Chapitre 8.

« Bonjour Mélusine.

- Orphée, quelle bonne surprise !

Le héro ; qualification donnée à un humain, qui de par ses actes héroïques a été récompensé après sa mort par les dieux par une immortalité ; me jette un regard si agacé que je lève les yeux au ciel. Pourtant un sourire mesquin étire ses lèvres et il susurre :

- Ça dépend pour qui. Suivre ta piste a été... compliqué.

- J'avais pourtant dis à Caïan que t'appeler n'était pas une bonne option.

- Tu t'es encore fourrée dans les ennuis, comme tu sais si bien le faire. T'es une emmerdeuse de première Mélusine.

Je hausse des épaules. Son ton acerbe et furieux est tout à fait justifié. Cependant, je ne peux m'empêcher de titiller son amertume, de le taquiner.

- Tu m'en veux encore Orphée chéri ?

- Tu t'es jouée de moi dans le but de boire jusqu'à la dernière goutte de mon sang héroïque.

- Et je t'ai épargné. T'as une dette envers moi. dis-je en plissant des yeux avant de reprendre : Pourquoi es-tu là aujourd'hui ? Pour me tuer ou pour me protéger ? Tes instincts ne te permettront jamais la première option.

- Ça c'est ce que tu crois sale vipère.

Je hausse des sourcils. Lorsque j'ai rencontré le héro, il n'était plus que l'ombre de lui même, jouant de sa lyre envoûtée comme une âme en peine, poète perdu dans d'étranges ténèbres même après son retour de la mort... C'était une période plus ou moins sombre de ma vie : l'Empire romain avait chuté, les croyances anciennes furent oubliées. Je m'ennuyais tant que j'écumais tous les bars et tavernes de Grèce, en chasse. Je m'offrais de véritables festins chaque jour. Les hommes ne semblaient par pouvoir résister à la jolie demoiselle qui prétendait débarquer d'un lointain pays étranger et qui désirait en apprendre plus sur les coutumes locales. Et puis Orphée avait débarqué un jour. Il avait entendu parler d'une créature de ténèbres, fauchant les vies dans le sang et la mer. C'était lui rappelé son passé d'héro, lui qui était descendu jusque dans les enfers pour retrouver sa belle Eurydice. Peut être pour trouver grâce aux yeux de sa bien aimée qu'il n'avait su sauver, il était venu à moi. Mais mes illusions et mes charmes puissants eurent raison de lui et de son cœur. Seulement avoir un héro pour protecteur ne se refuse pas. Mais seul les humains peuvent devenir nos protecteurs. Nous avons donc passé un pacte : je compterai le héro parmi mes alliés à condition de l'épargner.

- Rappelle moi combien de fois m'as tu sauvé la vie alors que rien ne t'y obligeais.

- Un serment m'y obligeait.

- Un serment n'oblige à rien si l'on n'y consent pas. Et le pacte n'était qu'une proposition que tu as accepté. Sinon, je t'aurai donné la mort. Du sang de héro, un sang si puissant... Te rends-tu comptes à quoi j'ai dû refuser simplement pour toi ?

Cette fois ci un sourire étire ses lèvres. Seulement, il me maintient encore avec force contre le mur, m'empêchant d'esquisser le moindre mouvement pour m'en défaire. Je pousse un soupire et penche la tête sur le côté.

- Aller Orphée, lâche moi maintenant.

- Je n'en ai pas l'intention jolie sirène.

- Ne m'oblige pas à user de mon chant ou d'une illusion.

Il esquisse une moue et réplique :

- Tu n'oserais pas ?

- Tu crois ça ?

Et soudainement je claque des doigts. Il écarquille des yeux au moment même où, dans l'illusion, je change d'apparence, devenant une jolie petite blonde aux traits doux. L'apparence d'Eurydice. Il me lâche brusquement et recule de quelques pas, déstabilisé. J'en profite pour me redresser, fais craquer ma nuque et lui assène une gifle monumentale, accompagnée de ma force plus élevée que la moyenne. Il roule au sol avant de se rattraper et lève sur moi des yeux écarquillés. Et soudain, il rit. Un vrai rire, amusé. Il se relève et, entre deux éclats, il s'exclame :

- Tu m'as manqué l'emmerdeuse !

Je répond à son exclamation affectueuse par un sourire. Le héro pourrait se fondre parfaitement dans le monde des humains : ses vêtements normaux laissent entre-apercevoir son corps presque divin, ses yeux d'un vert perçant contrastent avec sa chevelure claire. Seth débarque soudain. Il fronce des sourcils en remarquant le héro mort de rire et mon expression amusée.

- Qui est-ce ?

Mon protecteur regarde Orphée avec méfiance.

- Orphée est un ancien, très ancien ami. Il a une dette éternelle envers moi, ce qui fait que sa nature de héro l'engage à me protéger si je fais appel à lui. Si je me souviens bien, la dernière fois que nous nous sommes quittés, il avait céder à mes charmes et moi aux siens. Orphée, je te présente Seth. Mon protecteur actuel.

- Tu as un peu faillis à ta tâche. Remarque le héro.

Seth grogne et je pousse un long soupire. Ces deux là ne s'entendront pas. Les hommes ne s'entendent que très rarement en général, surtout lorsqu'il s'agit d'une femme. Mais lorsqu'il y à une sirène dans l'affaire, toute entente est impossible. Une sorte de jalousie masculine mal placée qui empêche une sirène d'avoir deux protecteurs en même temps. Enfin... Si déjà elle parvient à épargner ne serait-ce qu'un homme et à s'en faire un.

Je m'adresse à Orphée :

- Que fais tu là ?

- J'ai reçu un appel de ton cher et tendre époux alors que j'étais à Athènes. Il a parlé de Poséidon et d'une enquête à propos de créatures démoniaques. Et bien évidemment il était ivre. Pourtant, lorsque je suis arrivé, il n'y avait plus que son cadavre et ton sang. J'ai donc fait quelques recherches et le taux de cadavres masculins retrouvés morts sans explication avait un pique plutôt élevé par ici. Je me suis dis que ça pourrait être une piste qui me conduirait à toi ou au banc de vampire des mers. Puis je t'ai vu dans la rue, toi, et mes petites rancœurs passées me sont légèrement revenues en tête.

- Tu es toujours aussi lunatique... Un coup tu m'agresses et le coup d'après tu me parles comme à une ancienne amie.

- C'est ce que tu es pourtant, une ancienne amie.

Je hoche la tête affirmativement et lance un regard en coins à Seth qui se contente de suivre notre échange avec discrétion.

- Au fait Orphée, dans quel pays sommes-nous ?

- Où veux tu que nous soyons pour que je sois arrivé si vite ? En Grèce Mélusine ! Et plus précisément, en Crète.

Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne pas ? Un pays antique pour un dieu antique... Puis la réalité me rattrape : à tout moment Poséidon ou une de ses sirènes peut nous tomber dessus.

- On ne doit pas rester là.

- Qu'est ce qu'il y a, tes illusions ne marchent pas sur le dieu ?

L'intonation ironique du héro n'est pas des plus plaisantes et je décide répliquer sur le même ton :

- Figure toi que non ! C'est bien dommage d'ailleurs, mais bon, que veux-tu, je fais avec ce que j'ai.

Un rictus amusé étire ses lèvres tandis que mon protecteur, adossé au cadre de la porte lève les yeux au ciel. Mon regard passe de l'un à l'autre. Ils sont si différents... Presque plus que ne l'étaient Seth et Caïan. Il y a toujours eut quelque chose chez le héro, dans sa manière de poser son regard orgueilleux sur moi que l'humain n'a jamais eut.

Orphée interroge alors, comme inspiré par un détail que seul lui semble avoir perçu :

- Je me demandais... Si une sirène commence à boire le sang d'un homme et qu'elle s'arrête, ça ne le tuerai pas non ?

- Une fois qu'elle commence, une sirène ne peux plus s'arrêter. Plus une sirène boit, plus elle en veut. Le sang est addictif chez nous.

- Donc aucun de nous ne peut de servir de garde manger sans y laisser la vie ?

Seth attend la confirmation de ce qu'il vient d'énoncer.

- C'est exacte.

- Et donc que comptes-tu faire ?

- On doit s'éloigner de cet endroit.

- Me faire manger ne fais pas partit de mes projets Mel'.

- Le manque se fait sentir plus fortement seulement si je reste sur terre. L'eau calmera ma faim.

Toujours adossé au mur, mon protecteur souffle d'un ton neutre :

- Et Poséidon pourra te localiser plus facilement.

- Dans tous les cas, si on ne bouge pas d'ici il va me retrouver et je doute qu'il me laisse encore une chance. Cette fois ci c'est la case écume de mer sans autre possibilité. Je pourrais chasser en chemin. Je n'ai rien contre un petit pêcheur tout frais.

- De toute façon tu es un électron libre personne ne peut t'empêcher de rejoindre la mer. Pas même le héro. finit par soupirer Seth en haussant des épaules.

Je me mords la lèvre inférieur et me tourne vers mon ancien ami :

- Orphée, toi qui as parcourut le monde, où pourrions nous nous abriter ?

- Tu te souviens la cabane où tu es venue me traîner de force, la dernière foi ?

- En Finlande ?

- Oui...

Je réfléchis quelques instant avant de déclarer :

- Rendez vous là bas. J'y serais même avant vous.

Seth gronde alors, contrarié par cette perspective :

- Et tu penses que y aller seule sans nous est une bonne idée ?

- A moins qu'une nageoire ne te pousse soudain, tu n'as pas trop le choix.

Il pousse un profond soupire, l'air las. Nous sortons de la petite boutique.

- Dis moi Orphée chéri, tu pourrais nous mener à la falaise la plus proche ?

Il hoche la tête. Je soupire et d'un signe du menton, je l'enjoints de nous y guider. Seth sur mes talons, je suis le héro. Le retour en plein jour et le soleil de Grèce, si chaud, si lourd, si méditerranéen m'étouffe. Un désir profond et primaire de retrouver l'eau m'envahit... Pour le faire taire, je me glisse à côté de mon protecteur et entame la discussion :

- Orphée est allé jusqu'en enfer pour retrouver son Eurydice. Et il a échoué à cause de son trop fort amour. D'ailleurs, c'est encore une preuve que j'ai bien raison quand je dis que l'amour est une faiblesse... Il en est même mort. Enfin, tout cela avant que les dieux ne lui donnent l'immortalité... Mais le point intéressant c'est que jusqu'à moi, il n'avait côtoyé aucune autre femme à part elle.

Il ricane alors et se passe une main dans les cheveux.

- Il est passé du grand amour à la briseuse de cœur... Tu devrais penser à envisager des choses, vous iriez bien ensemble, aussi insupportable l'un que l'autre, et il est complètement sous ton emprise, tu occupes encore son cœur. Et ce, depuis votre rencontre je crois...

- Ne rêve pas trop Seth.

Il rit.

Orphée emprunte une rue sur la gauche et je le suis. Nous débarquons sur une petite route et au bout de celle ci, j'aperçois la mer. Mon instinct me pousse à m'élancer mais je me retiens. L'appel de l'eau est fort mais pas irrésistible. Pas pour une sirène de mon rang.

- Et si ces créatures nous retrouvent une fois dans le nord ?

L'interrogation du policier est soutenue par le héro :

- Si c'est le cas, il va vous falloir des armes.

- Et toi ?

- Je suis une tueuse. Je n'ai pas besoins d'arme.

Nous arrivons enfin. Retirant mes chaussures et ma robe, je les glisse dans le sac. Orphée détourne le regard. Il n'est plus habitué à mes méthodes directes. Je souris en coin et me tourne vers l'Océan. Je m'avance jusqu'au bord de la falaise, prête à plonger.

Je me tourne alors vers les deux hommes.

- Faites attention à vous. Je me suis donné un mal de chien pour ne pas vous dévorer, faites en sorte que ça ne soit pas vain.

- Ne t'en fais pas pour ça Mel', je pense pouvoir me protéger seul.

Le sourire de Seth quand il me lance sa réplique contraste beaucoup avec le calme et la confiance dont sont emprunts ses yeux.

J'adresse un signe de la tête à Orphée, me tourne vers l'Océan et plonge. Je sens l'air siffler autour de moi tandis que je chute. Puis mon corps rencontre l'eau calme de la Méditerranée. Ma queue de poisson apparaît, longue et scintillante et je m'élance, direction les mers froides du nord.

Mais alors que je me glisse au travers des courants et de la faune et flore marine, une ombre sur les profondeurs attirent mon attention. Je relève la tête et aperçoit alors la coque d'une barque ou peut être un petit voilier. Ce n'est pas un grand bateau. Facile à faire chavirer. Prudemment je m'en approche.

Un pêcheur. Sourire aux lèvres, je remonte à la surface et m'appuie à son embarcation. C'est un jeune homme. Une proie par excellence... Une mélodie s'échappe alors d'entre mes lèvres. Son regard se pose sur moi et ses yeux s'écarquillent. Il n'a pas le temps de dire quoique se soit avant que mes mots ne parviennent à son cerveau. Ma beauté ensorcelante mêlée aux pouvoirs dont sont emprunts les mots du chant le rendent totalement soumis à mon contrôle.

Viens à moi...

Au fur et à mesure que je fredonne, le charme opère. Envoûté il se penche vers moi tandis que je me prépare à l'embrasser. Je tends ma main vers son visage et passe une main sur sa joue. Et quand ses lèvres rencontrent les miennes, je l'attrape par la gorge et l'attire brusquement à moi, l'entraînant vers les profondeurs de l'océan pour rassasier ce terrible appétit.

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