Chapitre 30.
À priori, les discordants rencontrés un peu plus tôt n'étaient pas le seul à s'être déplacé jusqu'à Pétra. Éris semble avoir emmené toute son armée. Et je crois bien qu'en plus des quelques créatures qui se dressent sur notre route, se terrant dans la pénombre face à nous, d'autres se cachent dans la ville, prêtes à se relayer la tâche de nous tuer. Ça ne finira donc jamais ?
Les dieux ne devraient pas pouvoir créer ce genre de chose. Il devrait y avoir des règles. Même si les règles, il n'y a rien de plus amusant que de les transgresser. N'empêche, c'est ce que l'on pourrait qualifier d'une idée...
« Qui est pour ériger une nouvelle loi qui interdirait aux dieux de créer des monstres de cette sorte ?
Les regards que me lancent le dieu, la sirène et mes deux amis sont assez éloquent. Je lève les yeux au ciel et tire mes dagues avant de me mettre sur mes gardes. Chacun m'imite. Orphée, posté à ma droite, se penche vers moi et me chuchote :
- Parfois, tu devrais vraiment te taire Mel...
- Je t'en prie, ma voix est d'une telle beauté que tu donnerais ta vie pour m'entendre.
Un sourire étire ses lèvre et il concède :
- Pas faux...
Poséidon, qui a sûrement surpris notre échange, me lance un regard indéchiffrable avant de toiser le héro. Puis il ordonne d'un ton sec :
- Je rappelle que nous aurons à affronter Éris après. Conservez vos forces.
La seconde sirène de la troupe après moi se racle la gorge et murmure :
- Je pourrais peut-être nous débarrasser de ceux-ci...
D'un geste de la main, elle désigne la multitude d'yeux rouges assoiffés de sang qui s'approchent de nous, menaçant. Le dieu grogne son accord et le blonde reprend :
- Vous feriez mieux de vous boucher les oreilles...
Ligie sourit, légèrement gênée. Un coup d'œil à mes compagnons, et nous obéissons. Sauf, bien sûr, Poséidon, toujours aussi insensible à nos pouvoirs. Alors, la sirène s'avance en prenant une grande inspiration. Les discordants posent sur elle leurs regards meurtriers. Et alors qu'ils se préparent à se jeter sur elle, Ligie se met alors à hurler de toutes ses forces.
Le cris strident déchire l'air avec une telle puissance que j'écarquille des yeux d'effroi. D'accord, il semblerait que même se boucher les oreilles ne sera pas suffisant... En une fraction de seconde, j'ai esquisser un bref mouvement du poignet, nous enfermant, Orphée, Seth et moi même dans une illusion qui nous coupe du monde extérieur et surtout du hurlement de Ligie. Ce dernier est si fort que la Terre semble en trembler. Les discordants se mettent à pousser des glapissements et à rugir comme pour échapper à se son insupportable. Mais ils ne peuvent pas y parvenir. Les uns après les autres, ils s'écroulent au sol, en se révulsant, secoué de spasmes. Leur mélange de fourrures, de peu et d'écailles se mettent à blanchir comme si ils étaient frappés par l'effroi. Je n'ose imaginer les effets que cela aurait sur de simples humains... La responsable de tout ceci ne s'est pas arrêtée de crier. Son visage est marqué par une détermination sans faille et ses yeux d'ordinaire d'un bleu si doux ont viré au rouge sang. Son surnom de « Celle au cri perçant » prend d'un coup tout son sens.
Lorsqu'il ne reste plus un discordant sur pieds, elle cesse de hurler et reprend son souffle. Tout est revenu à la normale. Je romps l'illusion et me dirige vers la sirène aux cheveux d'or. Je me poste face à elle et croise les bras, avant de siffler :
- Dis moi, Ligie, tu n'aurais pas pu nous prévenir plus tôt que tu avais ce pouvoir ?
Elle me lance un regard contrit avant de mimer qu'elle ne peut plus parler. Je penche la tête sur le côté.
- Attends, tu vas me dire qu'après avoir hurler de cette manière, ta voix disparaît quelque temps ?
Elle hoche de la tête. Je me retiens de ricaner. La blonde se révèle vraiment pleine de surprise. Je crois que je l'apprécie même si être une sirène et se retrouver privée de sa voix, qui soit disant passant et notre arme par définition, n'est pas la meilleur des situations.
- Et ça va durer combien de temps ?
Elle hausse des épaules et c'est Poséidon qui intervient :
- Ça peut varier de quelques minutes à quelques heures. C'est bon, votre passionnante non-discussion est terminée ? Nous pouvons continuer ?
Il nous dépasse et derrière lui, Ligie lève les yeux au ciel en esquissant une mimique moqueuse. Je secoue la tête, légèrement amusée. Orphée qui a surprit notre échange, se tourne vers mon protecteur et lui glisse, moqueur :
- Quel rabas-joie... Je vais finir par croire que les goûts de notre chère Mélusine en matière d'homme se sont grandement détériorés.
Seth ricane en l'entendant. Je les fusille du regard mais avant que je ne puisse répliquer quoique se soit, la voix grave du dieu s'élève :
- C'est ici. »
Poséidon s'est figé près d'une façade construite à même la roche. Un tombeau. Sa main glisse le long de la paroi et ses doigts caressent presque les gravures dans la pierre ocre. Et soudain, il brandit son trident. La Terre s'ébranle, et la façade s'effondre, dévoilant une grande salle sombre. Le souffle sinistre du courant d'air qui s'en échappe me fait frissonner tandis qu'une sensation de brûlure dans mon front se fait sentir.
Aucun doute, c'est bien ici.
*
« Lorsque l'enchanteresse enferma les dieux, il lui fallut se connecter à une source d'énergie puissante pour nous retenir à jamais, et ce, même si elle devait mourir. Peu importaient ses pouvoirs, si la prison n'était pas assez solide, les dieux s'en échapperaient. Alors elle se rendit à Petra.
D'une torche trouvée à l'intérieur du tombeau, Poséidon illumine les fresques qui recouvrent les murs de la crypte. Les peintures anciennes représentent de nombreuses scènes : le déluge, les guerres divines... Les fléaux des dieux. Sans y prêter trop d'attention, le roi des océans continue son explication :
- Les humains n'ont jamais eut accès à cette crypte. Pour eux, il ne s'agissait que d'une façade sans rien derrière. Ou tout du moins, rien de vivants. Ils supposèrent que ça n'était qu'une tombe. C'en est une, en effet. C'est celle des dieux. De dieux enfermés vivants. Ce sera la mienne si tu actionnes le sortilège.
Il est totalement neutre. Je ne saurai dire ce qu'il pense. Poséidon pose son regard brûlant sur moi. Le masque sur son visage semble se fissurer quelques instants avant de se reconstituer. À mon grand déplaisir puisqu'il est toujours déstabilisant de ne pas savoir ce que pense ou ressens le maître des océans. Je ne dis rien et me contente d'observer les alentours. Cet endroit n'a pas été visité depuis des milliers d'année. Pourtant je viens d'apercevoir, au sol, des traces de sang. Récentes. Des traces qui n'ont rien à faire là. Orphée échange un regard avec Seth. Quelque chose cloche.
- On ferai mieux d'avancer. Plus vite on y sera, plus vite ce sera finit. lâche le maître des océans et il se dirige vers la deuxième partie de la salle, en sautant les trois marches qui marquent le dénivelé.
Ligie le suit, sur ses gardes. Avant de de les rejoindre, je me tourne vers mes deux compagnons et souffle :
- Vous avez vu la même chose que moi n'est ce pas ?
- Je ne le sens pas du tout... Si des dieux sont réellement enfermés ici, ça devrait être mieux protégé...
À peine Seth finit-il sa phrase qu'un serpent, aussi venimeux que mortel, se matérialise soudain à nos pieds. Orphée se fige et se crispe immédiatement. Son geste de recul ne m'échappe pas, tout comme son rythme cardiaque qui s'accélère et la pâleur qui gagne son visage. Eurydice est morte mordue par un serpent. J'imagine que l'apparition du reptile ne doit pas lui faire vraiment plaisir. J'attrape habilement la vipère et le passe autour de mon cou, pas le moins du monde impressionnée par ses sifflements et ses crochets luisant de poison.
- C'est le cas. Ils ont dû être nombreux à vouloir libérer les dieux ou à vouloir se servir de leurs pouvoirs illimités... L'enchanteresse a dû usé d'un bon nombre de sortilèges.
- Les mêmes sortilèges que toi à ce que je peux constater. grimace le héro tandis que je caresse les écailles de la vipère.
Elle frétille entre mes mains avant de disparaître tel un nuage de fumée.
- C'est à dire ?
- Un serpent ? Réellement ? Alors que j'en ai horreur ? Ça ne t'est pas... Familier ?
Je comprends alors.
- Son sort matérialise vos pires peurs. Et elles vous tuent. Comme certaines de mes illusions.
Et puis un serpent... C'est si ironique quand on pense à ma métamorphose mystique. Je suis le véritable poison d'Orphée. Un rappel constant de sa souffrance et de son amour. Et le pire dans tout cela, c'est que j'aime ça. Je pourrais presque trembler devant mon égoïsme. Je crois que le héro pense exactement la même chose parce qu'il secoue la tête, m'adressant un petit sourire ironique. Mon protecteur resserre sa poigne sur ses armes et souffle :
- Rejoignons le dieu avant que quelque chose de bien plus regrettable ne survienne. »
J'approuve de la tête et nous nous mettons enfin en chemin. Je n'imaginais pas le tombeau si grand. Une autre salle, plus petite, se découpe alors. La lueur de la flamme m'indique que c'est là que se trouve Poséidon et Ligie. Le dieu se tourne vers moi. Il serre tant les poings que ses phalanges sont blanchies. Devant lui se tient une grande stèle recouverte de gravures en grec ancien. Des prophéties à ce que je peux voir d'ici. Des chuchotements s'échappent de la pierre tombale. Ceux des dieux ? Tout est vrai. Les dieux sont bel et bien ici, dans leur prison. Et ils sont incomplets. Et ils sont furieux.
Les libérer serait leur livrer le monde. Enfermer Poséidon serait mettre fin aux sirènes. Le choix semblait simple à faire. Et je l'ai fait, en dépit de tout ce qu'il impliquait.
Mais alors que je fais un pas de plus dans la salle, un son suraiguë déchire mes tympans. Une douleur insupportable vrille mon crâne et j'empoigne ma tête à deux mains pour tenter de me calmer. Je tombe à genoux, des tâches noires apparaissent devant mes yeux. Je crois qu'on s'agite autour de moi, et il me semble même sentir la présence océane de Poséidon tout près de moi et ses bras qui m'étreignent, mais je ne parviens plus à distinguer autre chose que la douleur que même le dieu des mers ne peut atténuer.
Les chuchotements s'intensifient et une brûlure insoutenable naît en moi. Mais ce ne sont pas les dieux de la tombe qui en sont responsable. Bien au contraire...
Et quand la souffrance se tarie enfin, je relève mes yeux colériques sur l'entrée de la crypte, tentant de calmer ma respiration ahanée et colérique. Mes doigts se serrent autour de l'avant bras du maître des océans qui m'a rattrapée dans ma chute tandis que lui même se crispe.
Eris est là.
Et elle est la responsable de ce qu'il vient de se passer. Les dieux sont presque réunis, séparé par rien d'autre que cette stèle et moi. Et Eris veut empêcher leur réunification. Ou leur libération. Je me dégage de l'étreinte du dieu.
« Bonsoir mes agneaux.
La voix mielleuse de la discorde siffle dans l'air. La déesse s'approche menaçante. Poséidon s'avance, en première ligne. La force de son aura me frappe. Je jette un regard à Ligie. La sirène est figée de stupeur, le teint blême. Elle semble sentir quelque chose de par le lien qui unit le dieu aux sirènes de son banc.
- Bonsoir Eris.
Derrière la déesse maléfique, des ombres s'approchent, se découpant dans la lumière du soleil couchant parvenant à s'infiltrer dans la crypte. Les Discordants sont là, prêts à nous découper en rondelles. Et leur maîtresse semble se réjouir de la situation :
- Ce tombeau et les sortilèges de l'enchanteresse empêchent le moindre pouvoir de fonctionner. À part les nôtres bien évidemment. Voyons donc comment vous désirez vaincre mes chers enfants sans hurlements mortels, illusions où lyre envoûtée.
- Et que comptes-tu faire pendant ce temps là ? Nous admirer ?
Eris sourit, vicieuse face à la remarque de son frère. Elle fait craquer sa nuque, et pose son regard fou sur moi :
- Moi ? Je compte tuer la clé.
Elle elle bondit à une vitesse impressionnante vers moi. Vivement, Poséidon s'interpose et ils se percutent de plein fouet. Alors qu'elle se redresse, le maître des océans brandit son trident. Son visage se tourne vers moi et il ordonne, plus sérieux que jamais :
- Faites ce que vous avez faire. Maintenant !
Il plante son attribut magique dans le sol et une colonne de lumière jaillit brusquement du sol, emprisonnant les deux dieux en son centre. La sœur toise le frère.
- Ça ne durera pas longtemps Poséidon. Et tu viens de te neutraliser avec moi. Tu ne pourras leur venir en aide.
- Ils n'en n'ont pas besoin. »
Elle ricane à l'entente des propos du dieu et émet un bref sifflement entre ses doigts. Les discordants poussent alors de terribles rugissements avant de passer à l'attaque. Que le combat commence...
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