiègle puisse se marquer d'autant d'austérité. Je me contente de lui servir mon sourire le plus angélique possible et de m'incliner face à lui. Je suis magnifique, et je le sais. La preuve est là, dans un soupire las, Raymondin me souffle :

— Je suis partagé entre mon envie furieuse de vous embrasser et celle de vous hurler dessus.

— Face à votre foule d'invités ? Ce ne serait guère convenable monseigneur.

Ma voix s'est volontairement faite aguicheuse et à la flamme qui brûle dans son regard je sens que mon protecteur est exalté.

— Gardez vos charmes pour d'autres, sirène de malheur !

— Et vous, gardez vos désirs pour la suite. Les festivités viennent à peine de commencer et nous avons encore un complot à déjouer.

Un rire clair s'échappe de sa gorge. Mais son amusement ne trompe personne. Il bouillonne intérieurement. Sa nature de protecteur s'est révoltée en lui. Ce n'est plus le seigneur de Lusignan et ses principes de ce nouvel âge que j'ai devant moi. C'est un nouvel homme, changé. C'est un homme qui n'en est plus vraiment un... C'est un protecteur.

— Que comptez-vous faire ?

— Ils pensent voir en moi une fée noire. Soit ! Je leur montrerai ce qu'est la vraie magie.

Son expression s'adoucit. Le lien de protection vibre à une puissance inégalée. Pour la première fois depuis son instauration, il s'éveille réellement. Je sens cette petite portion de Raymondin en moi. Et mon cœur exulte de fierté lorsqu'il grogne, plongeant son regard d'or assuré dans le mien, se figeant pour de bon au milieu de la salle de fête, alors même que la toute dernière note résonne dans l'air :

— Nous leur montrerons. Ensemble. »

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